Ukraine, la France doit renouer avec l'histoire

Par Jean-Christophe Gallien*  |   |  1274  mots
Alors que l'Allemagne est contrainte par sa dépendance énergétique à l'égard de la Russie, la France a un rôle à jouer dans la crise ukrainienne. Par Jean-Chrisophe Gallien, professeur associé à Paris 1 Sorbonne*

Depuis Sochi, popularité en Russie au zénith, Vladimir Poutine ne cesse de surfer sur la vague Olympique de la Grande Russie retrouvée. Des cérémonies d'ouverture et de clôture fictionnelles aux actes bien réels en Crimée, il déroule les épisodes du feuilleton populaire du retour de la Russie. Jusqu'où ?

La séquence la plus grave depuis la fin de la guerre froide

 Il est gagnant, mais jusqu'à quand ? Peut-on gagner seul contre les autres dans ce Monde multipolaire ? Il ne cesse de le clamer : cette zone est la nôtre ! Il vient maintenant de signer le décret reconnaissant l'indépendance de la Crimée. Un pas définitivement franchi. Le prochain pourrait être de trop et entraîner tout le Monde, dont la Russie, vers une défaite partagée. Vladimir Poutine n'est pas infaillible. Il s'est trompé sur le cas de Viktor Ianoukovitch. Surtout il n'avait pas prévu de solution alternative. Il n'a pas intérêt à s'enferrer dans une narration du non retour. Personne en fait !

Comme tous les acteurs de cette séquence, la plus grave en Europe depuis la fin de la Guerre Froide, Il doit penser à saisir la chance d'une sortie de crise digne et économe de dommages collatéraux sans fin. Attention à une guerre de tranchée avec l'issue larvée de guerre civile. Comme un conflit Israëlo Palestinien entre Europe et Russie. L'Ukraine est une terre violente.

 Une course de vitesse pour le contrôle de la zone

Très attendus, impliqués ? Les USA semblent à peine durcir le concept du « leading from behind », leadership en retrait né à l'occasion de l'intervention en Libye et devenu depuis la doctrine diplomatique et militaire de la « Super Puissance Invisible » chère à Barack Obama. On pourrait même croire que l'histoire des USA s'écrit ailleurs désormais. L'enjeu énergétique contredit une analyse trop rapide et propose une vraie source d'éclairage. Les énormes réserves de gaz de schiste offrent aux USA et dès maintenant un autre paradigme d'influence et de business en Europe et notamment dans la zone que revendique Vladimir Poutine comme étant la sienne entre Union Européenne et Asie.

Les autorités américaines ont très récemment ouvert les vannes de l'exportation. Cela concerne les pays d'Europe et d'Asie. Même si les États-Unis ne possèdent, pas encore, les infrastructures permettant d'exporter en masse leur gaz, de nouveaux horizons s'ouvrent pour une production qui pourra, dans quelques années, être vendue, notamment aux pays ultra dépendants aujourd'hui de la livraison russe. Vladimir Poutine le sait. Il y a donc une course de vitesse pour asseoir influence et contrôle de la zone.

Obama ne dépassera pas les incantations, l'Allemagne en "front office"

Son opinion publique ne veut pas de conflit. Barack Obama ne pourra guère aller au delà des incantations, des manœuvres navales en Mer Noire, des sanctions aux portes monnaies des oligarques du premier cercle de Poutine. Face aux actes de Vladimir, les press briefings sans questions ne sont pas d'une grande puissance. Et personne ne croit vraiment à Washington que la nouvelle gouvernance Ukrainienne garantit légitimité encore moins stabilité. Il faut sans cesse le rappeler, ce sont des facteurs économiques et sociaux qui expliquent la nouvelle révolte ukrainienne ! Corruptions, mensonges, prévarications … Les résultats de la première révolution, dite « orange », de 2004, ont tourné court laissant une situation économique et politique totalement en friche seulement contrôlée par des oligarques prédateurs de l'économie du pays.

