Fusion SFR-Numericable : une bonne nouvelle pour l'économie

Le choix fait par Vivendi en faveur de l’offre de Numericable est une bonne nouvelle pour le consommateur, pour le dynamisme de l’industrie des télécom et pour l’économie nationale. Le gouvernement a tort de soutenir des opérateurs anciens au profit né d'une situation d'oligopole. Marc Guyot et Radu Vranceanu, professeurs à l'ESSEC

 

La stratégie d'acquisition par Bouygues de SFR est cohérente au vu de la situation dans laquelle la première firme est plongée. En effet, dans un marché avec une structure d'oligopole avec bien homogène en dynamique de guerre des prix dite « à la Bertrand» selon le nom de l'économiste qui l'a étudiée au 19eme siècle, le seul moyen de s'extraire de la guerre des prix est de trouver un moyen de différencier son produit ou bien de réduire la pression concurrentielle par une réduction du nombre d'acteurs. La différenciation vers la 4G ayant fait long feu, puisque Free s'est empressé d'emboîter le pas aux trois firmes historiques, il ne restait plus que la solution de la consolidation du marché.

Celle-ci permet, outre la réduction de l'intensité de la guerre des prix, de réaliser des économies d'échelle étant donné l'importance des coûts fixes associés à la construction des réseaux. Cette stratégie de consolidation a d'ailleurs été validée par l'envolée boursière des titres des trois firmes présumées survivantes lors de l'annonce de l'offre de Bouygues (+15% pour Orange, +6% pour Bouygues, et +6,9% pour Free).

 Un soutien gouvernemental à Bouygues assez incompréhensible

Autant la stratégie de Bouygues est compréhensible dans la mesure où cette firme souhaite augmenter son « confort tarifaire» en diminuant la pression concurrentielle, autant le soutien appuyé du gouvernement à cette stratégie peut paraître moins compréhensible si on admet que l'objectif du bon gouvernement est la défense du bien commun.

Le passage de trois à quatre opérateurs en 2012, via l'entrée de Free, voulu par le précédent gouvernement, a atteint tous les objectifs que peut théoriquement permettre d'atteindre l'intensification de la concurrence dans un secteur frappé par des ententes de prix explicites ou tacites. Ces objectifs sont une baisse des prix obligeant les firmes à améliorer leur efficacité et à innover et un accès plus large des consommateurs au bien en question. De fait, l'intensification de la concurrence a généré immédiatement une baisse des prix pour les ménages qui est aujourd'hui de l'ordre de 25% et fortement augmenté le taux d'accès au mobile. Il s'agit d'un gain de pouvoir d'achat significatif pour les ménages et une modalité indirecte de soutien à l'activité de recherche d'emploi de ceux qui n'en ont pas un.

 Une intensification de la concurrence qui porte très rapidement ses fruits

Face à l'offensive de Free, les opérateurs historiques ont réagi en lançant des offres « lowcost » ce qui leur a permis de compenser en partie les huit millions d'abonnés conquis par Free, par six millions de nouveaux abonnés. Outre ces innovations dans les forfaits, les opérateurs historiques ont accéléré fortement le lancement de la 4G qui est maintenant disponible depuis fin 2013. Par ailleurs, cette intensification de la concurrence a gagné le segment voisin de l'internet fixe puisque Bouygues vient de fortement baisser ses prix sur son offre internet et a annoncé vouloir faire économiser 150 euros par an aux abonnés. Rarement une intensification de la concurrence aura porté autant de fruits aussi vite.

L'autorité de la Concurrence aurait probablement rejeté la fusion Bouygues-SFR

Il est donc probable que l'Autorité de la Concurrence aurait rejeté cette fusion en dépit de la clause de cession par Bouygues de son réseau d'antennes et de fréquences à Free. Même si cette cession aurait créé trois concurrents de bonne taille, le passage de quatre à trois opérateurs est un sérieux risque d'affaiblissement la concurrence. Aux Etats-Unis où il y a également quatre opérateurs nationaux, la Division Antitrust avait rejeté en 2011 la fusion entre le numéro quatre, T-Mobile et le numéro deux, AT&T précisément pour conserver quatre opérateurs mobile ce qui est la norme dans beaucoup de pays. En revanche, en Autriche, où le nombre d'opérateurs est passé de quatre à trois en 2012, les prix sont déjà repartis à la hausse.

 La téléphonie mobile n'est plus la cash machine d'antan, mais n'a pas été détruite pour autant

La baisse des prix a provoqué une modification du partage du surplus social en faveur du consommateur et au détriment des fournisseurs de téléphonie mobile, dont les profits ont baissé, mais qui restent néanmoins importants. Le revenu venant du mobile a baissé de 11% en 2012 et de 6% en 2013 mais, Free, le catalyseur de la guerre des prix, est lui même déjà devenu rentable dès sa deuxième année d'activité avec 113,5 millions d'euros de résultat brut. Il n'y a donc pas eu de destruction de l'industrie des télécom hormis la sortie du marché ou le rachat de quelques MVNO qui émanaient de la grande distribution. En revanche, le téléphone mobile n'est plus la cash machine des trois opérateurs historiques.

 Le gouvernement s'est institué défenseur des grandes firmes, sacrifiant la protection du pouvoir d'achat

Dans leur stratégie de lobbying auprès des Autorités, les trois opérateurs historiques ont bruyamment crié à la concurrence destructrice et fortement communiqué sur les licenciements auxquels ils étaient « obligés » de procéder pour survivre. Cette pression sur le gouvernement que l'on pourrait traduire ainsi : « puisqu'on diminue notre rente d'oligopole, alors vous l'aurez voulu, on licencie »semble avoir réussi. Le gouvernement s'est institué défenseur du profit des grandes firmes au nom de la préservation de l'emploi et de l'investissement, sacrifiant au passage la protection du pouvoir d'achat des ménages, et notamment de ceux les plus défavorisés.

