Pourquoi l'euro n'a que des qualités et aucun défaut

Par Jean-Pierre Vesperini  |   |  1828  mots
Les partisans de l'euro refusent de voir les conséquences économiques désastreuses de cette construction monétaire. Dans le déni de la réalité, ils ne lui trouvent aucun défaut. Par Jean-Pierre Vesperini, professeur agrégé des Facultés de droit et des sciences économiques

Est-ce la proximité des élections européennes ? Ou la persistance de la dépression dans la zone euro alors que les grandes économies redémarrent ? Ou encore la poursuite de la hausse de l'euro en dépit d'une dépression qu'elle contribue à aggraver ? Quoi qu'il en soit, on assiste ces derniers temps à une offensive des partisans de l'euro dans les médias. Le Monde, par exemple, publie à quelques jours d'intervalle deux chroniques de ses journalistes pour défendre la monnaie unique. (cf. Claire Guéland, « L'euro fort n'est pas le seul problème », 16-17 février 2014 et Alain Frachon, « L'euro, la France et les magiciens », 21 février 2014).

Il est intéressant d'analyser l'évolution de l'argumentaire des partisans de l'euro au cours du temps.

Un argumentaire d'abord offensif

Avant son lancement, les partisans de l'euro utilisaient un argumentaire « offensif ». Ils mettaient en avant tous les avantages que les pays européens tireraient de l'euro. Une tribune cosignée par une panoplie de représentants de notre establishment («L'euro, une chance pour la France, une chance pour l'Europe», Le Monde, 28 octobre 1998) affirmait ainsi que l'euro devait apporter la croissance, assurer « une gestion saine des finances publiques » et faire « naître des solidarités nouvelles dans les domaines sociaux, culturels et politiques ».

L'échec retentissant en matière de croissance

Aujourd'hui, les partisans de l'euro ne peuvent plus avancer ces arguments pour vanter les mérites de l'euro. S'agissant de la croissance, l'euro affiche un échec retentissant : la zone euro a ainsi été l'année dernière la seule région du monde à ne pas connaître de croissance. Contrairement aux promesses, l'adoption de l'euro s'est accompagnée d'un effondrement de la croissance en France et dans les pays du Sud de l'Europe. La cause essentielle de cet effondrement réside dans la perte de leur compétitivité qui résulte elle-même du système de taux de change complètement inadapté que l'euro leur impose.

Une perte de compétitivité par rapport à l'Allemagne, et aux pays extérieurs à la zone

Ce système leur a en effet fait perdre leur compétitivité par rapport à l'Allemagne parce que leurs coûts salariaux unitaires ont augmenté plus vite qu'en Allemagne sans pouvoir compenser cette augmentation par une variation du taux de change puisque l'euro leur impose un taux de change fixe par rapport à l'Allemagne. Il leur a fait perdre également leur compétitivité par rapport aux pays extérieurs à la zone puisque l'euro s'est apprécié par rapport au dollar, donc aux monnaies liées à lui. Ensuite, au lieu d'une « gestion saine des finances publiques », nous avons eu le défaut de la Grèce, les menaces de faillite de l'Irlande et du Portugal, le maintien de déficits publics élevés et la montée continue des dettes publiques par rapport au PIB en France et dans les pays du Sud. Enfin, au lieu des « solidarités nouvelles », nous avons droit à un étalement des égoïsmes nationaux et même à la renaissance de vieilles rancunes que l'on croyait oubliées. 

 L'argumentaire désormais défensif

Tous les arguments mis en avant lors de la création de l'euro doivent donc être remisés. Mais qu'à cela ne tienne. L'imagination et le talent dialectique des partisans de l'euro sont sans limites D'« offensif » leur argumentaire est désormais devenu « défensif ». 

Pour continuer à soutenir leur idole, ils adoptent un argumentaire qui comporte deux lignes de défense. La première consiste à relativiser le rôle du taux de change dans la compétitivité d'un pays. Ce qui compte, nous expliquent-ils, ce n'est pas tant le prix des produits que leur qualité. Par conséquent, au lieu de se plaindre de la cherté de l'euro, les industriels feraient mieux d'améliorer la qualité de leurs produits. On ne peut évidemment qu'approuver ce bon conseil. Le problème est que pour améliorer la qualité d'un produit, il faut faire de la recherche et investir, et que pour faire de la recherche et investir, il faut d'abord faire des profits. Ce qui nous conduit au problème N°1 de l'économie française qui est l'extrême faiblesse des profits dégagés par les entreprises. Les raisons qui expliquent cette faiblesse sont multiples.

Les nombreuses erreurs de politique économique en France

Elles tiennent d'abord aux nombreuses erreurs de politique économique commises par les différents gouvernements au cours des dernières années (loi sur les 35 heures, politique fiscale favorisant les ménages au détriment des entreprises sous la présidence Chirac, hausse massive des impôts sur les entreprises au début de la présidence Hollande). Mais à côté de ces erreurs, la surévaluation de l'euro, apparue en France à partir de 2003, a eu un effet dévastateur sur le taux de marge et par conséquent sur les profits des entreprises.

Pour pallier les conséquences de la surévaluation de l'euro et éviter de perdre trop de parts de marché, les entreprises françaises ont sacrifié leurs marges. De sorte que, dire aux entreprises : « L'euro trop fort n'est pas le problème. Vous devez améliorer la qualité de vos produits» est une pétition de principe absurde puisque c'est précisément à cause de l'euro surévalué que les entreprises sont privées des profits nécessaires pour financer les investissements et la recherche qui leur permettraient de monter en gamme.

