Ukraine : l’Arsenal financier de l’Occident suffira-t-il ?

Les armes économiques sont les seules qui ont été envisagée pour sanctionner la Russie de son expansion en Ukraine. Mais sont-elles seulement suffisantes ? Par Harold James, professeur d'Histoire à Princeton.

La révolution en Ukraine et l'annexion illégale de la Crimée par la Russie ont entrainé une grave crise de sécurité en Europe. Mais, dans la mesure où les dirigeants occidentaux tentent un nouveau genre de guerre financière, la situation pourrait devenir d'autant plus dangereuse.

Une Ukraine démocratique, stable et prospère représenterait une constante irritation  - et un reproche - pour la Fédération de Russie autocratique et économiquement sclérosée du président Vladimir Poutine. Pour éviter une telle situation, Poutine tente donc de déstabiliser l'Ukraine, en prenant la Crimée et en fomentant un conflit ethnique à l'est du pays.

 

L'influence de Poutine 

Dans le même temps, Poutine tente de relancer l'attrait de la Russie en doublant les pensions des citoyens de Crimée, en augmentant les salaires des 200 000 fonctionnaires de la régions et en y construisant de larges infrastructures dans le style de celles de Sotchi, dont un pont sur le détroit de Kertch pour un budget de 3 milliards de dollars. La viabilité à long terme de cette stratégie est douteuse, puisqu'elle mettra à mal les finances publiques de la Russie. Mais elle servira néanmoins l'objectif de Poutine, projeter l'influence de la Russie.

Pour leur part, l'Union Européenne et les Etats-Unis ne veulent pas d'une intervention militaire pour défendre la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Mais de simples protestations verbales rendaient ridicule et inefficace l'Occident au yeux du reste de la communauté internationale, ce qui à terme ne ferait que menacer plus encore - et plus largement - la sécurité. Une situation qui ne laisse qu'une seule option aux puissances occidentales : celle de lancer une guerre financière contre la Russie.

 

Des armes économiques nouvelles 

Ainsi que l'a récemment révélé l'ancien secrétaire adjoint au Trésor américain Juan Zarate dans ses mémoires, Treasury's War, au cours des dix années qui ont suivi les attaques terroristes du 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont développé un éventail d'armes financières à utiliser contre les ennemis de l'Amérique - d'abord Al Qaeda, puis la Corée du Nord et l'Iran, et maintenant la Russie. Parmi cet arsenal, on trouve le gel des actifs et le blocage de l'accès des banques sans scrupules à la finance internationale.

 Le système bancaire russe était déjà vulnérable lorsqu'a débuté la révolution ukrainienne. Mais la situation s'est empirée avec le renversement du président ukrainien Viktor Ianoukovitch et l'annexion de la Crimée, créant une panique des marchés qui a considérablement affaibli l'économie russe et appauvri les puissants oligarques russes.

 

 

Dans un système capitaliste de copinage, menacer la richesse de l'élite au pouvoir fragilise la loyauté envers le régime. Pour l'élite corrompue, il y a un point de basculement au-delà duquel l'opposition représente une meilleure protection pour leurs richesses et leur pouvoir - et ce point a été atteint en Ukraine lorsque les manifestations de Maidan ont pris de l'ampleur.

Poutine semble convaincu, si l'on en croit ses discours, que l'Union Européenne et les Etats-Unis ne peuvent pas sérieusement envisager une guerre financière, ce qui selon lui, menacerait leurs marchés financiers extrêmement complexes et interconnectés, plus que le système financier de la Russie, relativement isolé. En effet, le lien entre intégration financière et vulnérabilité n'était-il pas la principale leçon tirée de la crise qui a éclaté à la suite de l'effondrement de la banque Lehman Brothers en 2008 ?

 

Tirer profit de la vulnérabilité financière de l'Europe

En fait, Lehman était une petite institution comparée aux banques autrichiennes, françaises et allemandes qui se sont retrouvées fortement exposées au système financier russe au travers de la pratique consistant à utiliser les dépôts des compagnies et des particuliers russes pour prêter aux emprunteurs russes. Compte tenu de cela, un gel des actifs russes pourrait s'avérer catastrophique pour les marchés financiers européens, pour ne pas dire globaux.

En déstabilisant l'Ukraine, Poutine a deux objectifs : capitaliser sur les animosités linguistiques et nationales en Ukraine pour générer une fragmentation sociale, tout en tirant avantage des vulnérabilités financières occidentales - surtout celles de l'Europe. En effet, Poutine aime parfois considérer la chose comme un concours qui l'opposerait seul au pouvoir des marchés financiers.

