Face à la mondialisation, une France schizophrène

Par Olivier Babeau  |   |  715  mots
Dans le dossier SFR-Numericable, le gouvernement affiche une fois de plus une attitude schizophrène, face à un investisseur étranger: une attitude punitive et comminatoire contredit la volonté affichée d'ouverture. Par Olivier Babeau, professeur, université Paris 8

« Mais que diable allait-il faire dans cette galère ? » pourrait-on dire pour paraphraser Molière. En affirmant au micro d'Europe 1 qu'il soutenait l'offre de Bouygues, quelques heures avant que SFR annonce choisir celle de Numéricâble, M. Montebourg a fait l'éclatante démonstration de la vanité de ses prétentions à disposer d'une influence sur les évènements. Mais le plus inquiétant n'est pas que de tels propos ait pu être tenus ; le plus inquiétant est qu'ils ne sont probablement même pas regrettés. Il y aurait urgence pourtant à prendre conscience de l'œuvre terrible de décrédibilisation de la parole politique qui s'opère à travers de telles saillies.

Une logique de communication gouvernementale qui est celle de l'émotion

Cet épisode quelque peu ridicule illustre le décalage dont nos gouvernants font preuve lorsqu'ils traitent les questions économiques, abordant avec la logique de la communication, qui est celle de l'émotion et des représentations simplistes de la réalité, des affaires qui se traitent en rationalité. SFR, tout simplement, a pensé que l'offre de Numéricable était stratégiquement la plus intéressante pour permettre son succès à long terme. Le groupe y trouvera non seulement la possibilité d'exploiter des synergies entre activités fixe et mobile pour le développement d'une offre de Très Haut Débit, mais aussi de renforcer l'efficacité de sa présence sur le segment de clientèle entreprise.

Les propos d'Arnaud Montebourg à l'image d'une France schizophrène

Sur le marché difficile et concurrentiel des télécoms, où les technologies et la demande évoluent très rapidement, la capacité de proposer à moindre coût une offre de pointe s'adressant aux grands segments de clientèle est décisive pour la conservation des parts de marché et des marges. C'est sans doute difficile à comprendre pour un responsable politique, mais un chef d'entreprise qui soumettrait ses choix stratégiques fondamentaux au maintien momentané des emplois où aux imprécations moralisatrices de tel ou tel tribun serait un pauvre dirigeant. Il mettrait son entreprise en péril. Les propos de M. Montebourg sont à l'image d'une France schizophrène qui dit vouloir s'ouvrir tout en restant essentiellement sur le mode comminatoire face aux acteurs étrangers.

Un message brouillé vis à vis de l'extérieur

Ce nouvel épisode vient brouiller un message français en direction de l'extérieur qui avait déjà multiplié les signaux contradictoires, les déclarations à l'emporte-pièce contre Mittal alternant avec des accolades présidentielles aux entrepreneurs et des réunions chaleureuses avec les représentants des grandes sociétés du Net. C'est probablement sur le terrain des impôts que les contradictions sont les plus flagrantes. Les annonces d'allégements de charges promises sont un bien maigre contrepoids à l'incroyable créativité fiscale dont l'Etat fait preuve. Les annonces lénifiantes de remise à plat fiscal rapidement oubliées sont remplacées par une singulière agressivité vis-à-vis des acteurs extérieurs, parmi lesquels au premier chef les investisseurs étrangers, en particulier dans le numérique et les télécoms.

Un registre punitif

Procédures juridiques, dénonciation publique, menaces de contrôle fiscal, nos gouvernants adoptent un registre avant tout punitif, comment s'étonner alors que les « mains tendues » ne trouvent guère d'échos ? Comment paraître accueillant aux investisseurs extérieurs quand nous n'avons à la bouche que des soupçons de malhonnêteté et de malfaisance les concernant ? Les exigences très rigides exprimées dans le dossier Numéricable sont d'autant plus étonnantes qu'en janvier dernier Mme Pellerin avait salué sans réserve l'acquisition du Français Neolane par Adobe, une société qui n'est pas la dernière à pratiquer l'optimisation fiscale !

A une mondialisation qui nous effraie, nous opposons un rêve d'autarcie et un fantasme de contrôle total. Si y renoncer est très difficile à nos gouvernants, c'est peut-être que vivre dans un monde où consommateurs, entreprises et investisseurs peuvent arbitrer leurs choix en faisant fi des frontières révèle de façon pénible les insuffisances de notre pays. Il est alors rassurant, plutôt que de se comparer, de se convaincre que le politique est omnipotent et peut dicter ses conditions à tous ceux qui agissent sur notre territoire.