Ce que peut représenter l'économie du savoir aujourd'hui

L'économie du savoir recouvre plusieurs dimensions, dont une tension grandissante dans les entreprises, entre le temps nécessaire pour la recherche et une course effrénée à l'innovation. Par Jean-Pierre Bouchez, chercheur au Laboratoire Larequoi, Université de Versailles

L'usage du concept d'économie du savoir, a fait l'objet de nombreuses déclarations, discours ou publications depuis la décennie 1990. Force est de constater que ce terme devient largement banalisé et protéiforme. Aussi, un angle d'approche éclairant consiste à identifier ses principaux pôles ou composantes, d'en saisir leurs interactions, et d'en souligner l'équilibre fragile, ainsi que les tensions et les enjeux.

 L'économie du savoir à travers ses composantes

Quatre pôles peuvent ainsi être identifiés. Le savoir, naturellement en premier lieu, qui traduit une réalité constatée par une large majorité de chercheurs et de praticiens : la pénétration grandissante du travail intellectuel dans les firmes et son incorporation dans les produits et services, qu'ils soient ordinaires ou sophistiqués, où l'innovation tient désormais une place prépondérante. Les finances notamment marquées par la phase du basculement vers la « main invisible » du marché, la « grande transformation » du capitalisme et le retour de nouveaux propriétaires.

Les nouvelles technologies de l'intellect (NTI), dans le prolongement des travaux de l'anthropologue Goody sur l'écriture, qui se réfère pour nous, à tous les outils et prothèses dont nous faisons usage pour accroître, amplifier, et accélérer nos capacités cognitives. Le pôle territorial enfin, fondé sur les économies d'agglomération, socle en quelque sorte des autres pôles, qui renvoie au phénomène de concentration des activités intensives en connaissances, le plus souvent au sein de grandes métropoles réputées, favorisant le brassage formel ou informel des savoirs et des idées.

 Des composantes fortement interactives

Ces différents pôles sont en constante interaction. S'agissant des pôles du savoir et des NTI, leurs combinaisons contribuent ainsi logiquement à favoriser la croissance et la diffusion du savoir et à en générer de nouveaux, soulignant par là même, sa dimension cumulative. Les pôles des finances et du savoir s'auto-alimentent également, avec toutefois des tensions. Ainsi, le premier constitue un levier capable de fournir les capitaux nécessaires, susceptible de valoriser le pôle du savoir dans une perspective marchande. C'est par exemple le rôle des sociétés de capital-risque, s'agissant du financement d'innovations considérées comme prometteuses.

L'entreprise, à la fois actif financier et actif cognitif

Plus généralement, les actionnaires et les dirigeants des grandes firmes, incitent leurs départements R&D à réduire le délai stratégique du fameux time to Market, en accroissant la prise de risque dans cette course effrénée vers l'innovation. Cette échelle de temps différente est fréquemment l'objet de tensions entre ces deux actifs. Mais en retour, le pôle du savoir bénéficie des retombées commerciales associées à cette valorisation. L'entreprise peut ainsi être décrite comme un objet hybride : actif financier au regard des investisseurs, mais aussi actif cognitif, censé produire des innovations à un rythme de renouvellemement de plus en plus élevé.

Enfin, s'agissant des interactions entre NTI et finances, les premières permettent à travers leur multiples dispositifs, combinés avec leur puissance de calcul, de transmettre aux en temps réel aux différents acteurs financiers planétaires, un nombre quasi infini d'informations financières, générant une quantité considérable d'opérations aux montants de plus en plus élevés. En retour, les NTI bénéficient des traitements associés à la finance de marché, qui ont contribué à leur développement. Elles sont à présent devenues des industries intensives en connaissances.

 

Un équilibre fragile

On soulignera pour conclure, que cette dynamique repose souvent sur un fragile équilibre comportant des tensions et des enjeux, plus spécifiquement localisés dans trois domaines. D'abord, la tentation de la "centration" du pôle financier sur les seules opérations à des fins totalement spéculatives à risque, l'accumulation de ses savoirs complexes ayant contribué à des abus aux effets quasiment planétaires conséquents.

En témoignent les activités centrées sur la spéculation à court terme, déconnectées de l'économie réelle ayant généré quelques affaires, comme Parmalat, Enron, Lehman Brothers, ainsi que la crise des subprimes. Ensuite, nous avons souligné, une forte incitation à l'innovation vis-à-vis notamment des chercheurs et des créatifs. Enfin, plus globalement, il faut relever une tendance générale à la privatisation du savoir. Un seul exemple : la prise de brevets dans le cadre du contexte concurrentiel exacerbé en vient parfois à stopper, ou à freiner, l'exploitation de l'innovation, alors que son objectif est précisément de la stimuler...

Un levier fiscal pour stimuler l'investissement orienté vers la connaissance

Néanmoins, quelques pistes peuvent être ici simplement citées sur ce dernier point, pour en limiter les effets : sanctuariser les dépenses d'investissement public de R&D ; mobiliser un levier fiscal de manière à stimuler plus fortement l'investissement orienté vers la connaissance ; accroitre le montant des ressources des institutions françaises dédiées au financement de projets prometteurs ; et de manière plus générale, considérer le savoir comme un « bien public mondial » comme l'a suggéré déjà l'UNESCO, permettant une circulation du savoir sur la totalité de la planète. Mais les enjeux en la matière restent considérables.

 

 Jean-Pierre Bouchez

Chercheur au Laboratoire Larequoi, Université de Versailles

Directeur Recherche & Innovation, et consultant, IDRH

Dernier ouvrage publié : L'économie du savoir, construction, enjeux et perspectives (De Boeck).

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Commentaires 4
à écrit le 10/04/2014 à 14:46
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Au dernier paragraphe, nous pouvons lire "considérer le savoir comme un « bien public mondial ». Faut-il entendre dans cette injonction, l'interdiction du secret des affaires et l'abolition de la propriété intellectuelle (brevet, droit d'auteur,...)...

à écrit le 10/04/2014 à 6:34
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En France, le savoir, la connaissance, le QI ne sont pas des compétences. on voit le résultat ...

le 11/04/2014 à 14:19
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Le savoir et la sagesse sont les piliers de l'humanité, l'inculture et la légèreté sont celles de nos managers.

à écrit le 09/04/2014 à 17:27
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Ne pas penser, ne pas savoir, ne pas réfléchir: du chiffre.

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