Chine-Etats-Unis-France : de l’ombre à la lumière ?

Etats-Unis et Chine bâtissent une véritable relation entre grande puissance. Et la France, que peut-elle espérer du commerce avec les chinois? par Laurent Malvezin, La lettre de Chine de SSF

On se pose la question du retour de la « guerre froide » avec la crise ukrainienne en ce que la violence à l'état brut nous y fait penser. On y voit en outre une régression du système des alliances de défense qui ont prévalu durant le XXème siècle ce qui constitue une différence majeure avec cette période.

Quelle transparence réelle?

Il est vrai qu'une même opacité règne et les actions des États échappent toujours à la sphère publique et même médiatique, malgré les pressions vers plus de « transparence », concept élevé en parangon de vertu à l'ère numérique et démocratique. Mais la règle du secret a la dent dure. A l'instar de, par exemple, le règlement de la crise des missiles de Cuba en 1962, où le deal passé entre Kroutchev et JFK de démanteler les missiles de Cuba contre le retrait des missiles Jupiter en Turquie ne fut rendu public que 6 mois après pour laisser la face aux Russes, nous ne voyons que ce qui nous est proposé de connaître de l'axe Moscou-Pékin, ou des trade-off entre Washington et Moscou au sujet de la Syrie ou de l'Ukraine.

La question de l'espionnage et la concurrence internationale passe de l'ombre à la lumière

Dans le même temps, les stigmates d'un autre type de relations internationales apparaissent au grand jour: certains sujets jadis frappés du sceau absolu du secret, celui de l'espionnage et de la concurrence internationale, passent de l'ombre à la lumière. Cela bouleverse à la fois le travail diplomatique lui-même, mais aussi les perceptions et l'équilibre des forces, alors que l'on tenait cette dimension comme vouée à rester souterraine et donc absente de l'agenda politique et médiatique. En parallèle, la réalité même de l'existence même d'une communauté internationale partageant les mêmes valeurs est questionnée. Elle ne serait plus celle que l'on croyait, celle du droit positif entraînant avec elle tous les États dans une longue marche irréversible vers une « convergence démocratique » irréversible.

La cybercriminalité, sujet de discussions stratégiques

Certains sujets nouveaux font leur apparition : la cybercriminalité par exemple, en parallèle de la révolution des industries du numérique. Il est intéressant de noter que les Etats-Unis ont réussi à retourner la situation à leur avantage, malgré l'affaire Snowden ce qui constitue un tour de force, en obligeant la Chine à inscrire la cyber menace au menu des discussions stratégiques entre les deux pays, ce que la Chine ne voulait pas. Autre dimension nouvelle : la concurrence commerciale internationale. L'OMC paye le prix fort de son succès. Après la Chine, la Russie l'a courtisée. Son organe de règlements des différends commerciaux (ARD) est un franc succès. Malgré cela, l'impossibilité de boucler les accords dits de Doha, obligent les grandes puissances à inventer une ingénierie commerciales alternative et une stratégie de « contournement » que sont les accords de libre-échange.

Une stratégie d'évitement des décisions de l'OMC, véritable jeu du chat et de la souris

La rivalité entre la Chine et les USA se mue en une course poursuite inédite entre le projet de TTP (Trans-Pacific Partnership) et son challenger le RCEP (Regional Comprehensive Economic partnership) piloté par la Chine. C'est à celui qui saura gagner les faveurs d'un plus grand nombre d'Etats pour attirer le plus grand nombre de projets d'investissements sur son sol d'une part et assurer des débouchés pour ses propres produits d'autre part.

Cette nouvelle forme de compétition sur les marchés non encore saturés met sous les projecteurs un nouveau type de stratégie d'évitement des mesures correctives décidées par l'OMC. En 2012, les produits photovoltaïques chinois produits donc en Chine avaient été surtaxés suite à une enquête anti-dumping et anti-subvention. Le même plaignant américain, le producteur US Solarworld a déposé en début d'année une nouvelle plainte au Département du Commerce américain car il s'est aperçu que depuis lors, les fabricants chinois avaient délocalisé une grande partie de sa production à Taiwan pour échapper aux sanctions.

Ce jeu du chat et de la souris, dont la Chine n'est pas le seul protagoniste, n'est pas nouveau sur le fond - les normes européennes ont été contournées de la même façon par la Chine par le biais de leurs bases « off shore » de réexportation en Afrique notamment, et l'exterritorialité des lois américaines n'est plus à prouver - mais il devient quasi-systématique. Quelle valeur accorder dans ce contexte aux discours de « mutual trust » et de « gagnant-gagnant », tant au niveau international que bilatéral ?

Des lanceurs d'alerte hors de tout contrôle

Une autre rupture avec la « guerre froide » est celle du numérique et de ses créatures largement hors contrôle que sont les lanceurs d'alerte. Cette pression pour davantage de transparence - les « leaks » - pose des questions plus profondes sur les politiques publiques des Etats concernés. En outre on peut s'interroger sur le lien entre les révélations visant les avoirs de certaines familles de dirigeants chinois avec l'abandon de la politique d'émigration économique du Canada, frappant majoritairement les riches patrimoines chinois.