 

"Aggraver la panique"

La course à l'armement qui a précédé la première guerre mondiale s'était accompagnée par exactement le même mélange d'hésitations militaires et de volonté d'expérimenter le pouvoir des marchés. En 1911, le principal manuel sur le système financier allemand, rédigé par le banquier vétéran Jacob Riesser, annonçait déjà, « L'ennemi, cependant, peut œuvrer à aggraver une panique… en exigeant soudainement une série de revendications en souffrance, par la vente illimitée de nos propres titres, et par d'autres tentatives visant à priver d'or l'Allemagne. Il peut aussi y avoir des tentatives pour désorganiser notre capital, notre monnaie et nos marchés de titres, et menacer la base de notre système de crédit et de paiement. »

Les hommes politiques n'ont saisi les conséquences potentielles de la vulnérabilité financière qu'en 1907, lorsqu'ils se sont retrouvé confrontés à une panique financière générée depuis les Etats-Unis mais qui a eu de sérieuses conséquences pour l'Europe continentale (et qui, d'une certaine façon, préfigurait la Grande Dépression). De cette expérience, chaque pays a appris à donner plus de résilience à son marché financier pour se protéger d'éventuelles attaques, et aussi que les attaques pouvaient constituer une réponse dévastatrice aux pressions diplomatiques.

 

Des armes financières, mais une vraie guerre ? 

C'est exactement ce qui s'est passé en 1911, lorsqu'une dispute sur le contrôle du Maroc a convaincu la France de retirer 200 millions de Deutsch Marks qu'elle avait investis en Allemagne. Mais l'Allemagne s'y était préparée et a pu répondre à l'attaque. En effet, les banquiers allemands ont eu la fierté de constater que la crise de confiance avait frappé la place financière de Paris bien plus fortement que celles de Berlin ou de Hambourg.

Les efforts des pays pour protéger leurs systèmes financiers se concentrent souvent sur la supervision bancaire et, dans de nombreux cas, sur un élargissement de l'autorité de la banque centrale pour y associer la provision de liquidités d'urgence en faveur d'institutions nationales. Les différents débats sur la réforme financière aux Etats-Unis ont traité de cet impératif, et certains fondateurs de la Réserve Fédérale américain ont pointé du doigt les applications militaires et financières du terme « réserve ».

A cette époque, les efforts en faveur de la réforme financière étaient déterminés par la notion selon laquelle l'accumulation de tampons financiers rendrait le monde plus sûr. Mais cette conviction a entrainé une confiance excessive chez les auteurs de ces réformes, ce qui les a empêché d'anticiper sur le fait que les mesures militaires seraient rapidement nécessaires pour protéger l'économie. En lieu d'être une alternative à la guerre, la course aux armes financières a rendu la guerre plus probable - comme il se peut que cela soit le cas en Russie aujourd'hui.

 

Harold James est professeur en histoire à l'Université Princeton et membre du Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale.

 

Copyright: Project Syndicate, 2014. www.project-syndicate.org

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Commentaires 25
à écrit le 22/04/2014 à 13:41
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100% russophobe avec les USA et l'OTAN devenus les démocraties (tiens on vote pour élire Rasmussen ?) bisounours... C'est oublier un peu vite que le pacte de Varsovie est mort alors que l'OTAN est toujours là sans AUCUNE menace. Toujours là, et plu...

à écrit le 19/04/2014 à 1:00
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Pour l'influence des banquiers se documenter en lisant : Un homme d'influence, Siegmund Warburg – Jacques Attali Un petit livre précieux. Un homme d'influence parlant de ce qu'il connait bien.

à écrit le 19/04/2014 à 0:15
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Un petit problème la RUSSIE n'a pas annexée la CRIMEE le peuple de Crimée s'est prononcé par référendum tout à fait légal par contre le gouvernement de KIEV contrairement à vos affirmations, lui ne l'est pas puisqu'il est arrivé au pouvoir par un c...

le 19/04/2014 à 3:00
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Raz le bol de la propagande poutinenne habituelle. Invasion de Crimée = référendum nul. Yanoukovitch pion de Poutine ne représentait plus rien, son pays était en quasi guerre civile, le parlement élu a voté se destitution car il a fui. Il faut voter ...

le 19/04/2014 à 14:09
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60% de Russe en Crimée, 25% d'Ukrainien... l'anormal fut que la Crimée resta Ukrainienne en 1991 c'est maintenant réparé, sans morts, et avec célébration du résultat le 16 Mars.

