Les sophismes et dangers des thèses anti euro

Par Jean-Marc Daniel  |   |  1094  mots
Les attaques contre l'euro sont récurrentes. Elles alimentent un argumentaire économique qui ne tient pas la route: l'inflation et la dévaluation, que pourraient amener un retour au franc, n'apporteraient aucun bienfait à l'économie. Par Jean-Marc Daniel, professeur associé à l'ESCP-Europe

La revendication de la sortie de la zone euro a ceci de commode que comme désormais cette option est improbable, la porter permet d'affirmer haut et fort que nous sommes victimes de l'aveuglement européiste de nos dirigeants et de ne pas aller au-delà dans les réflexions sur les raisons réelles et objectives du ralentissement de notre croissance.

Il ne faut pas pour autant négliger ces attaques récurrentes contre l'euro et n'y voir que la recherche du confort mondain qu'offre toute position marginale. Celles-ci viennent en premier lieu d'une sourde alliance entre les eurosceptiques, la presse anglaise emmenée par le Financial Times et une partie de l'administration américaine, désireuse de se défaire une fois pour toutes d'un rival du dollar, qui hurlent à l'hallali, avec la complicité plus ou moins volontaires de ce que Lénine appelait les « idiots utiles », intellectuels soutenant sans en mesurer les conséquences un combat qui les dépasse. Mais elles se nourrissent d'un argumentaire économique qu'il faut analyser finement pour en dénoncer les dangers et les sophismes.

Retrouver le triangle de Mundell

Quel serait le premier argument en faveur d'un retour au franc ? Incontestablement la volonté de récupérer notre autonomie de politique monétaire et notre capacité à déterminer notre taux de change. Or ce que montre alors la théorie économique au travers du théorème des incompatibilités de Mundell, c'est qu'il faudrait restaurer le contrôle des changes. La population a-t-elle vraiment la nostalgie des moments où sa liberté de voyager était limitée par ce type de contrôle ?

Ecartons donc le contrôle des changes et ne gardons que la volonté de retrouver la maîtrise de la politique monétaire. Cela ne pourrait avoir de sens que pour rompre avec l'actuelle politique monétaire, c'est-à-dire pour s'engager dans une recherche systématique d'inflation, avec du fait de l'absence de contrôle des changes, une glissade concomitante du taux de change. Ce sont les bienfaits supposés de ce couple inflation/dévaluation qui fondent l'essentiel des justifications avancées par les partisans d'une sortie de la zone euro.

L'inflation: un leurre, ou une façon d'amputer le pouvoir d'achat

Revenons donc sur l'inflation. Comme le disait naguère le syndicaliste André Bergeron, elle donne du « grain à moudre ». Mais à l'époque même d'A Bergeron, les syndicats disaient : « les prix et les salaires montent en parallèle mais les prix prennent l'ascenseur et les salaires l'escalier » …. L'inflation est en fait un leurre qui ampute le pouvoir d'achat au point que certains économistes parlent d' « impôt d'inflation ».

On peut néanmoins trouver une utilité à l'inflation en ce sens qu'elle efface les dettes, notamment la dette publique. Cet argument est cependant de plus en plus fragile car d'ores et déjà 10% de la dette publique est indexée sur les prix, comme naguère certains emprunts étaient indexés sur l'or.

Un taux d'intérêt nul sur la dette publique conduirait à renchérir les taux dans le secteur privé

Enfin, l'inflation forte finit par signifier taux d'intérêt de plus en plus haut. Pour éviter les conséquences de cette hausse sur la charge de la dette, certains, développant assez souvent une argumentation plus ou moins paranoïaque sur la loi sur la Banque de France de 1973, voient dans le retour au franc la possibilité d'un retour aux assignats, c'est-à-dire à un financement à taux zéro du déficit budgétaire. Comme les partisans de cette politique se réclament de Maurice Allais, rappelons-leur que celui-ci a établi que l'optimalité de la croissance repose sur l'égalité entre le taux d'intérêt moyen dans l'économie et le taux de croissance.

De ce fait un taux nul sur la dette publique conduit automatiquement à un renchérissement du taux d'intérêt pour les entreprises et ipso facto à un ralentissement des investissements. Il est vain de chercher à manipuler les taux d'intérêt sauf à s'engager de plus en plus dans une économie administrée dont les libertés économiques et publiques finissent par faire les frais.

Les effets positifs des dévaluations rapidement grignotés par l'inflation

Si la dévaluation conduit à l'inflation par renchérissement du coût des importations, on lui attribue le mérite de favoriser les exportations et par ce biais la croissance. C'est oublier que les gains à l'export des dévaluations compétitives de naguère étaient rapidement grignotés par l'inflation. Si bien que pour en garder les bénéfices, on les accompagnait d'une politique monétaire restrictive et plus généralement d'une politique d'austérité qui n'avait rien à envier à celles mises en œuvre en Europe du sud et à laquelle les partisans de la sortie de la zone euro prétendent vouloir échapper. Plus généralement une dévaluation signifie une baisse des termes de l'échange, c'est-à-dire une perte de pouvoir d'achat de l'heure de travail national et donc en conséquence une forme de cadeau aux acheteurs étrangers que rien ne justifie.

Une explosion de la facture pétrolière

Une des traductions les plus évidentes de cette perte de pouvoir d'achat est l'évolution de la facture pétrolière. En cas de dévaluation celle-ci exploserait dans des proportions donnant à l'écotaxe que dénoncent les bonnets rouges le statut d'anodine ponction…En revanche, aujourd'hui en France, en un an, la hausse de 6,5% de l'euro par rapport au dollar a permis une baisse à la pompe de 10 centimes par litre de carburant et une réduction de notre déficit commercial de 5 Mds €.

Signalons enfin qu'à propos des dévaluations et des mesures protectionnistes, les économistes théorisent l'effet Stolper Samuelson. Celui-ci en décrit certaines conséquences nocives. On peut en résumer le mécanisme en remarquant que, quand les secteurs industriels abrités profitent d'un taux de change minoré pour soit augmenter leurs prix soit améliorer leurs parts de marché, ils n'utilisent pas la situation pour préparer l'avenir sous forme d'investissements. Ils consacrent les moyens supplémentaires ainsi obtenus à maintenir un volant important de travail non qualifié. Les facilités apparentes offertes par la compétitivité liée à la dévaluation se gaspillent dans la distribution instantanée de revenus, distribution d'autant plus fréquente qu'elle est rendue nécessaire par l'inflation importée.

Gardons donc l'euro car sa disparition constituerait un cataclysme politique qui se combinerait, quoi qu'en pensent certains avec une explosion inflationniste dont personne ne sortirait indemne.