Alstom : la cession de l'énergie à GE, une bonne nouvelle pour l'économie française

Par Marc Guyot et Radu Vranceanu  |   |  1142  mots
Aucun argument sérieux contre l'accord entre Alstom et General Electric ne résiste à l'examen. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, professeurs d’économie à l’ESSEC

 

 

Il y a deux semaines, Lafarge, numéro 1 français du ciment décidait de fusionner avec le numéro 1 Suisse Holcim, les deux firmes estimant que leur rapprochement permettrait de capitaliser sur leurs points forts respectifs pour faire face à un marché mondial très concurrentiel. Ces derniers jours, Alstom l'un des leader français de l'énergie et des transports, a annoncé sa volonté de céder son activité énergie (qui représente au total les ¾ de son activité) à l'Américain General Electric (GE) pour une douzaine de milliards d'euros et de se concentrer uniquement sur le transport. L'énergie est une activité lourdement capitalistique dans laquelle les activités des deux firmes présentent de fortes complémentarités, Alstom étant notamment fort dans l'hydraulique et l'éolien et GE dans les autres formes d'énergie.

Pas de position dominante créée

Les directions de ces deux firmes, compte tenu de la situation de marchés de leurs produits, estiment que cette solution, cession par Alstom, reprise par GE, est la meilleure pour développer cette activité, ces produits et ce savoir faire. La cession d'une activité fortement capitalistique permettra à Alstom de concentrer ses capacités de financement et de développement sur son activité transport dont le TGV est l'emblème. Si les dirigeants d'Alstom ont fait le bon choix stratégique, ils assurent ainsi à la fois la pérennité de l'activité transport en interne et de l'activité énergie au sein de GE. Ainsi, l'activité et l'emploi semblent assurés. Comme cette cession ne crée pas de position dominante, les clients et ultimement les consommateurs bénéficieront également de l'opération.

 Le gouvernement privilégie l'apparence de la puissance

Comme souvent, les décisions de Lafarge et Alstom, au lieu d'être commentées sur leurs opportunités stratégiques et leurs chances de succès, ont essentiellement donné lieu à de fortes critiques et à des lamentations.

Le gouvernement et certains commentateurs ont vertement critiqué ces opérations en évoquant le patriotisme économique et en déplorant le passage sous pavillon suisse ou américain de « joyaux de l'industrie nationale ». Le gouvernement a cherché à s'opposer à la cession d'activités par Alstom, puis à sauver la face en soutenant une solution « européenne » en partenariat avec Siemens, qui serait vendue non plus comme la disparition d'une firme française mais une avancée décisive vers « l'Europe » avec une énième évocation d'Airbus. Ce qui semble important aux yeux du gouvernement est la puissance, ou plutôt l'apparence de puissance qui viendrait de la nationalité des principaux actionnaires et de la localisation du siège social.

 Pour d'autres commentateurs, la généralisation de ce genre d'opérations pointe divers problèmes de déclassement de l'industrie nationale que le gouvernement préfère cacher plutôt qu'affronter avec une action structurelle de long terme. Plus encore, l'activisme du gouvernement démontrerait s'il en était encore besoin, qu'en France une multinationale peut toujours faire l'objet d'obstruction de la part du gouvernement si ses choix ne servent pas assez la fierté économique nationale.

Quelle est la meilleure solution pour les clients et les employés d'Alstom?

Peu de commentateurs se demandent ce qui est le mieux pour les filières énergie et transport, les clients du secteur et les employés d'Alstom.

Concernant les employés, il ne s'agit pas d'une fusion de survie ou de rationalisation, il n'y a donc pas lieu de craindre des coupes sombres. Concernant la nationalité étrangère des acheteurs, que craint donc le Gouvernement ? Les 10 000 employés français de GE sont-ils des travailleurs maltraités ? Sortiront-ils du cadre légal du droit du travail ? Quel bien fait au travailleur la nationalité des principaux actionnaires et de la direction? Le copinage entre le capital, souvent concentré dans les mains d'une minorité, les dirigeants des grandes firmes, certains travers du « syndicalisme monarchique » et le pouvoir étatique dans le capitalisme à l'ancienne n'est absolument pas à confondre avec une cause nationale ni avec le bien commun.

 Une efficacité des filières renforcée

Pour ce qui est des clients et de l'efficacité globale des filières, il est fort probable que cette restructuration permettra d'augmenter leur dynamisme, tant de l'activité énergie que ferroviaire.   Dans son opposition à la cession, le gouvernement a évoqué la sûreté nationale car Alstom fabrique des turbines pour les réacteurs nucléaires d'Areva. Cet élément n'est un problème que si elle devait remettre en cause l'accès d'Areva à ce type de produit ou son bon développement.

En réalité, l'intérêt d'Areva est que ce composant de ses centrales soit produit et développé au mieux, pas que se soit une firme française qui le produise. Le nucléaire étant au cœur de la stratégie de GE, l'activité turbine nucléaire continuera de faire l'objet de développement dont Areva bénéficiera. Par exemple, Areva a choisi Siemens plutôt qu'Alstom pour les systèmes de turbines mises en place dans sa centrale de dernière génération EPR en Finlande. De la même façon en 2010, la SNCF avait choisi Siemens pour une commande de train destinée à l'Eurostar.

 L'attractivité de la France décroît

Indépendamment de la logique industrielle interne de ces deux mouvements stratégiques de Lafarge et Alstom, il n'en demeure pas moins que l'attractivité de la France décroit et que des centres de décisions partent à l'étranger. Le nombre d'installation de sièges sociaux Europe et Monde de firmes étrangères en France suit d'ailleurs la même tendance puisqu'il est passé de 20 en 2011 à 5 en 2013. Selon Bain et Cie, la perception positive de la France par des maisons mères US ayant des filiales en France est passée de 56% en 2011 à 13% en 2013.

Le gouvernement refuse de faire le lien entre, d'une part, son hostilité initiale à l'entreprise affichée lors des élections, les nombreuses « contreparties » demandées pour tout geste en faveur de l'entreprise, la taxe à 75% pour les hauts revenus et d'autre,part cette faible attractivité de la France et le départ des centres de décision. Les rodomontades sur l'aversion envers les riches et la nécessité de limiter les salaires élevés des dirigeants finissent par avoir des conséquences , avec potentiellement deux sièges sociaux en moins.

 Si le gouvernement souhaite vraiment que la France soit en pointe dans le développement de technologies nouvelles il est grand temps de faire les réformes nécessaires et d'abandonner les vieilles lunes anti riches, anti fonds de pension et anti marchés. Ce dont a besoin le pays ce sont des conditions qui assurent l'efficacité des activités économiques, la facilité de financement, une formation professionnelle adaptée aux besoins des firmes, et plus généralement un environnement économique et juridique porteur.