L'Europe sans fard

Un ouvrage à paraître début mars examine la nature et l'état de l'union européenne au-delà des mythes et des anathèmes. Une démarche salutaire pour réinventer l'Europe.
L'Union européenne n'est guère aimée de ses peuples. Mais pourquoi ?

L'Union européenne est décidément un objet bien étonnant. Devenue omniprésente la vie quotidienne des citoyens de ses Etats membres, elle demeure pourtant, dans l'esprit de ces mêmes citoyens, un pouvoir étrange et étranger que l'on ne comprend guère et que l'on aime encore moins. Un paradoxe qui devrait se révéler dans toute sa rude vérité lors des élections européennes de mai prochain à la fois par l'abstention et par le vote protestataire souvent hostile à l'UE.

Détourner la tête

Ce paradoxe finira-t-il par disparaître ? On peut en douter si l'on observe l'effondrement de l'abstention lors des scrutins européens depuis 1979, malgré l'approfondissement de « l'acquis communautaire » et les élargissements. Mais comment pourrait-il en être autrement ? Face à cette crise de confiance, la réaction de la classe politique européenne a été celle de la facilité : rejeter toute critique à l'UE sous les vocables infamants d'extrémisme et de « populistes. » Pour les faire taire. Mais cacher la poussière sous le tapis et détourner la tête est souvent une bien mauvaise politique. Ici, c'était simplement laisser le champ libre à ceux que ces termes n'effraient pas, parce qu'ils peuvent les revendiquer.

En réalité, on ne saurait stopper par des anathèmes les interrogations de l'esprit humain. Surtout après l'échec profond de l'UE depuis 2010 sur le plan économique et social. L'UE est donc devenue un sujet d'étude critique. Plusieurs penseurs européens de poids, comme Jürgen Habermas ou Hans-Magnus Enzensberger en Allemagne, ont déjà sondé la nature de l'Union européenne et son avenir, ou plutôt son manque d'avenir. En France, un ouvrage à paraître le 6 mars prochain, les Etats Désunis, de la journaliste Coralie Delaume, s'attelle avec bonheur à la même tâche.

Un regard froid sur l'Europe

Le premier intérêt de ce livre est la démarche même de l'auteur. Face à un objet qui déchaîne les passions, elle se propose d'observer l'Union européenne de manière froide, avec la logique (et souvent l'ironie) pour seule arme, sine ira et studio (« sans colère et sans préjugés »), dirait Tacite. Pour les générations qui ont grandi avec le processus d'unification, bercées par l'éloge de « l'Europe garante de la paix », par le mythe du « grand homme » Jean Monnet et par l'affirmation du processus irréversible de la construction européenne, ôter ce que Coralie Delaume appelle les « lunettes idéologiques qui brouillent la vision et altèrent le jugement » est un défi de taille. Mais c'est aussi une nécessité intellectuelle. Et l'auteur parvient sans peine à démonter ces « mythologies » les unes après les autres.

Economisme et juridisme, les deux ressorts de l'UE

En refusant la « supériorité morale » dont se drapent les « zélateurs de l'idéologie unificatrice », le scalpel précis de Coralie Delaume met à nu une Union européenne « apolitique et anhistorique », née de la conviction que les peuples ont été les causes des cataclysmes du 20ème siècle et qu'il faut ainsi à tout prix les écarter des prises de décisions. L'UE nait d'une défiance pour la démocratie. Pour parvenir à ses fins, elle use de deux armes : « l'économisme » et « le juridisme. » L'auteur décrit fort bien comment ces deux outils parviennent à écarter le risque démocratique. Par l'économie et le droit, l'Europe intervient dans le quotidien du citoyen, tout en lui ôtant les moyens de contrôler cette intervention qui relève des « experts » et n'appelle pas de sanction démocratique. On comprend alors comment la Commission et la BCE ont pu prendre tant d'importance, comment le droit européen a pu être si intrusif, comment enfin le parlement européen est resté - malgré les maigres concessions qui lui sont faites - sous tutelle.

Un « intérêt général » européen ?

En théorie, ces institutions supranationales doivent défendre « l'intérêt général » européen. Mais pour qu'il existe un intérêt général européen, il faudrait qu'il existe aussi un peuple européen qui s'y reconnaisse et qui l'accepte. Or, la vérité oblige à reconnaître qu'il n'en est rien. Les faits le prouvent, le droit le dit. Coralie Delaume rappelle que les cours constitutionnelles françaises et allemandes ont reconnu que ce peuple européen n'existait pas. « Mais s'il n'y a pas de peuple, de démos, alors il ne saurait y avoir de démocratie », souligne l'auteur. On comprend alors comment la justification européenne qui ne repose sur rien peut fonctionner à vide, précisément sur ce mythe de « l'intérêt général. »

L'abdication des Etats

Mais cette stratégie n'a pu réussir que parce que les Etats, c'est-à-dire les politiques des nations qui forment l'UE, l'ont accepté. « L'œcuménisme transpartisan » comme le décrit l'auteur permet de neutraliser le débat démocratique au sein des Etats, là où il est encore possible et naturel. « Les Etats offrent à l'ensemble européen la légitimité qui lui ferait défaut sans son consentement », note Coralie Delaume. Ce consentement a sa justification : celle de l'impuissance du politique. Mais dans l'Europe de la crise ouverte en 2010, ce consentement prend deux visages.

