Culture financière : les Français peuvent mieux faire, les conseillers financiers aussi

Par Majdi Debbich  |   |  1182  mots
Les français ont une forte méconnaissance des mécanismes économiques et financiers les plus élémentaires. Et ce sont les personnes les plus éduquées financièrement qui consultent les professionnels financiers, alors qu'elles en ont le moins besoin. Par Majdi Debbich, PSE-Ecole d'économie de Paris

Les conseillers financiers ont du souci à se faire. En janvier dernier un accord sur la révision de la directive concernant les marchés d'instruments financiers (MIF) a marqué un nouveau pas vers une protection accrue des investisseurs individuels en limitant les commissions perçues par les conseillers financiers. Ce renforcement de la régulation est le bienvenu alors que les ménages français ont une forte méconnaissance des mécanismes économiques et financiers les plus élémentaires, comme l'ont déjà montré les études du CREDOC et de la chaire Banques populaires à Audencia.

Les résultats de l'enquête réalisée en 2011 par Luc Arrondel et André Masson en partenariat avec l'institut TNS-Sofrès1 viennent confirmer cette tendance. Plus d'un français sur deux (52%) ne maîtrise pas la notion d'intérêts composés pourtant fondamentale lors de la souscription d'un crédit ou d'un produit d'épargne. Plus étonnant encore, alors que la question du pouvoir d'achat occupe souvent les débats politiques notamment en période électorale, 39% des français ne semblent pas comprendre l'effet de l'inflation sur leur pouvoir d'achat. Enfin, un tiers des français (33%) ne saisit pas l'intérêt de diversifier son portefeuille alors même que le sens commun voudrait qu'on ne mette pas tous ses œufs dans le même panier.

Les types de questions posées

Faites vous-même le test avec les trois questions popularisées par l'économiste Annamaria Lusardi et reprises dans l'enquête de L. Arrondel et A. Masson (les bonnes réponses sont reportées en fin d'article (2) ) :

-         Prenons l'hypothèse que vous ayez déposé 1000 € sur un compte épargne ayant un rendement de 2% par an. Selon vous, au bout de 5 ans, combien détiendrez-vous sur votre compte épargne si vous n'avez pas touché à votre dépôt initial : moins de 1100 euros…1100 euros…plus de 1100 euros ?

-         Imaginez que le taux d'intérêt auquel est rémunéré votre épargne, placée sur un compte, soit de 1% et l'inflation de 2% par an. Selon vous, au bout de 1 an, avec l'argent sur ce compte, vous serez en mesure d'acheter : moins qu'aujourd'hui…exactement comme aujourd'hui…plus qu'aujourd'hui ?

-         Il est moins risqué de détenir des actions que des parts dans une SICAV ou un Fonds Commun de Placement : vrai…ou…faux ?

Si elle peut paraître réductrice, cette méthode d'évaluation a le mérite d'aborder des notions financières fondamentales qui définissent un « niveau de survie » tout en permettant des comparaisons au niveau international. Dans le domaine de l'éducation financière aussi nos voisins allemands font en moyenne mieux que nous avec respectivement 82%, 78% et 62% de réponses correctes à chaque question. Il en va de même pour les néerlandais et les américains. Heureusement nous pouvons nous rassurer avec les piètres performances des italiens et des russes qui nous permettent de nous situer dans la moyenne internationale.

Pourquoi est-il important de maîtriser ces notions et outils ?

Même si le lien de cause à effet est toujours difficile à établir, de nombreuses études ont montré qu'il existe une relation entre le niveau d'éducation financière d'un individu et ses comportements financiers toutes choses égales par ailleurs. Les personnes dont le niveau d'éducation financière est faible ont tendance à épargner moins que la moyenne, en particulier pour leur retraite (3). Ils diversifient moins leur patrimoine, accumulent moins de richesse et ont une probabilité plus importante de se trouver en situation de surendettement. Dans ce contexte, on pourrait penser qu'il est intéressant pour ces ménages de se tourner vers des professionnels comme les conseillers clientèle de nos banques de détail ou encore les conseillers en investissements financiers (CIF).

Le paradoxe du système actuel : les clients les plus « éduqués »… sont les mieux conseillés !

Or, l'enquête réalisée par L. Arrondel et A. Masson montre que les individus qui consultent le plus les conseillers financiers sont ceux qui a priori en ont le moins besoin, c'est-à-dire les individus dont le niveau d'éducation financière est le plus élevé toutes choses égales par ailleurs. Alors pourquoi ce paradoxe ? Parce que les rémunérations des conseillers financiers dépendent en partie des commissions perçues sur la vente de produits financiers sous la forme de rétrocessions de commissions pour les CIF et sous forme plus ou moins directe pour les conseillers bancaires.

Face à un client qui ne saisit pas toutes les subtilités des produits financiers, un conseiller n'aura donc aucun intérêt à vendre un produit faiblement commissionné quand bien même celui-ci serait plus adapté. Les ménages dont la culture financière est la plus faible le savent et nourrissent une défiance à l'égard des experts financiers auxquels ils font peu appel (4).

Cela a deux conséquences majeures, d'une part les conseillers financiers ne sont pas aussi utiles qu'ils ne devraient l'être aux ménages qui en ont le plus besoin, d'autre part les conseillers financiers tendent à accroître le fossé entre investisseurs éduqués et moins éduqués financièrement.

Quelles solutions envisager ?

D'abord, il faudrait renforcer l'éducation financière des ménages en s'assurant que les individus maîtrisent le plus tôt possible des notions aussi indispensables que celles des intérêts composés, de l'inflation ou encore de la diversification des risques. Ensuite, il faudrait agir sur le volet de la régulation. La nouvelle directive MIF II prévoit un meilleur encadrement des rémunérations des conseillers en investissements financiers dits « indépendants » mais on devrait aussi mieux réguler les modalités de rémunération à l'acte de vente des conseillers bancaires. Ainsi on endiguera plus largement les problèmes de conflits d'intérêts liés aux activités de vente et de conseil pour permettre au plus grand nombre d'accéder à une information financière fiable.

Les mesures d'exécution de la directive MIF II n'ont pas encore vu le jour mais l'accord de principe intervenu en janvier dernier stipule expressément que la structure des honoraires et rémunérations des conseillers ne doit pas faire obstacle à la délivrance de conseils objectifs et indépendants. Gageons que les mesures d'exécution accorderont une attention particulière non pas seulement aux CIF mais aussi aux conseillers clientèle des banques de détail.

 

 1. Enquête PATER réalisée par Luc Arrondel (CNRS-PSE) et André Masson (CNRS-PSE, EHESS) en partenariat avec TNS-Sofrès en 2011 auprès d'un échantillon de 3.616 ménages représentatif de la population française. Avec le concours financier du Cepremap, de la société Harvest, de l'institut CDC pour la recherche et de la chaire Groupama "Les particuliers face au risque".

2. Réponses : plus de 1100 ; moins qu'aujourd'hui ; faux

3. Luc Arrondel, Majdi Debbich et Frédérique Savignac "Financial literacy and financial planning in France". Numeracy. 2013, 6(2) art.8

4. Majdi Debbich "Why financial advice cannot substitute for financial literacy ?", forthcoming

 

Plus d'informations sur le site de Paris School of Economics