Précarité énergétique : pourquoi punir davantage les pauvres ?

Par Guillaume Bort  |   |  1702  mots
Plusieurs pays européens le font, il n'y aucune raison de ne pas soutenir les ménages en situation de précarité énergétique qui se chauffent au fuel. Par Guillaume Bort, président de FioulReduc

La question de la précarité énergétique est, depuis plusieurs années, prise en compte par les pouvoirs publics. Les analyses abondent, les acteurs référents sur le sujet[i] sont toujours plus nombreux et des propositions sont régulièrement faites en vue de l'amélioration des dispositifs existants. Et pourtant, en dépit de cet activisme, nous continuons d'ignorer l'évidence et nous contentons d'une politique d'aide aux plus démunis profondément inéquitable.

 Un précaire sur trois se chauffe au fuel et n'a aucune aide

Rapide retour en arrière. Il y a 14 ans déjà, dans le cadre de la loi du 10 février 2000, naissait le Tarif de Première Nécessité (TPN) pour les ménages en difficulté chauffés à l'électricité. En 2006, naissait à son tour, pour les ménages chauffés au gaz de réseau, le Tarif Spécial de Solidarité (TSS). Bien qu'il apparaisse nécessaire de reconsidérer le montant de l'aide annuelle octroyée aux ménages français (en moyenne 90 euros pour l'électricité et 102 euros pour le gaz), ces dispositifs ont la vertu d'exister et d'aider les ménages économiquement vulnérables à disposer d'une aide au paiement de leur facture d'énergie. Concernant le fioul domestique qui, faut-il le rappeler, est la troisième énergie permettant à 10 millions de Français de se chauffer - que proposent les pouvoirs publics ? Rien. Aucune aide. Et pourtant, aujourd'hui en France, un précaire énergétique sur trois se chauffe au fioul domestique. Une injustice que rien ne justifie.

 

Entre 3,5 et 4,5 millions de ménages en situation de précarité énergétique

 La précarité énergétique est un phénomène complexe et multiforme résultant de la combinaison de trois principaux facteurs : faiblesse des revenus, mauvaise performance énergétique du logement et difficultés à payer les factures d'énergie. Il est également communément admis que la France compte aujourd'hui entre 3,5[ii] et 4,5[iii] millions de ménages en situation de précarité énergétique et la situation économique laisse à penser que le phénomène devrait s'aggraver dans les années à venir.

 Un sur trois se chauffe au fuel, souvent en zone rurale

Si l'on s'en tient aux seules données de l'INSEE (2006), sur les 3,5 millions de ménages en situation de précarité énergétique, un sur trois se chauffe au fioul domestique[iv]. Bien qu'il soit peu aisé de définir le profil type, on sait que 46% des précaires chauffés au fioul ont plus de 65 ans[v], qu'ils sont majoritairement propriétaires (62%) et vivent en milieu rural dans des maisons individuelles construites avant 1975[vi]. Enfin, si l'on se concentre uniquement sur les ménages appartenant au quartile inférieur du niveau de vie, on compte 550 000[vii] ménages chauffés au fioul domestique en situation de grande détresse. C'est cette population, faut-il le préciser, qui compte tenu de son âge avancé est la plus exposée à une surmortalité hivernale, moins spectaculaire que celle des grandes canicules mais tout aussi, et si ce n'est plus meurtrière : pathologies respiratoires dues à l'humidité, intoxications liées à l'utilisation de chauffage d'appoint défectueux, pathologies psycho-sociales causées par un environnement délabré[viii], etc.

 

Et pourtant, en France comme chez nos voisins européens, des solutions existent …

 Sur la période 2005-2009, l'Etat français a proposé une aide annuelle exceptionnelle aux ménages non-imposables impactés par l'augmentation du prix du fioul domestique. Cette « prime à la cuve » a même été portée à 200 euros en 2009 alors que le prix du baril venait d'atteindre un plus haut historique (143 dollars en juillet 2008). Par la suite, du fait de l'effondrement du prix du baril de pétrole (34 dollars en janvier 2009), la mesure ne fut pas renouvelée. Seulement voilà, depuis cette date, le prix du baril de pétrole est repassé au-dessus des 100 dollars, ce qui aurait dû conduire au retour d'un dispositif d'aide.

 En Grande-Bretagne, en Belgique, des aides non négligeables

Il ne faut d'ailleurs pas aller très loin chez nos voisins européens pour se rendre compte que la France a fait preuve d'une grande négligence sur le sujet. En Angleterre, les pouvoirs publics, via le programme Winter Fuel Payment, allouent une aide annuelle de 120 à 360 euros pour les ménages fuel poor de plus de 60 ans se chauffant au fioul domestique. En Belgique, le Fonds Social Chauffage - fruit de la collaboration entre les pouvoirs publics, les CPAS[ix] et le secteur pétrolier - alloue depuis 10 ans une aide de 210 à 300 euros aux ménages chauffés au fioul en situation de précarité énergétique.

 140 millions d'euros nécessaires

 Selon la définition retenue et sur la base des chiffres INSEE de 2006, le nombre de précaires énergétiques chauffés au fioul domestique se situe entre 550 000 et 1 100 000. En 2009, et à la demande du Gouvernement, le Groupe pétrolier Total avait financé sur ses propres fonds la prime à la cuve et 700 000 familles avaient ainsi été aidées. Si l'on s'en tient à ce chiffre et sur la base d'une aide annuelle de 200 euros, le financement annuel nécessaire pour venir en aide aux ménages chauffés au fioul en situation de précarité énergétique, est de 140 millions d'euros.

