Commande publique : l'exception française

Par Henri d'Agrain, Small business France  |   |  1224  mots
Trop de fonctionnaires, trop peu d'externalisation, et donc une commande publique relativement faible: ainsi pourrait-on caractériser la situation française, par rapport aux autres pays européens. Une situation nuisible à l'emploi dans les PME. Par Par Henri d’Agrain, Président de Small Business France

Les chiffres de la commande publique dans l'Union européenne sont significatifs du décalage qui existe entre les pratiques de la France est celles de nos principaux partenaires. En France, la commande publique représente près de 200 milliards d'euros, soit 10 % du produit intérieur brut.

Elle concerne de multiples organismes, de natures très différentes, parmi lesquels on retrouve les services centraux de l'Etat et leurs services déconcentrés, les services à compétences nationales, les établissements publics administratifs (EPA) et les établissements public industriels et commerciaux (EPIC) exerçant des missions de service public, les établissements publics de santé (CHR, CHU, hôpitaux,...), les organismes consulaires comme les chambres de commerce et d'industrie, les chambres d'agriculture et les chambres des métiers, les collectivités territoriales, à savoir les communes, les départements, les régions et les intercommunalités, les établissements publics locaux, les entreprises ou sociétés d'économie mixte soumis au contrôle économique et financier de l'État.

Un levier d'action efficace des pouvoirs publics, en faveur des PME

Ces organismes, et cette liste est loin d'être exhaustive, émettent des besoins, publient des appels d'offre, concluent des marchés, engagent des dépenses qui bénéficient à l'économie locale et nationale. Ces 10 % du PIB représentent un levier d'action efficace des pouvoirs publics sur la croissance et la création d'emploi. Ils ne s'y sont d'ailleurs pas trompés, la stratégie en la matière recueillant un réel consensus politique, en plaçant l'accès des PME à la commande publique au cœur du redressement productif.

De même qu'en France, l'Union européenne a placé les PME au cœur de sa stratégie pour la croissance et l'emploi. Après deux années de négociations, l'UE a adopté en décembre 2013 le programme-cadre Horizon 2020, lequel leur donne une place prépondérante. Avec Horizon 2020, l'UE s'est fixée des objectifs ambitieux pour l'emploi, l'innovation, l'éducation, l'inclusion sociale, l'énergie et la lutte contre le changement climatique.

 Les 23 millions de PME européennes ont une place et un rôle important dans la réalisation de tous ces objectifs ; elles contribuent à faire de l'Union une économie intelligente, durable et inclusive. « Les petites et moyennes entreprises (PME) forment la colonne vertébrale de l'économie européenne. Il convient de leur faciliter l'accès aux marchés publics pour qu'elles puissent pleinement exploiter leur potentiel en matière de création d'emplois, de croissance et d'innovation. »

La France, loin du compte: surtout en raison de son nombre de fonctionnaires

Cependant, lorsque l'on regarde les chiffres de l'Union européenne, la France est loin du compte. D'une part, la commande publique représente près de 19 % du PIB de l'UE ! Contre seulement 10 % en France. D'autre part, la part des PME dans la valeur totale des contrats attribués est d'environ 35 % dans l'UE contre 28 % en France. Comment expliquer ce décalage entre la France et l'UE ? Cela s'explique d'abord par les importants effectifs, en France, des différentes fonctions publiques, effectifs qui leurs permettent d'opérer en interne de nombreuses prestations qui sont en générale externalisées dans les autres pays de l'UE. D'ailleurs, ce poids des différentes fonctions publiques dans le déficit national est considérable.

Transférer vers les opérateurs privés, une solution, notamment dans les territoires

La réduction de notre déficit, malgré les cris d'orfraie des syndicats et les dénégations vigoureuses du gouvernement, passera nécessairement par des économies substantielles portant sur les rémunérations et charges sociales. Dans une telle perspective, la commande publique pourra ainsi suppléer les renoncements auxquels devront se résoudre les administrations et organismes publics, en transférant de nombreuses activités vers des opérateurs privés, notamment dans les territoires.

 90 agents publics pour 1000 habitants, contre 50 en Allemagne

De nombreux pays l'ont fait autour de nous, avec, c'est vrai, une culture administrative moins forte qu'en France. Mais la situation française est une anomalie dans le paysage européen, à laquelle le gouvernement devra avoir le courage de s'attaquer afin de placer la France dans les standards de l'Union. Le secteur public au sens strict (État, collectivités locales, fonction hospitalière…) compte environ 5,2 millions de salariés, soit 90 agents publics pour 1 000 habitants.

En Allemagne, le ratio est de 50 pour 1 000 habitants. Au cours des 30 dernières années les effectifs des fonctions publiques ont augmenté de plus de 36 % quand ceux du secteur privé croissaient de 16,4%. Ces 5,2 millions de fonctionnaires représentent environ 22 % de l'emploi total en France, alors que dans les pays de l'OCDE, ce chiffre tourne autour de 15 %. Pour le dire autrement, nous aurions près d'un million de fonctionnaires en trop par rapport aux standards de nos partenaires européens.

Moins d'emplois de fonctionnaires, plus de commande publique et d'emplois privés

Le transfert massif du coût d'emplois publics vers la commande publique, sur les cinq prochaines années, permettrait de réduire le déficit de manière efficace et durable, en injectant dans l'économie réelle les moyens de la croissance des entreprises et de la création d'emplois privé. La tâche est bien entendu immense, il ne faut pas le nier, et le gouvernement aborde en tongs l'ascension de cet Everest, pour filer une métaphore déjà utilisée dans le débat sur le pacte de responsabilité.

Commencer par les services locaux d'entretien

Il faudra notamment se poser la question du transfert massif d'emplois publics, avec leurs activités et leurs moyens techniques, vers des entreprises, en commençant par des services locaux d'entretiens, de maintenance ou de voirie par exemple. Concrètement, sur la période de mise en œuvre du pacte de responsabilité, le montant de la commande publique devrait passer de 200 milliards à 220 milliards, en fléchant prioritairement ces nouveaux marchés vers des PME, afin que leur poids corresponde - enfin - à environs 35 % de ce montant total.

S'attaquer au statut de la fonction publique

Il nous apparaît indispensable que cette question soit abordée dans le cadre du pacte de responsabilité, avec du coté des entreprises, l'engagement de reprendre l'essentiel des emplois publics supprimés et des activités associées dans le cadre de marchés publics, et du coté des pouvoirs publics la hardiesse de s'attaquer aux statut de la fonction publique, principal frein à ce vaste mouvement de réforme, pour permettre ces transferts.

Marylise Lebranchu et Michel Sapin auront-il le courage d'engager le gouvernement dans cette voie ? Rien n'est moins sûr, car répétons-le, et personne d'ailleurs n'imagine le contraire, le défi est gigantesque. Alors que sur les 30 dernières années, le poids de la fonction publique n'a cessé d'augmenter, chacun des emplois publics créés a entraîné la destruction de 1,5 à 2 emplois dans le privé comme le montre avec une remarquable constance toutes les études en la matière. Mais il ne faut pas s'y tromper : si un tel dispositif de transfert n'était pas mis en œuvre, alors la réciproque se vérifierait, et il faudrait alors consentir au sacrifice de 1,5 à 2 emplois dans le secteur public pour espérer créer un emploi dans le secteur privé ! La quadrature du cercle…

 

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