La loi Florange, ou la méconnaissance gouvernementale de l'économie

Par Marc Guyot et Radu Vranceanu  |   |  963  mots
La loi Florange, qui vient d'être adoptée, ne permettra pas de sauver des sites industriels, comme le montre du reste le cas de celui de Florange. Elle ne fait que complexifier encore la vie des entreprises. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, professeurs à l’ESSEC

 

La loi Florange, finalement adoptée par le parlement le 24 février, vient de faire l'objet d'un recours auprès du Conseil Constitutionnel pour atteinte à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété.

L'objectif de cette loi est de rendre impossible la fermeture d'une usine par décision unilatérale de la direction. A cette fin, une entreprise qui souhaite arrêter l'activité d'un site doit au préalable avoir prouvé qu'elle n'a pas trouvé de repreneur. L'absence de repreneur démontrant l'absence de rentabilité du site justifie alors la fermeture du site.

Concrètement dans la loi Florange, seules les entreprises de plus de 1000 salariés sont concernées par ces nouvelles contraintes et la durée obligatoire de recherche d'un repreneur est de trois mois. L'entreprise doit informer le Comité d'Entreprise (CE) de toutes les offres de reprise et celui-ci peut proposer des repreneurs. Si l'entreprise rejette un repreneur, elle doit le justifier devant le CE. Le CE ou les salariés pourront saisir les tribunaux s'ils estiment que la recherche d'un repreneur n'a pas été menée correctement ou si une offre sérieuse n'a pas été considérée. En cas de non respect, une sanction financière est prévue ainsi que le remboursement des subventions publiques perçues le cas échéant.

 Une méconnaissance des mécanismes économiques

Cette loi témoigne d'une certaine méconnaissance des mécanismes économiques. En premier lieu, une entreprise n'a intérêt à fermer une entité rentable que si la réduction de la production lui permet d'augmenter les profits qu'elle retire des usines existantes. Une telle situation n'est possible que si la firme est en position de monopole, auquel cas elle tombe sous la surveillance étroite de des autorités de protection de la concurrence.

Sur des marchés concurrentiels, les entreprises n'ont pas d'influence sur le prix, donc la réduction du volume de ventes rentables se traduit par une réduction des profits futurs. Par ailleurs, le gouvernement semble faire une confusion entre « rentabilité » mesurée par les profits passés et courants, et « valeur de la firme », basée sur les profits futurs actualisés, nets des éventuelles dépenses en investissement. Une entreprise qui a dégagé un profit positif une année donnée peut voir sa situation se dégrader rapidement l'année suivante si ses conditions d'activités se durcissent.

L'exemple de Peugeot,  ou le coût élevé des ajustements tardifs

Tout particulièrement, lorsqu'un secteur est en surproduction, les entreprises doivent rapidement réduire leurs volumes de production pour éviter des pertes trop importantes dans le futur. Selon les contraintes technologiques, dans certains secteurs cela réclame la fermeture de sites de production tout en maintenant la production au maximum dans d'autres sites. L'exemple de Peugeot montre bien le coût élevé des ajustements menés tardivement sous une contrainte financière dure.

 Le "cas" Florange

Pour mettre en perspective nos propos, le plus cohérent est d'utiliser le cas du site de Florange puisque celui-ci est à l'origine de la loi. La situation de Florange peut se résumer en trois points:

  • Le site de Florange semblait être rentable, à la fois selon les estimations internes d'ArcelorMittal et selon les estimations faites par les experts du Ministère du Redressement Productif.
  • Une recherche active de repreneurs a été menée directement par le ministère, trois repreneurs potentiels ont été identifiés, plusieurs plans de reprise ont été construits y compris avec une possibilité de nationalisation. Selonl'évaluation du Fond Stratégique d'Investissement, l'investissement nécessaire pour la reprise du site se montait à 1,1 milliards d'euro.
  • Le Gouvernement a finalement acté la fermeture du site avec la disparition de 629 emplois directs en échange de l'absence de tout licenciement et un investissement de 189 millions d'eurospar l'entreprise dans sa filière sidérurgique française.

 

Il apparaît bien ici que le concept de « site rentable »ou d' « entreprise rentable » est flou et s'articule atour d'une vision partielle de la situation d'une entreprise. ArcelorMittal, comme le reste de la filière sidérurgique, a eu à faire face à une énorme contrainte de débouchés du fait de la crise de 2009 avec la chute de la demande européenne d'acier. A plus long terme, tous les aciéristes auront, en outre, à faire face à l'obligation de réduire les émissions de carbone ce qui implique de gros investissements en R&D et nouvelles technologies. Dans ce contexte, la fermeture du site était une décision de gestion cohérente et sa reprise est apparue comme un non sens économique et industriel à l'ensemble des acteurs y compris, pour finir, au gouvernement.

La loi Florange n'aurait que compliqué la vie de l'entreprise 

La loi Florange n'aurait donc pas permis de sauver le site de Florange mais aurait considérablement compliqué la vie de l'entreprise, l'obligeant à des démarches administratives supplémentaires et l'exposant à une insécurité juridique du fait du recours devant les tribunaux. En l'espèce, l'atteinte au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre n'est donc absolument pas compensée par des préservations d'emploi et génère des surcoûts administratifs et juridiques pour l'entreprise.

 La promesse de loi a été faite en février 2012 par le candidat François Hollande, le site de Florange a fermé en avril 2013, la loi déposée en mai 2013 et finalement votée le 24 février dernier. Entre temps, le Gouvernement a adopté une posture de réconciliation avec les entreprises. Il est à souhaiter que cela lui fera progressivement abandonner certaines postures de défiance vis-à-vis des entreprises et lui permettra d'aborder de façon plus pragmatique et courageuse la complexité de leurs choix de gestion et de l'intérêt général.