Télécoms en Afrique : les acteurs régionaux ont droit à une part du gâteau !

Les pays du Sud, comme le Maroc, entendent bien profiter du potentiel qu'offre l'Afrique. L'exemple probant de la téléphonie et d'internet, par Alexandre Kateb économiste et directeur du cabinet Compétence Finance. Il est l'auteur de "Les nouvelles puissances mondiales. Pourquoi les BRIC changent le monde" (Ellipses, 2011).

En février 2001, lorsque Jean-Marie Messier, alors PDG de l'ancienne Compagnie Générale des Eaux rebaptisée Vivendi, avait accepté de débourser 2,3 milliards d'euros pour acquérir 35% du capital de Maroc Telecom, beaucoup d'analystes et d'observateurs avaient critiqué cette opération, jugée hors normes. Treize ans plus tard, le groupe Vivendi désormais dirigé par Jean-René Fourtou, cède pour 4,2 milliards d'euros au groupe émirati Etisalat la totalité de sa part dans le capital de l'opérateur historique marocain, qui avait été portée entre temps à 51% en novembre 2004 puis à 53% en décembre 2007.

C'est la fin d'une belle histoire franco-marocaine, qui a vu au fil des années l'ancienne « spin-off » de l'Office Marocain des Postes et Télécommunications se transformer, s'internationaliser et devenir l'une des entreprises les plus modernes et les plus prospères en Afrique, avec une marge brute opérationnelle comprise entre 50% et 60% du chiffre d'affaires, et des dividendes qui ont alimenté avec la régularité d'un métronome les caisses de son actionnaire français de référence, et celles de l'Etat marocain.  

Mais plus qu'un simple passage de relai ou qu'un jeu de mécano capitalistique, le départ du français et l'arrivée de l'émirati au capital de Maroc Télécom illustre aussi un changement d'époque, et s'inscrit pleinement dans la recomposition en cours au sein du secteur des télécommunications en Afrique et au Moyen-Orient. En effet, avec un chiffre d'affaires d'une dizaine de milliards de dollars en 2013 pas très éloigné de celui du leader africain MTN, et une base de 148 millions clients (contre 208 millions pour MTN), le groupe d'Abu Dhabi, lui aussi opérateur historique dans son pays d'origine, et présent en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie, a des ambitions considérables. Il veut devenir «le groupe de télécommunications leader et le plus admiré sur les marchés émergents ».

 

Quand les émergents aident les émergents 

L'acquisition de la majorité de contrôle dans l'opérateur marocain permet ainsi à Etisalat de développer sa présence en Afrique francophone, en s'appuyant sur un acteur de référence déjà présent dans cinq pays de la zone. En cédant pour 650 millions de dollars. ses six filiales en Afrique de l'Ouest et du Centre à son nouveau partenaire marocain, il permet à Maroc Telecom de devenir un leader régional avec une base de 50 millions de clients, en augmentation constante, et de concurrencer le groupe français Orange dans cette zone. Pour le Maroc, c'est aussi une étape supplémentaire dans la concrétisation de la vision et de la politique africaine du roi Mohammed VI, qui veut faire de son pays un moteur de l'intégration africaine et un hub de l'investissement et des affaires entre l'Afrique et le reste du monde.

On assiste donc bel et bien à l'apparition d'une dynamique Sud-Sud dans le secteur des télécom africain, avec l'émergence d'acteurs régionaux, qui sont en concurrence avec les grands opérateurs issus du Nord, comme Orange ou Vodacom, la filiale sud-africaine du groupe britannique Vodafone, mais aussi avec des acteurs issus d'autres zones émergentes, à l'instar de l'indien Bharti Airtel. Ce dernier, déjà leader en Inde avec une part de marché de 30% et une base de près de 200 millions de clients, a mis le pied de manière fracassante sur le continent africain, en rachetant en mars 2010 pour plus de dix milliards de dollars quinze filiales africaines de l'opérateur koweitien Zain, et en s'offrant par la même occasion une base de clients africains qui s'élève aujourd'hui à 70 millions.

 

L'enjeu de la 3G 

Ces opérations de fusions-acquisitions transfrontalières Sud-Sud devraient s'accélérer dans les années à venir, car le niveau des dépenses d'investissement (CAPEX) devrait rester élevé - entre 15% et 20% du chiffre d'affaires - pour faire face aux besoins de maintenance et de développement des infrastructures, alors que dans le même temps le prix unitaire des services (minutes de communication, mégabits de données) a tendance à chuter avec l'intensification de la concurrence. Les opérateurs font face à deux défis commerciaux et technologiques majeurs.