C'est donc du côté européen que l'on trouve une sorte de "front office" de la coalition. L'Allemagne mène la « conversation » avec la Russie. Choix des USA ? Pourtant l'Allemagne n'est pas l'Union Européenne.

L'Allemagne dépendante du gaz russe, une limite à la souveraineté européenne

Le 12 mars dernier, le Premier ministre polonais Donald Tusk, pourtant plutôt bien en cour à Berlin, a déjà dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : « La dépendance de l'Allemagne au gaz russe peut limiter réellement la souveraineté de l'Europe ». L'Allemagne est-elle la seule concernée ? Principal partenaire commercial européen de Moscou, elle importe un tiers de son pétrole et de son gaz de la Russie. Comme un symbole des intérêts croisés des deux pays, en particulier dans le secteur de l'énergie Gerhard Schröder, ancien chancelier social-démocrate, est à la tête de Nord Stream, l'une des principales filiales de Gazprom. Les patrons allemands, dans leur grande majorité, ne veulent pas de sanctions contre le partenaire russe. Certains militent même pour une zone de libre-échange de Lisbonne à Vladivostok !

Des diplomaties économiques isolées, bilatérales

Où sont les autres européens ? Dans une Maison Europe aux géométries d'alliances de plus en plus complexe. Nous ne sommes pas « européens » dans le réel. Je pense à notre stratégie énergétique, nos diplomaties économiques séparées, isolées, bilatérales, qui font la part belle à la puissance de la diplomatie Gazprom. Trop de blocs séparés, de défenses d'intérêts particuliers. Londres est déjà, depuis l'annonce des sanctions hier soir, soupçonné de double langage !

L'Union Européenne a commis l'erreur de développer son Partenariat oriental sans engager avec la Russie un dialogue réel. Nous faisons face à la situation la plus grave depuis la fin de la guerre froide. Elle pourrait faire exploser, le mot est fidèle, les bases géostratégiques sur lesquelles repose notre sécurité depuis 1991. Comment sérieusement penser « punir » Vladimir Poutine, lorsqu'on peine à le faire concrètement avec le seul Bachar el Assad ?

Et l'Ukraine n'est pas la Libye ! Personne ne pourrait, en Europe, entrer en force en Ukraine. Personne sauf la Russie ! Et attention aux mouvements déstabilisants d'autres acteurs ayant aussi des intérêts dans la zone, territoires chiites, Turquie … Henri Kissinger, Zbignew Brzezinski, ou Hubert Védrine, tous militent que l'on renoue le dialogue et pour une forme de « finlandisation » négociée de l'Ukraine. Cela implique d'ouvrir avec Moscou une vraie négociation de fond sur l'avenir du continent européen dans son ensemble. Pour cela il faut se rencontrer et se parler !

Quelle initiative française?

Et c'est là que nous attendons enfin une véritable initiative française. François Hollande aurait dû devancer Angela Merkel qui, ironie suprême, a appelé Vladimir Poutine depuis Paris ! La France doit s'incarner en puissance latérale, entraînant l'Union Européenne dans une diplomatie renouvelée, indépendante et holistique. Fort de sa relation historique à la Russie, nous devrions initier la matrice européenne et sa mise en œuvre. Non la suivre !

Une diplomatie de la raison et non de l'émotion. Une diplomatie qui cherche la Concorde dans une zone historiquement complexe d'un Monde multipolaire encore plus incertain et à l'équilibre fragile lui aussi. C'est de la paix en Europe et de notre influence dans cette Europe et dans le Monde de demain dont il s'agit. Là bien plus encore qu'en Libye, Syrie, Mali, ou Centrafrique. Sommes-nous encore capables de défendre nos intérêts ? En avons-nous la volonté ? Il est grand temps d'entendre la voix forte et attendue de la France dans cette crise, avant qu'elle ne soit définitivement entraînée dans une politique dangereuse qui n'est pas la sienne. Montrons le chemin de la Concorde !

 *Professeur associé à l'Université de Paris 1 la Sorbonne, Président de j c g a

Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals