Réforme du droit des faillites : il faut aller plus loin !

Le gouvernement présente ce mercredi en conseil des ministres une ordonnance réformant le droit des entreprises en difficulté. Un texte qui va dans le bons sens, mais qui reste largement insuffisant. Par Sophie Vermeille et Frank Adrien Papon, Droit & Croissance / Rules for Growth

 La crise économique accélère la multiplication des restructurations parfois brutales de nos entreprises. Le droit qui s'applique aux entreprises en difficultés peut constituer aujourd'hui un facteur aggravant pour l'impact de ces restructurations sur la croissance et l'emploi. Un droit modernisé pourrait, au contraire, le diminuer. C'est tout l'enjeu de l'ordonnance qui doit être approuvée ce mercredi 12 mars en Conseil des Ministres après avoir fait l'objet d'une consultation par la Chancellerie[1].

Droit et croissance, institut de recherche consacré à l'étude de l'impact économique du droit en France, considère que l'orientation générale de la réforme élaborée par le gouvernement va dans la bonne direction, mais que cette dernière reste encore largement inaboutie. Des améliorations importantes sont nécessaires. Une nouvelle réforme est d'ores et déjà à prévoir.

Un droit privilégiant le dirigeant actionnaire, des activités perdues

Le droit français privilégie le dirigeant actionnaire, fait peu de cas des droits des créanciers et, n'a pas les idées très claires sur la manière de traiter les dettes en cas de difficultés tout en respectant effectivement leurs rangs de priorité ou leurs sûretés. Il permet en particulier aux actionnaires ou à des créanciers « junior » de bloquer les processus de restructuration dans des conditions contestables sur le plan de l'analyse économique car elles aggravent la situation des entreprises. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que les investisseurs comme les prêteurs hésitent à s'engager lorsque des entreprises par ailleurs viables rencontrent des difficultés : le marché français du retournement est sous-développé, ce qui fait perdre des occasions de sauver des activités qui pourraient l'être.

Un rééquilibrage initialement prévu, et finalement remis à plus tard

Le projet initialement proposé avait bien saisi la mesure de l'enjeu principal en amorçant un rééquilibrage des droits en faveur des créanciers dans la procédure collective comme le préconisait déjà le Conseil d'Analyse Economique dans son analyse publiée en Juin 2013[2]. Le texte initial prévoyait ainsi la possibilité d'évincer l'actionnaire contrôlant de la société si aucune autre solution ne semble susceptible d'assurer le redressement de l'entreprise. Face aux difficultés à faire adopter cette disposition, en l'état actuel d'un droit qui refuse de se laisser imposer les règles de l'économie, le gouvernement a remis à plus tard, l'adoption de la disposition phare de son projet.

Ne pas attendre la cessation de paiements

Même à supposer que cette disposition fasse bien l'objet d'une seconde ordonnance qu'on annonce déjà en préparation, ce rééquilibrage reste cependant insuffisant. En effet, l'éviction doit pouvoir s'appliquer non seulement aux actionnaires, mais aussi aux créanciers, tout en respectant leur ordre d'absorption des pertes, et ceci, beaucoup plus tôt, sans attendre une cessation des paiements.

Il faut donc craindre que la réforme envisagée ne permettra pas le développement d'un marché privé du crédit des entreprises qui entrent en procédure collective, comme il existe ailleurs. Faute de marché privé, avec les meilleures intentions, les pouvoirs publics font plus de mal que de bien aux entreprises en difficulté en fermant les yeux sur leurs créances fiscales et sociales pour se livrer à ce qui s'apparente à un soutien abusif lors de la survenance des premières difficultés de paiement.

Donner de meilleures chances aux entreprises viables, limiter les dégâts causés par les autres

Certaines dispositions portent atteinte aux droits des porteurs d'obligations, comme l'interdiction faite au débiteur de prendre en charge leurs honoraires de conseils et vont à l'encontre de la tendance actuelle visant à encourager la désintermédiation. Comme le Conseil d'analyse économique, nous proposons une solution plus assumée, plus aboutie et plus conforme aux solutions qui ont fait leurs preuves dans de nombreux pays.

L'objectif premier de la réforme doit être de donner les meilleures chances aux entreprises viables de se redresser et de réussir, et à celles qui ne le sont pas de causer le moins de dégâts possibles à toutes les parties prenantes, salariés, créanciers, actionnaires.

 Empêcher les actionnaires de retarder le règlement du problème

Pour les grandes entreprises en difficultés mais cependant viables, les principaux écueils à éviter sont d'empêcher de laisser des actionnaires qui refusent de prendre leurs responsabilités de retarder le règlement du problème, et parallèlement d'empêcher les créanciers non titulaires de sûretés de bloquer toute cession, restructuration du bilan et réduction de la dette qui permettront la survie de l'entreprise.