Toutefois, et alors que le fioul domestique va connaître une nouvelle taxation en 2015 du fait de la mise en place de la Contribution Climat Energie (CCE), il n'est pas soutenable - comme ce fut le cas précédemment - de faire supporter ce financement par les professionnels du secteur pétrolier ! D'autant moins acceptable que le TPN via la CSPE[x], et le TSS via la CTSS[xi], sont entièrement financés par l'ensemble des consommateurs français (y compris ceux chauffés au fioul) et que les frais de gestion liés à la mise en œuvre des tarifs sociaux par les fournisseurs d'électricité et de gaz, sont, eux aussi, entièrement compensés.

 L'écologie ne doit pas devenir un obstacle à la solidarité !

 Sous l'impulsion notamment de l'ADEME[xii] et du MNE, la mise en place d'un fonds commun alimenté par l'ensemble des énergéticiens (Gaz, électricité, fioul, GPL, etc.) fait son chemin. Le financement de ce fonds pourrait se faire soit par la création d'une nouvelle taxe sur les énergies n'en disposant pas (sorte de «CSPE, du fioul » permettant de faire financer l'aide au paiement de la facture d'énergie par l'ensemble des français), soit par la réaffectation d'une partie du produit de taxes existantes. Rappelons à ce titre, que la Contribution Climat énergie qui va notamment taxer le fioul domestique, devrait rapporter à l'Etat 2,5 milliards en 2015 et 4 milliards en 2016.

Par ailleurs, et depuis la disparition de la prime à la cuve, l'augmentation du prix du fioul représente pour l'Etat français une véritable aubaine. Ainsi, depuis 2010, les excédents dégagés par les recettes supplémentaires de TVA assise sur le fioul domestique représentent plus d'un demi-milliard d'euros. Le fruit de cette recette fiscale exceptionnelle aurait permis de financer la totalité des 140 millions d'euros annuels nécessaires pour aider les ménages les plus vulnérables. Nous pourrions enfin mentionner ici la Taxe Intérieure de Consommation (ex-TIPP), importante source de recettes fiscales pour l'Etat et à laquelle les autres énergies de chauffage échappent.

 Il y a urgence à aider les plus nécessiteux

Baisse du pouvoir d'achat pour les français, hiver 2013-14 désastreux pour les professionnels du secteur de l'énergie, coupes budgétaires ambitieuses pour l'Etat. Le moment est bien mal choisi pour demander à chacun un effort supplémentaire. Et pourtant, c'est bien parce que la situation socio-économique actuelle accentue le phénomène de précarité, qu'il y a urgence à aider davantage les plus nécessiteux. Compte tenu donc de l'ampleur du phénomène, une action collective, associant les pouvoirs publics, les associations locales et les professionnels du secteur, doit être engagée. Afin d'en garantir le succès, les pouvoirs publics doivent ouvrir la voie et faire en sorte que le fruit de l'importante pression fiscale dont fait l'objet l'énergie fioul soit affecté au financement d'une politique de lutte contre la précarité énergétique ambitieuse et équitable.

La nécessité de combler la dette publique et les principes écologiques, si nobles et vertueux soient-ils, ne doivent pas devenir le prétexte d'une confiscation de ce qui doit rester l'une des valeurs intangibles de notre République : la solidarité.

 

Par Guillaume Bort, Président FioulReduc

 

[i] MNE, ADEME, CRE, ANAH, Observatoire national de la précarité énergétique, Secours Catholique, Fondation Abbé Pierre, EDF, GDF Suez, Union Fédérale des Consommateurs Que Choisir, CLER, UFE, ATD Quart Monde, Terra Nova, etc.

[ii] 3,5M de ménages français disposent d'un Taux d'Effort Energétique (TEE) > 10% (Source INSEE 2066)

[iii] Les récentes études du rapport Pelletier (2009) et du Médiateur National de l'Energie (2011) confirment une tendance haussière du phénomène laissant à penser que nous pourrions à ce jour avoir atteint le chiffre de 4,5M de ménages touchés par le phénomène.

[iv] On recense 1,1M de ménages chauffés au fioul disposant d'un TEE > 10%, sur un total de 3,5M de ménages français disposant d'un TEE > 10% (INSEE 2006).

[v] La probabilité de se chauffer au fioul domestique est de 12,5% pour la tranche d'âge moins de 40 ans, alors qu'elle est de 26% pour les plus de 70 ans (source : Enquête « Budget de famille 2006 », INSEE).

[vi] 67% des propriétaires de logements chauffés au fioul habitent un logement construit avant 1975 (Source FioulReduc 2014).

[vii] On compte en France 711 000 ménages français chauffés au fioul domestique appartenant au quartile inférieur de niveau de vie, dont 550 314 disposent d'un TEE > 10%, soit près de 80% (source INSEE 2006).

[viii] Bafoil (François), Fodor (Ferenc), Le Roux (Dominique), Accès à l'énergie en Europe : les précaires invisibles, Presse de la Fondation nationale des sciences politiques, 2014, p. 222.

[ix] Centre Public d'Action Sociale (CPAS).

[x] Contribution au Service Public de l'Electricité (CSPE)

[xi] Contribution au Tarif Spéciale de Solidarité (CTSS)

[xii] Rapport d'audit sur les tarifs sociaux de l'énergie, ADEME, Juillet 2013.