#TousavecColin : les « Barbares » demandent aussi leur mise en examen !

A la suite d’une plainte de Nicolas Rousselet, président du Groupe G7, Nicolas Colin et La Tribune viennent d’être mis en examen pour diffamation. Le motif ? L’écriture pour l’un, la publication pour l’autre d’une tribune favorable à l’innovation et aux Véhicules de tourisme avec chauffeur, qui font concurrence aux taxis. Ce manifeste de ceux qui se désignent eux-mêmes les "Barbares", veut ébranler les citadelles du monde ancien et accompagne une pétition de soutien à Nicolas Colin accessible sur change.org.
Le duel taxis-VTC, symbole d'une France coupée en deux. | REUTERS

Dans "Les fossoyeurs de l'innovation", Nicolas Colin démonte de manière détaillée et argumentée la communication du leader français des taxis en matière d'innovation, représentative d'une frilosité fréquente dans les milieux d'affaires français. Le lobby des taxis avait obtenu à l'automne 2013 du gouvernement l'encadrement de la pratique des VTC. Un délai de 15 minutes fut imposé entre la réservation et la prise en charge début 2014.

Cette tribune dresse un constat alarmant : le statu quo quant à l'innovation désespère l'entrepreneuriat, sape le moral des citoyens, et in fine obère les chances de réussite de la Nation dans la dynamique d'un monde en mutation. Mais voilà, la tribune n'a pas plu à Nicolas Rousselet, qui a donc obtenu une mise en examen au motif de diffamation.

Un débat plus vaste

Mise en examen n'équivaut pas à condamnation, mais ce simple fait démontre une fois de plus la très faible adéquation entre la société telle qu'elle est perçue par les décideurs, et celle qui est vécue par ses citoyens. Nous nous abstiendrons de nous substituer à la justice. Néanmoins, la charge de Colin contre les taxis n'est que le prolongement de questionnements anciens.

Accordées dès 2007 par Jacques Attali dans son rapport remis à Nicolas Sarkozy, ses propositions de réforme avaient déclenché l'ire des taxis et débouché sur un statu quo. Ironie de la situation, ledit Attali, lassé de conseiller en vain les gouvernements, de droite comme de gauche, pour réformer le système en lui apportant plus d'égalité, vient de recommander à "la base" de ne plus rien attendre de l'Etat. "Le monde appartiendra demain à ceux qui, aujourd'hui, auront su renoncer à attendre quoi que ce soit de qui ce soit. De leurs parents. De leurs patrons. De leurs maires. De leurs gouvernants". "Débrouillez-vous" conclue-t-il.

Cette rupture entre la base et le sommet n'est que le prolongement d'une série de couacs qui ont dernièrement agité l'Etat : le mouvement des « Pigeons », les atermoiements sur le statut des auto-entrepreneurs, la réforme du Crédit Impôt Recherche (CIR). Ces couacs démontrent que ni les usages, ni les intérêts, ni les desiderata de la multitude ne sont, en France, et au XXIème siècle, abordés par ceux qui vivent de la structure. De la criminalisation des consommateurs gratuits de culture (les "pirates") à celle, morale, des optimisés fiscaux, le système pointe ses errements sans s'arrêter sur sa propre responsabilité.

La tribune de Nicolas Colin est certes fortement teintée d'ironie, mais elle pointe un mouvement qui parcourt actuellement toute la société française; alors que celle-ci est de l'avis général vieillissante et en déclin économique. (cf les travaux du Commissariat Général à la Stratégie et la Prospective).

Les Barbares piaffent au limes

 Limités dans leurs envies, leurs audaces et leurs idées par le cadre obsolète d'un Empire qui se meurt, les Barbares entrepreneurs s'impatientent. Nous qui avons pris acte que le monde changeait, et que les règles du jeu du monde ancien sont caduques.

Nous qui, entrepreneurs, artistes, innovateurs, intellectuels, médecins, ingénieurs, commerciaux, employés, chercheurs, professeurs, et tant d'autres talents, bégayons, inventons le monde de demain, portons des projets utiles, nous battons pour le bien commun.

Nous qui restons fondamentalement optimistes, même si nous avons conscience que le temps est compté. Nous qui sommes en rupture avec l'ordre établi, soucieux de ses prébendes, héritier d'une tradition qui craint la nouveauté, et décourage toute initiative qui pourrait chahuter sa rente de situation. Nous qui voulons agir depuis notre pays d'origine, ici, en France.

S'il est vrai que ce qui fait l'innovation, c'est en grande partie l'absence de demande de permission, et que pour certains, innovation égale dérèglementation, il ne faut pas voir des ultra-libéraux partout. Le monde est plus complexe, et la jeune génération, celle qui n'a pas connu les Trentes glorieuses, tente, essaie, apprend, invente, innove, afin de co-créer le monde que ses parents lui ont promis mais qui n'est qu'une chimère. Pour autant, la "génération future" se voit comme une génération sacrifiée sur l'autel du bien-être de la précédente, "rêvant d'en découdre", mais n'arrivant pas à s'opposer frontalement à la structure, détenue par une génération qui ne se résoud pas à passer la main.