La méthode privilégiée est de créer une forte incitation contraignant les actionnaires et créanciers à négocier une issue conventionnelle dès que possible, dans des conditions conformes à leurs droits et intérêts respectifs. Pour cela, les règles de la procédure collective doivent s'inscrire, le plus fidèlement possible, dans le prolongement des accords existant entre les différentes catégories d'investisseurs. Elles doivent veiller à ne pas conduire à une rupture d'égalité en provoquant des transferts de richesse indus à travers une modification substantielle de l'ordre de priorité des paiements et d'absorption des pertes.

 Pouvoir convertir des créances en actions

Ainsi, dans les grandes entreprises, le transfert du contrôle doit pouvoir s'opérer au profit des créanciers dits "pivots" identifiés après avoir cristallisé la valeur de l'entreprise et réordonné les droits des créanciers dans le respect de leurs droits de priorité. A cet égard, les créanciers seront classés en trois grandes classes pour distinguer une classe particulière.  En haut, ceux qui sont fondés à récupérer l'intégralité de leur créance.  En bas, ceux qui devront abandonner l'intégralité de leur créance.  Au milieu, les créanciers dits « pivots », ceux qui ne pourront recouvrer qu'une partie de leur créance et qui devront procéder à un arbitrage en évaluant la viabilité de l'entreprise. C'est à eux et, à eux seuls, qu'il convient de choisir la meilleure issue en leur donnant notamment la possibilité de convertir leur créance en actions pour se substituer à l'actionnaire. Partout où cette pratique existe elle a permis aux entreprises de trouver rapidement l'issue qui leur permet de rebondir sur des bases saines.

Le juge ne doit intervenir qu'après la bataille

Dans ce modèle, le juge n'intervient qu'après la bataille, soit pour contrôler et imposer les accords entre les parties soit pour y suppléer en cas d'échec des négociations, réduisant ainsi la contrainte mais aussi les coûts pour les parties comme pour la collectivité.

Un procédure simplifiée pour les petites entreprises

Dans les petites entreprises, le transfert du contrôle doit s'opérer encore plus rapidement et au profit du créancier financier titulaire de sûretés sur les actifs par une procédure simplifiée et accélérée qui permet de leur éviter des coûts de procédure trop élevés.  Les banques jouent un rôle central dans ce type de procédure et l'expérience anglaise et suédoise en la matière est probante. Un droit des entreprises en difficulté plus efficace contribue à réduire les délais de paiement et à diminuer le recours aux modes alternatifs de financement (affacturage, crédit-bail) très coûteux pour l'entreprise.

Le gouvernement a cru pouvoir innover et proposer une vraie rupture conceptuelle avec l'introduction de l'éviction des actionnaires dans une réforme plus respectueuse des créanciers.  Les périls qui s'amoncellent sur les entreprises, la nécessaire restructuration de leurs bilans et le développement des marchés obligataires exigent cependant une réforme plus aboutie pour servir la croissance.  Il est urgent d'envisager dès à présent la suite.

 

[1] Cf. « Commentaire de Droit & Croissance » de 90 pages publié sur le site de D&Croissance www.droitetcroissance.fr - Un colloque se tient le 2 avril sur ces sujets, avec le soutien de Davis Polk, Jones Day, Rothschild, Alvarez Marsal et l'Institut Louis Bachelier.

[2] « Les enjeux économiques du droit des faillites, Note du CAE n°7, juin 2013 »www.cae-eco.fr/+Les-enjeux-economiques-du-droit-des-faillites-Note-du-CAE-no7-juin-2013,47+.html

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Commentaires 6
à écrit le 12/03/2014 à 15:58
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Au motif que les entreprises...et l'emploi pourrait être sauvés ou en grande partie...ces gens des lobbies financiers nous font croire que les créancier sont mal traités en France...en tant qu'ancien expert de la question, je dis que c'est faux et qu...

le 12/03/2014 à 19:57
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Bien d'accord, mais la toute puissance est concentrée entre les gouvernants commanditaires et les financiers commandités; ils décrètent la valorisation à coup d'enchères, dirigent la croissance par l'emprunt bon marché. On ne sait plus qui est qui et...

à écrit le 12/03/2014 à 14:52
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comme toujours le privilege va aux mauvais , vraiment decourageant pour les personnes solvables qui paient tres cher leurs emprunts pour compenser les defaillants.

à écrit le 12/03/2014 à 14:29
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Mais que reste-t-il à réformer, après 40 ans de procédures aménagées, de montages sophistiqués ? L'on a même fait sauter le verrou du capital minimum, sophistiqué la limitation de responsabilité de l'entreprie unipersonnelle, de l'entrepreneur indivi...

à écrit le 12/03/2014 à 13:36
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Comment peut on écrire aussi mal et être publié dans un journal ?

le 12/03/2014 à 14:44
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Stef, Je ne suis pas d'accord avec vous. On ne peut pas dire que le texte soit mal écrit. Le problème doit venir d’ailleurs...

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