L'Europe éclatée

Il y a d'abord celui des gagnants de l'unification européenne et notamment de l'union monétaire, à commencer par l'Allemagne. Coralie Delaume relève parfaitement les ressorts de la puissance économique allemande et l'utilisation par Berlin de la superstructure européenne à son propre avantage. Dans ce cas, le choix européen est un choix d'intérêt. Et puis, il y a les autres, ceux qui ont dû subir ou qui devront subir le knout des « réformes structurelles », de l'austérité et de la troïka. Pour eux, le choix de l'Europe est d'abord un non-choix, une impuissance à dépasser la pensée idéologique européenne. Autrement dit, cette Europe tiraillée ne tient que par les mythes que précisément Coralie Delaume s'emploie à écarter.

« Essayer autre chose »

Voici donc les « Etats désunis » d'Europe : un continent tiraillé par des forces centrifuges qui font diverger ses deux pôles et qui ne tient que par les faibles ressorts d'une superstructure aux pieds d'argile qui craint le peuple et les peuples. Non sans gourmandise, Coralie Delaume décrit le « désespoir » des partisans de cet attelage bringuebalant. Mais l'heure n'est sans doute plus au rafistolage d'un ensemble qui a atteint ses limites. Il est plutôt à une étude sérieuse, sans « lunettes idéologiques » de ce qu'est vraiment l'UE afin, comme le note Coralie Delaume « d'essayer autre chose », de plus démocratique, de plus efficace. Car si l'on préfère encore détourner la tête, il est évident que les partis extrémistes qui ont fait de l'anti-européanisme leur fonds de commerce, et en France le Front national au premier chef, continueront de prospérer sur une critique de l'UE qui leur sera abandonnée par le reste de la classe politique. Ce livre est utile parce que, précisément, il est le premier pas nécessaire de cette saine et salutaire démarche.

* Coralie Delaume, Europe : les Etats désunis, Michalon, 217 pages, 17 € (à paraître le 6 mars 2014).

 

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Commentaires 34
à écrit le 03/03/2014 à 0:07
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Ce livre n'est pas objectif, la garantie de la paix n'est pas un mythe mais un constat. Les réalisations européennes sont énormes, le bilan des programmes de R&D en atteste, Airbus, l'Agence Spatiale européenne etc. Quels sont les pays dans le monde ...

le 28/05/2015 à 22:07
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1/ La paix n'est pas le fait de l'UE mais de la MAD (Mutual Assured Destruction) c'est à dire des armes atomiques. Tout au plus, l'UE, c'est la PAIE (des fonctionnaires) 2/ L'UE n'est absolument pour rien dans le programme Airbus. Le reste est ...

à écrit le 01/03/2014 à 19:35
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Europe? = miroir aux pauvres alouettes qui se font plumer à MORT!!!

à écrit le 01/03/2014 à 17:55
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L'europe sans phare! oui l'europe est dans le noir il est temps de retrouver la lumiere des nations independantes oui nous etions plus riche avant l'union et avant l'euro oui avec des frontieres l'ambiance etait plus sereine

le 01/03/2014 à 19:15
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vous avez TOUT DIT!!!

le 01/03/2014 à 21:13
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Le PIB par habitant est bien plus élevé aujourd'hui qu'avant. Dire que nous étions plus riches n'est pas exact.

le 02/03/2014 à 15:33
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on était peut être pas plus riches, mais on vivait MIEUX sans l'euro, et on était beaucoup moins dans la M....DE!!!

à écrit le 01/03/2014 à 16:21
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Il est clair que le fard enjolive tout..

à écrit le 01/03/2014 à 13:45
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@L'Europe et les populistes vous m'amusez formidablement car je doute de votre sincérité ... LT reprenait il y a peu, ce vieil article signifiant que Bruxellles payait des trolls avec nos sous pour dire du bien de l'Europe, sur les forums, pour ...

à écrit le 01/03/2014 à 10:18
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Une Europe sans fard est un fardeau. Demandez aux chômeurs...

le 02/03/2014 à 5:06
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Le chômage n'est pas inhérent à l'Europe, çà existait déjà et en pire en 1929. Sans l'Europe le chômage eût été pire avec la crise de 2008 ajoutée à la mondialisation.

à écrit le 01/03/2014 à 10:13
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Les USA ne sont pas basés sur une "nation" car il n y a pas de nation americaine. C est une fédération de toutes sortes de gens venus de tous les coins du monde et qui ont accepté une constitution commune. La preuve que cela fonctionne:150 ...

à écrit le 01/03/2014 à 0:41
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Ce livre n'est pas objectif, la garantie de la paix n'est pas un mythe mais un constat. Les réalisations européennes sont énormes, le bilan des programmes de R&D en atteste, Airbus, l'Agence Spatiale européenne etc. Quels sont les pays dans le monde ...