le 20/04/2014 à 9:42
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@Albert vous êtes mal informé , il y a eu des morts en Crimée , des militaires Ukrainiens et des opposants aux milices d'auto-défense .

le 20/04/2014 à 19:01
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Chiffres (pas trois clopins) ? Source ??

le 21/04/2014 à 18:33
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En 91 le référendum donnait 54% de criméens favorables à l'attachement à l'Ukraine. Organiser un référendum sous la pression d'une armée d'invasion et à la va vite n'a aucune valeur. Le résultat de 95% est d'ailleurs incohérent avec la démographie de...

le 22/04/2014 à 20:11
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Vous avez une vision raciale de la politique (comme les Américains en générale). Pourquoi les 25 % d'Ukrainien ne voterai pas l’indépendance? Voyez en France les taux de chômage dans les villes où l'armée Française a fermé ses bases militaires, c'es...

à écrit le 18/04/2014 à 22:23
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Analyse inintéressante. Elle démontre une totale méconnaissance de l'esprit russe. Les russes savent souffrir. Ils l'ont prouvé pendant la 2ème guerre mondiale. Les sanctions ne vont pas affaiblir leur détermination.

le 19/04/2014 à 3:02
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Les russes savent souffrir comme tout le monde et savent aussi comme tout le monde se débarasser de leur dictateur, ils l'ont prouvé en 1917 et en 91.

le 20/04/2014 à 23:45
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N'importe quoi, en 1991 ça c'est un peu fait tout seul, Gorbachev était plus pour l'émancipation des peuples que pour la dictature ! Quant à 1917, vu ce que ça a donné, ils auraient mieux fait de rester chez eux. Il n'y a qu'en 40 qu'ils ont été cou...

le 22/04/2014 à 5:15
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Quelle différence entre Hitler, Staline ou Poutine ? Cà peut s'englober sous le terme de nazisme. Il y a de nombreux points communs et méthodes entre les 3.

à écrit le 18/04/2014 à 17:25
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Poutine un vrai homme force le respect

le 19/04/2014 à 3:02
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bravo pour l'humour.

le 19/04/2014 à 14:12
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en tous cas , nous on en veut pas en Algérie , d'ailleurs c'est trop tard , on a voté !

à écrit le 18/04/2014 à 17:12
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L'occident peut toujours rêver de mettre à genoux la Russie. Il s'y emploiera tant qu'il n'aura pas mis la main sur ses richesses. Mais attention! Ce n'est pas l'Ukraine: Poutine a remis son pays au rang de grande puissance et les Russes ne sont pas...

le 18/04/2014 à 17:39
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C'est incompréhensible que nos leaders européens peuvent encaisser de grossièretés des américains comme celle de Victoria Nuland à propos de l'UE, et pourtant se rallier encore de leur côté contre la Russie, la Russie une nation 100% européenne avec ...

le 19/04/2014 à 3:09
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Tiens c'est bizarre, je ne trouve pas de technologies russes en dehors principalement des armes sur le marché ? Vous en avez à citer ? Les vols d'avions sont plus dangereux en Russie qu'en Afrique. L'économie russe est équivalente à celle de l'Italie...

le 20/04/2014 à 8:39
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Ggghh

à écrit le 18/04/2014 à 14:55
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Pour éviter la guerre autant s'y préparer dit le sage ......

le 18/04/2014 à 16:07
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Poutine m’empêche moins de dormir qu'Obama,qui avec son tuesday terror se permets de donner des leçons de démocratie à la Russie,il faut oser.

le 19/04/2014 à 3:13
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Je préfère mille fois Obama à Poutine qui est du FSB comme son gouvernement, a fait assassiner plus de 25 journalistes lors de son mandat, utilise le polonium, fait taire tout opposition, les médias, a mis en place une mafia de proches corrompus, a l...

le 19/04/2014 à 14:13
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Tant mieux pour vous, allez aux US apprécier la liberté (NSA), l'égalité (Apartheid jusqu'aux année 70) et Fraternité (morts aux pauvres) - moi je préfère la France, et la France a toujours eut de bonne relations avec les Russes !

le 21/04/2014 à 18:42
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Allez en Sibérie si vous préférez. La France a de très bonnes relations avec les américains comme avec les russes mais elle n'aimera jamais les dictateurs comme Poutine ou Staline. Par ailleurs s'il y a la Nsa aux Etats-Unis il y a le FSB en Russie e...

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