Rester optimistes 

Les innovateurs, ce sont ces architectes qui réinventent la yourte, et se heurtent au code de la construction. Ces vignerons, qui refusent les pesticides et se retrouvent devant la justice. Ces fabricants de jouets en bois, qui ferment en raison de règles absconses. Mais aussi les sharers, les locavores, les créateurs de monnaie, les AMAP, les financeurs solidaires. Tous ces créateurs, réunis sous la bannière générique de startupeurs, là où on ne parle finalement que d'entrepreneuriat et d'optimisme. Pour certains d'entre eux, l'expérimentation est tellement difficile que le numérique offre, par sa déterritorialisation, une bouffée d'oxygène salvatrice. Alors sans doute, Facebook ou Google sont des monstres de Frankenstein. Mais, principe de précaution oblige, qui aurait eu l'audace de lancer de tels services en France ? Les Barbares, sans doute.

La France, et au-delà l'Europe, est malade de rigidité. Or, la société est une être vivant. L'imposition de règles structurelles fortes empêche toute évolution, sauf à la marge. L'étatisation de nos sociétés en sonne le glas. A force d'ériger des règles pour protéger le faible, on affaiblit l'ensemble. A force d'infantiliser le citoyen, on en fait un être dépourvu d'audace. A force de désigner des boucs émissaires, on délite le vivre ensemble.  A force de décréter ce qui est bon, ce qui est mal, on sape le libre arbitre.

Une mise en examen symptomatique de la crise que traverse le pays

La société est comme un OS Windows, qui nécessite des patchs continuels, alors qu'un reboot sur un OS de type Linux est attendu par une large partie de la population. Le système est tellement grippé que les élections municipales ont atteint une part historique d'absentionnistes, alors que la dernière étude du CEVIPOF montre que le politique le moins mal perçu par le citoyen est le maire de sa commune.

Il y a loin entre la demande de changement et l'acceptation du changement; on le voit encore avec la réforme attendue des collectivités territoriales, où chacun considère la nécessité de simplification du mille-feuilles, mais où l'égoïsme prime toujours sur le bien commun.

La procédure qui atteint La Tribune et Nicolas Colin est symptomatique de la crise que traverse le pays : du débat nécessaire on arrive au délit d'opinion. A la confrontation des idées qui élève, on préfère le consensus qui nivelle par le bas. A la recherche du vivre mieux ensemble, on préfère blâmer l'autre, la mondialisation, l'Europe.  A la réflexion, on préfère la passion. A la Lune, on préfère le doigt...

La France, une réserve d'indiens ?

La France de l'entre-soi a depuis longtemps pris le pas sur celle de la méritocratie; la France des copains sur celle des idées; la France des diners parisiens sur celle des communautés créatives décentralisées. Les industries, les baronnies, les castes, les rentes, sont retranchées derrière des lignes de défense qui les maintiennent à flot, dans une stratégie court-termiste qui maximise leur existence. Pour combien de temps encore ?

Le petit village gaulois d'Asterix ressemble de plus en plus à une réserve d'indiens, que l'on vient visiter comme on visiterait un musée : figé dans le temps, et dans l'espace. La Nation est au mieux un patrimoine, au pire une marque dont le lustre s'amenuise au fil des ans.

La Tribune et Nicolas Colin ont pour le moment juste été mis en examen pour avoir émis une opinion - critique - sur la conduite d'un modèle d'affaires, et, partant, du modèle français. Mais derrière eux, ce sont des centaines, des milliers voire des millions d'individus qui épousent ces critiques et rongent leur frein en attendant le changement promis.

Pour avoir envie d'en découdre, pour avoir le droit de critiquer, de créer, d'être audacieux, de changer, de rêver, de construire notre monde, notre siècle et celui de nos enfants, les Barbares que nous sommes demandent également leur mise en examen.

(*) Antoine Brachet est cadre du secteur privé, membre du conseil d'administration de Futurbulences. Julien Breitfeld est consultant.

Pour aller plus loin, signez la pétition adressée à Christiane Taubira 

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Commentaires 7
à écrit le 23/04/2014 à 23:33
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MDR : Nicolas Colin et les fondateurs d'AMAP mis dans le même panier ! L'esprit des «barbares» théorisé par N. Colin, qui est un laudateur de G. Camp (confondateur d'Uber) et de J. Bozos (fondateur d'Amazon), n'a rien à voir avec celui des AMAP ! ...

à écrit le 23/04/2014 à 9:38
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"La société est comme un OS Windows, qui nécessite des patchs continuels, alors qu'un reboot sur un OS de type Linux est attendu par une large partie de la population." Svp messieurs les journalistes, arretez vos comparaison vaseuses sur des sujets ...

le 23/04/2014 à 9:57
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certes mais un pc sous Linux ne ralentit pas notablement avec l age (le pc que j ai au bureau est sensiblement puls lent apres 2 ans). chez moi, pas de changement notable avec Ubuntu. Ce que voulait dire l auteur ici, c est qu il faut changer de fac...

à écrit le 23/04/2014 à 9:06
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en 2007 les subventions aux entreprises (donc un cadeau, pas un prêt) tournaient aux alentours de 64 milliards (rapport cour des comptes) qu'ont fait les entrepreneurs avec ces cadeaux annuels ont-ils innové ; j'en doute , et en tout cas je n'en vois...

le 23/04/2014 à 9:55
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si on vous pontionne de 100 et on vous rend 64, vous pensez qu eles 64 sont un cadeau ? Louin de moi l idee de dire que les societes de doivent pas payer d impots mais dire que l etat francais subventionne massivemnt les entreprises est quand meme n...

à écrit le 22/04/2014 à 16:12
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Bon courage !! Mais au fait, le régime fiscal des journalistes est il le doit commun ? Peut faudrait il changer cela aussi ... entre autres !!

le 22/04/2014 à 17:56
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A priori, l'auteur de cette tribune n'est pas concerné puisqu'il est entrepreneur

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