L'euro s'apprécie, même face au yuan, jugé unanimement sous-évalué

 La seconde ligne de défense des partisans de l'euro consiste tout simplement à nier que l'euro soit surévalué. Peu importe que la BCE ait réussi cet exploit de laisser l'euro s'apprécier de 11,5 % depuis le début 2002 par rapport au yuan que le monde entier juge outrageusement sous-évalué. Peu importe que les industriels qui produisent le même bien dans la zone euro et hors zone euro fournissent la preuve quantifiée de la surévaluation de l'euro. Peu importe que la quasi-totalité des grandes entreprises françaises (Michelin, Lafarge, Saint-Gobain, Air Liquide, Arianespace, Airbus, Schneider etc) aient toutes dénoncé au moment où elles ont publié leurs résultats « la surévaluation manifeste de l'euro » et ses effets délétères sur leurs chiffres d'affaires comme sur leurs profits.

La justification de la passivité gouvernementale

Tous ces avis comptent pour rien, aux yeux de nos défenseurs de l'euro. Ils préfèrent accorder leur confiance à des personnes beaucoup plus compétentes et trouver une apparence de caution scientifique dans une note récemment publiée par le Conseil d'analyse économique (L'euro dans la guerre des monnaies, janvier 2014) qui justifie la passivité du gouvernement face à la surévaluation de l'euro pour notre économie. D'après cette note, en effet, « L'euro n'est vraisemblablement pas surévalué au regard des fondamentaux de long terme ».

Quels sont ces fondamentaux ? La note en cite deux : d'abord, la comparaison entre le taux de change effectif réel actuel de l'euro et sa moyenne au cours d'une période donnée. Cette comparaison est évidemment dépourvue de rigueur puisqu'elle dépend du choix arbitraire de la période sur laquelle on calcule cette moyenne. Plus important, il n'y a aucune raison pour que le taux de change constaté aujourd'hui doive être égal à la moyenne des taux de change constaté au cours d'une période passée puisque le taux de change est la résultante d'une multitude de causes agissant dans le pays considéré comme dans les pays avec lesquels il commerce et qui évoluent constamment.

Le jugement sur la surévaluation de l'euro n'a de sens que pour un pays donné

Le second fondamental cité a plus de sens a priori : il s'agit de l'évolution de la position extérieure nette de la zone euro, c'est-à-dire de l'évolution de la différence entre les actifs et les dettes accumulés par la zone. On comprend en effet qu'une amélioration continue de la position extérieure nette d'un pays soit le signe d'une sous-évaluation de son taux de change. C'est le cas par exemple de la Chine et de l'Allemagne. Inversement, la détérioration continue de la position extérieure nette d'un pays est le signe de la surévaluation de son taux de change. C'est le cas de la France. Mais si l'application de ce fondamental est justifiée pour juger le taux de change d'un pays, elle est au contraire complètement injustifiée dans le cas de l'euro qui n'est pas la monnaie d'un pays, mais d'un agrégat de pays.

Que constate-t-on en effet ? L'accumulation d'excédents de l'Allemagne a été compensée par les déficits ou faibles excédents de la France et des pays du Sud, de sorte qu'il n'y a pas eu de variation importante de la position extérieure nette de la zone euro dans son ensemble. En conclure, comme le fait la note, que dans ces conditions, on peut considérer que le taux de change de l'euro est correctement évalué, n'est évidemment pas rigoureux. Juger du taux de change de l'euro dans l'absolu n'a en effet pas de sens. Ce jugement n'a de sens que relativement à un pays donné.

Pour l'Allemagne, l'euro est sous-évalué, mais il est surévalué pour la France

On voit au regard de l'amélioration constante de la position extérieure de l'Allemagne, que pour elle, l'euro est nettement sous-évalué, ce qui lui permet d'avoir des exportations florissantes qui stimulent sa croissance, de connaître le plein-emploi et d'équilibrer ses finances publiques. En revanche, la détérioration de la position extérieure nette de la France est le signe que pour elle, l'euro est surévalué, ce qui freine ses exportations, donc sa croissance, l'empêche de réduire le chômage et d'améliorer ses comptes publics.

 Un discours qui relève de la subjectivité politique

L'analyse de l'évolution de l'argumentaire des partisans de l'euro montre qu'aux promesses imprudentes et fallacieuses (la croissance, la stabilité financière, la concorde) ont succédé les raisonnements spécieux (le taux de change n'est pas si important) et les dénis de réalité (l'euro n'est pas surévalué). En fait, le discours des partisans de l'euro ne se situe jamais dans le domaine de la rationalité économique, mais dans celui de la subjectivité politique. Ses partisans veulent l'euro non pas tant pour ses improbables vertus économiques, quoiqu'ils l'aient toujours prétendu, mais surtout parce qu'ils veulent l'avènement d'une Europe fédérale qui a besoin d'une monnaie unique pour exister.

Les partisans de l'euro ont été de mauvais économistes en ne prévoyant pas les effets catastrophiques que sa création engendrerait dans les économies européennes. Ils sont aussi de mauvais analystes politiques en s'imaginant que les nations européennes pourront facilement disparaître et se fondre dans une utopique Europe fédérale.