 L'exécutif a tort de défendre le profit né d'une situation d'oligopole

D'un côté on peut se réjouir de cette apparente percée des principes de l'économie de l'offre dans la vision économique du gouvernement, principes selon lesquels les entreprises qui font des profits, investissent et in fine embauchent, alors que celle qui font des pertes licencient. Cependant, il y a encore une fois mésentente : le profit dont il est question dans l'économie de l'offre est celui qui découle de la mise en œuvre d'une efficacité supérieure et d'innovations à l'avantage du consommateur et pas celui qui découle de l'exploitation d'une rente d'oligopole au détriment du consommateur.

Pour sauver la face, le gouvernement met en avant un engagement de non-licenciement de la part de Numéricable, ce qui est un peu superflu dans la mesure où les deux firmes ont peu d'activités en doublon. En effet, Numericable est actuellement présent dans le mobile uniquement comme MVNO pour ses propres clients, et la fusion n'a pas un objectif de consolidation : il n'y a pas de rationalisation à prévoir.

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Commentaires 17
à écrit le 29/03/2014 à 19:23
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2 remarques : - Sur l'oligopole (ce n'est pas un gros mot !) : l'argument est surprenant puisqu'il s'agirait pour NC de racheter un membre important de cet oligopole (SFR), alors que Bouygues Telecom a quand même été le "petit" dans cet oligopole ju...

à écrit le 19/03/2014 à 10:12
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D'apres Mediapart, les dés étaient pipés. Fourtou et ses acolytes se sont fait acheter par Drahi : 1,35% du montant de la trasac, soit près de 150 M !! Où est l'intéret de l'actionnaire (Vivendi), où est l'intéret de la France (il n'y aura aucun inv...

à écrit le 18/03/2014 à 17:46
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comparer les états unis avec le petit pays comme la france soyons serieux faudrait deja comparer ce qui peut l'être

à écrit le 18/03/2014 à 16:55
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A lire l'article de Mediapart "Arrangement entre amis" de Martine Orange... très instructifs. On comprend alors que l'intérêt personnel passe devant l'intérêt industriel, national et social. Le rachat par LBO de SFR ne promet pas une croissance apte...

à écrit le 18/03/2014 à 15:57
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Voici pourquoi Montebourg a raison d être méfiant : SFR est trop gros pour NUMERICABLE, sauf a s endetter de manière excessive, à moins que ce ne soit une opération masquée pour permettre à un autre opérateur étranger en embuscade de ramasser ensu...

le 18/03/2014 à 17:09
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Analyse qui rend compte d'une méconnaissance de la réalité du terrain Oui le pouvoir d'achat a augmenté en réduisant les effectifs donc départs, plans de licenciements entre autre... En quoi 3 opérateur tuerait la concurrence ? C'est une inepti...

à écrit le 18/03/2014 à 10:22
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Analyse juste. rien à ajouter.

le 18/03/2014 à 15:52
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D'un point de vue macroscopique peut être. Mais si l'analyse se porter en détail sur l'acheteur, il y aurait beaucoup à découvrir et à redire sans aucun doute.

à écrit le 17/03/2014 à 22:28
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Au delà des perdants, déjà évoqués dans les posts; ceux qui vont "morfler" ce sont les clients. C'est Numericable qui acquiert SFR; on peut penser que c'est eux qui vont "dicter leur loi"; dès lors, vu leurs prestations/SAV, il n'y a qu'un conseil à ...

le 18/03/2014 à 5:24
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comme vous dites, les clients SFR peuvent fermer à tout moment. bon pour Free.

à écrit le 17/03/2014 à 18:06
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A chaque fois avec ces deux là nous sommes déçu! Les auteurs ont juste oublié d'évoquer le risque de remise en cause des engagement des 4 opérateurs sur des investissement de 30 milliards d'euros en fibre source de compétitivité pour notre économie...

à écrit le 17/03/2014 à 17:59
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Le seul fait de comparer le marché américain (environ 300 M habitants) avec celui de l'Autriche et ses 8,5 M d'habitants est curieux de la part de spécialistes dont la crédibilité est ipso facto mise en cause. Il y a bien trop d'opérateurs en Europe ...

le 17/03/2014 à 18:39
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Il ne vous aura ps échappé que l'Europe n'est pas un pays, mais un continent doté d'une trentaine de pays et de langues, dont les marchés n'ont rien a voir les uns avec les autres. Pourriez-vous me préciser quelle synergie se mettrait en place entre ...

à écrit le 17/03/2014 à 17:36
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Bonnes nouvelles pour les investisseurs, mauvaise nouvelle pour les futurs chômeur.

à écrit le 17/03/2014 à 17:00
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Le problème avec numéricable est de savoir s'il s'agit d'un véritable projet industriel ou bien d'une simple opération financière de court terme pour faire le maximum d'argent? Et le principal problème restera bien l'endettement massif de cette entre...

à écrit le 17/03/2014 à 16:39
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Messieurs, La première chose c'est de savoir ce qu'offre Numéricable, en dehors d'un réseau de pseudo fibre optique....La seconde comment on peut accepter que des entreprises croulent sous les dettes financières....et si on rendait les intérêts no...

le 17/03/2014 à 19:06
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En résumé, vous souhaitez que l'on vérifie que la loi soit bien appliquée...comme pour toutes les entreprises donc.

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