à écrit le 28/02/2014 à 16:54
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Essayer autre chose ? Une petite guerre peut être ? Je n'ai pas lu ce livre mais je me méfie des penseurs en chambre qui n'ont pas été directement acteurs de la mécanique communautaire. Il semble quand même qu'elle approche un peu de la compréhension...

le 28/02/2014 à 18:10
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Les USA ne se sont pas créés sur des nations. Rien que cet aspect rend la comparaison idiote.

le 01/03/2014 à 0:23
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Maduf n'a pas tort, la comparaison est recevable avec des Etats qui étaient très différents du Nord au Sud entre autres. Tous les pays qui cherchent une unité adoptent des principes similaires, à part Poutine mais c'est un dictateur.

à écrit le 28/02/2014 à 16:39
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"un intérêt général européen" euh non, une allégeance de gouvernants faibles aux intérêts outre atlantique, voilà ce qu'est l'union... Et pendant ce temps on reproche à Poutine son nationalisme quand les pays d'Europe vendent leur nation à des int...

le 01/03/2014 à 0:21
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En quoi nous vendons nous aux Etats-Unis alors que nous n'avons pas la même politique économique (relance d'un côté, plus d'austérité de l'autre), l'euro contre le dollar, Airbus contre Boeing etc ? Poutine domine ses voisins comme le faisait Staline...

le 01/03/2014 à 5:42
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aucune allégeance, Godrev est dans la propagande du KGB/FSB comme d'hab.

le 01/03/2014 à 15:41
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@anti trolls aucune allégeance dites-vous, regardez plutôt "qui gouverne réellement la France et l'Europe..." formidablement étayé et sourcé, irréfutable donc....!!! http://www.youtube.com/watch?v=-PWQAOzEsPM

le 02/03/2014 à 3:02
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Propagande Godrev, regardez plutôt la politique et stratégie de Poutine et qui l'inspire. Il y a des lobbies partout dans le monde y compris en Europe mais ils ne maîtrisent pas tout et ce n'est pas en démollisant l'Europe que l'on va de l'avant mais...

à écrit le 28/02/2014 à 13:30
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Seulement un europhobe comme Romaric Gaudin peut croire qu'un livre de Coralie Delaume, qui deverse sa haine envers l'Union Europeenne le long de ses articles, étudiérait son sujet "sine ira et studio".

le 28/02/2014 à 13:45
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Eh bien cela fera au moins contrepoids au déferlement quotidien de louanges des journalistes eurobéats. Mais pour nous parler de haine, plutôt que d'un parti-pris de désaccord avec l'UE, vous devez vous-même être très objectif.

le 28/02/2014 à 18:12
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Dès qu'on émet des réserves ou des critiques sur l'UE, on est europhobe, on déverse sa haine etc... Quelle vacuité. Le degré zéro de la pensée.

le 01/03/2014 à 0:27
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Le fait est que le livre n'est pas objectif. Regardez toutes les réalisations européennes, tous les programmes de R&D, leurs retombées, les développements, Airbus, Agence spatiale européenne etc. On peut critiquer l'Europe mais le bilan est excellent...

le 01/03/2014 à 14:42
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L'Europe j'adore Oh l'excellent bilan de l'Union Européenne, Airbus délocalise en Chine pour cause d'un euro trop fort !!! Le chômage pays d'Europe ZE + 63 % sur 10 ans , stable dans les pays d'Europe hors ZE, la belle réussite qui sert les intér...

le 01/03/2014 à 19:39
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+ 1000

le 02/03/2014 à 16:11
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@ Godrev +100

à écrit le 28/02/2014 à 13:02
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Le but ne doit plus être l'imposition d'un fédéralisme mais la création d'une confédération d’États, seul moyen de trouver un équilibre d’intérêt bien compris et obtenir une convergence démocratiquement désiré! Ce n'est que le stade (inférieur?) d...

le 01/03/2014 à 0:45
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Comment une confédération peut créer enfin une défense commune, avoir des énergies communes, des transports inter-Europe etc si chacun ne surpasse pas ses intérêts particuliers ? Sur les grands sujets communs ce n'est pas évident et le Fédéralisme a ...

à écrit le 28/02/2014 à 12:32
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Le journaliste évoque un "effondrement de l'abstention" : il a sans doute voulu parler d'un effondrement de la participation ou d'une hausse de l'abstention.

à écrit le 28/02/2014 à 12:16
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Mais prôner une saine et salutaire démarche sans être plus précis et concret n'est que parole verbale. Que valent les démocraties des composantes de ce foirail européen ? La France est-elle une véritable démocratie ? non oligarchique ni monarchique ?...

le 01/03/2014 à 0:53
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"les aspirations "naturelles" et "morales" des extrêmistes" ????

le 01/03/2014 à 21:20
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La France est une démocratie. Elle n'est pas parfaite évidemment et on peut l'améliorer en donnant bien plus de pouvoir au parlement par rapport au gouvernement, en rendant aussi la justice plus indépendante du gouvernement, en rendant les partis plu...

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