Plus largement, la liberté de circulation des capitaux et des personnes dans une économie où le recours à l'arme économique et les sanctions financières deviennent de plus en plus fréquentes et ciblées, est remise en cause. Dans la crise ukrainienne aussi, après l'Iran, le gel des avoirs à l'étranger d'une catégorie de personnalités russes apparaît désormais dans l'arsenal régulier d'une nouvelle « riposte graduée ».

Les Etats-Unis et la Chine se mettent d'accord sur le développement conjoint de leur puissance

La célébration des 35 ans de relations diplomatiques entre Pékin et Washington a été marquée, en février dernier, par une volonté commune de renforcer cette relation de « grandes puissances » mâtinée de respect et de crainte réciproque. La cybermenace n'est plus taboue, la rivalité économique non plus. L'affirmation d'un rêve chinois, en écho à "l'american dream" réaffirmé dans les années 30, est donc la recherche d'une attractivité nouvelle. Un proverbe chinois dit : « partager le même lit mais pas le même rêve », pour signifier que l'on peut se dire partenaire, mais caresser des objectifs différents de part et d'autre. Les Etats-Unis et la Chine ne font pas chambre commune, mais se mettent d'accord sur le développement conjoint de leur puissance. Peut-être se sont-ils mis d'accord sur un objectif diplomatique commun cette fois-ci : le cas de la Corée du Nord.

 Les priorités chinoises en matière de partenariat: Etats-Unis, et Japon... pas la France

Qu'en est-il du rêve chinois - la renaissance de cette civilisation multimillénaire - et du « nouveau rêve français » comme l'a formulé Xi Jinping dans une tribune publiée le 24 mars dernier ("Entre la Chine et la France, un partenariat mutuellement profitable"), pour marquer le cinquantenaire de la relation diplomatique franco-chinoise ?

Si la résorption des déséquilibres commerciaux semble avoir été le message fort passé de l'ombre des télégrammes diplomatiques à la lumière des communiqués de presse officiel côté français, qu'en est-il côté chinois ? Les partenariats dans le nucléaire, l'aéronautique sont qualifiés de « structurants » par la France et de « traditionnels » par la Chine. Des trois secteurs clés des années 2005, le secteur ferroviaire a donc disparu. L'antériorité de la coopération dans le nucléaire a été citée, mais au même titre que... l'ouverture de la première ligne aérienne directe entre les deux pays. Quand on lit le discours du patron de l'Agence nationale à l'énergie (ANE), en janvier dernier, traçant les partenariats prioritaires - « structurants » - pour l'économie chinoise pour 2014, seuls ceux développés avec les Etats-Unis et le Japon sont mentionnés.

 France: aller au delà des grands contrats avec la Chine

Il y a quelques années, les Etats-Unis et la Chine avaient atteint un stade avancé de « mistrust » ou de manque de confiance partagée que les deux administrations avaient reconnu comme faisant partie de l'équation bilatérale. Si les partenariats de long terme ne requièrent pas nécessairement de partager une vision du monde commune, la recherche d'une méthode pour avancer ensemble n'en demeure pas moins une condition importante des échanges. L'étroitesse de la base bilatérale des échanges, faite de grands contrats, laissera-t-elle la place  à une prolifération de projets et de partenariats d'un genre nouveau incarnés par les besoins d'internationalisation des ETI françaises et chinoises ?

Cela en prend le chemin, avec dans le domaine financier de nouveaux fonds franco-chinois portés haut par la Caisse des Dépôts (CDC) et la China Development Bank (CDB), ou l'organisation d'un Forum 1000 PME à Chengdu en septembre prochain. A moins que le déclic ne vienne de l'étage au dessus, au niveau des relations sino-européennes avec un possible accord sur les investissements, ouvrant la voie à d'autres négociations plus difficiles comme un futur traité de libre-échange entre les deux puissances économiques.

En parallèle, la recherche de la meilleure « méthode » pour aller à l'international et appuyer ses entreprises dans la compétition mondiale bat son plein, en France avec la fusion de Ubifrance et de l'AFII, et côté chinois une remise en cause profonde de la politique d'internationalisation dite de « go abroad » des grandes et moins grandes entreprises chinoises qui ne possèdent pas toutes la culture ni les attributs pour réussir leurs investissements hors de leurs bases. Tant et si bien qu'une volonté commune entre la France et la Chine d'étudier leurs complémentarités et leur intérêt commun sur des marchés tiers, à défaut de s'obstiner à partager une vision commune, semble avoir fait son chemin et s'inscrit désormais noir sur blanc dans les comptes-rendus des chancelleries.

Angela Merkel aurait dit de Poutine, après une conversation téléphonique sur la crise en Ukraine, qu'il était « dans un autre monde », un monde alternatif imaginé. Espérons que la relation sino-américaine et franco-chinoise n'ait pas été augmentée par de nouveaux contenus alternatifs à défaut de s'entendre sur les fondamentaux. Et souhaitons que les dirigeants chinois, Américains et Français partagent bien sinon le même sens des réalités au moins les mêmes objectifs pour leur croissance et celle du monde.

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Commentaires 3
à écrit le 01/04/2014 à 12:20
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L'article est intéressant... mais écrit avec les pieds !

à écrit le 01/04/2014 à 8:18
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Encore un carcan technico-politique C du vent , la seule chose à savoir c que quand le marché chinois sera complétement ouvert , c lui qui controlera le monde....

à écrit le 31/03/2014 à 20:55
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Accord economique pour monde meilleur? Www.4AM.TW Ne soyez pas naïf!

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