D'une part, lorsque le taux de pénétration de la téléphonie mobile atteint la saturation dans les zones urbaines, ils faut cibler des clients beaucoup moins solvables situés dans des zones rurales isolées, avec des coûts d'exploitation (OPEX) beaucoup plus élevés. D'autre part, pour maintenir leurs parts de marché dans les zones déjà couvertes, les opérateurs doivent rivaliser d'imagination pour proposer toujours plus de services à un prix toujours plus abordable. Sur le segment de la clientèle urbaine au pouvoir d'achat le plus élevé, l'enjeu est aujourd'hui l'extension de la couverture en internet à haut débit (3G), à mesure que l'équipement en smartphones gagne du terrain, ce qui entraîne de nouvelles dépenses d'investissement en infrastructures.    

 

Un développement stratégique

Selon la maturité des différents marchés et l'intensité de la concurrence, l'accent sera donc plutôt mis sur l'extension du réseau 2G ou sur le développement du réseau 3G, voire du lancement de la 4G, comme c'est le cas dans les métropoles urbaines en Afrique du Sud, en Afrique du Nord (Algérie, Maroc, Tunisie) et dans quelques autres pays (Nigéria, Kenya, Côte d'Ivoire, …).

Bien souvent, il s'agit de conduire de front ces différents développements en réalisant une segmentation stratégique et commerciale très fine des clients, et en confrontant le potentiel de la demande à la faisabilité de l'offre. Dans ce contexte, un paradigme innovant émerge en Afrique autour de l'externalisation des antennes-relais à des sociétés spécialisées (IHS Africa, HTA, Eaton, …), qui relouent ensuite ces équipements aux opérateurs sur un mode mutualisé. On passe ainsi d'une situation de concurrence destructrice pour tous à un modèle de coopération gagnant-gagnant, à la fois pour les opérateurs qui n'ont plus à assurer les coûts d'exploitation élevés de ces infrastructures (notamment en énergie électrique), et pour ces sociétés spécialisées dont cela devient le cœur de métier. Cela permet aussi de réduire les barrières à l'entrée sur un marché pour un opérateur qui ne dispose pas d'un réseau sur place, voire même de mutualiser le développement de nouveaux réseaux comme la 3G et la 4G. Et cerise sur le gâteau, on assiste au déploiement d'antennes-relais associés à des batteries et des panneaux solaires qui servent aussi à alimenter les pompes à eau, les dispensaires et les écoles.


Dans 10 ans, internet aura pénétré l'Afrique 

Le déplacement de l'attention de la téléphonie vers l'internet à haut débit et les réseaux de données redonne en outre des couleurs aux opérateurs historiques, comme Maroc Télécom ou Telkom, qui contrôlent les interconnexions internationales à travers leur participation au déploiement de grands câbles sous-marins transcontinentaux entre l'Europe, l'Asie et l'Afrique.  Si on ajoute à cela la diffusion des liaisons satellitaires dont le coût a tendance à baisser, avec l'arrivée dans ce secteur de nouveaux acteurs low cost issus du Sud (émiratis, singapouriens, indiens, sud-africains), le comblement de la fracture numérique entre l'Afrique et le reste du monde s'annonce imminent. C'est l'affaire de dix à quinze ans tout au plus avant que le taux de pénétration de l'internet en Afrique subsaharienne (actuellement autour de 10% de la population, hors Afrique du Sud) ne rejoigne les standards mondiaux. 

De plus, l'Afrique n'est pas seulement un « continent suiveur » en matière de nouvelles technologies. Un foisonnement d'initiatives pionnières utilisant l'internet mobile pourrait transformer la vie des Africains et inspirer le reste du monde.

 

L'innovation, accélérateur de croissance 

 

C'est le cas avec le développement fulgurant des applications de banque mobile, illustré par le succès du système M-Pesa de Safaricom au Kenya et de la solution GIM-Mobile, déployée dans toute l'UEMOA dans le cadre d'un partenariat public-privé unique en son genre, ou encore avec la diffusion d'applications dans la santé (le programme DJOBI soutenu par Orange vise ainsi à réduire de 30% la mortalité infantile en Afrique de l'Ouest), l'éducation (l'opérateur MTN, associé à Intel au Nigéria, a conçu un service très apprécié de préparation aux examens sur mobile), et l'agriculture (Maroc Telecom a ainsi déployé une solution mobile innovante pour aider les éleveurs à déterminer la capacité de charge de leurs pâturages).

Selon différentes études (BAD, GSMA, etc.) la généralisation de ces initiatives d' «innovation frugale» et plus généralement la diffusion des usages sociaux associés aux nouvelles technologies, pourraient permettre de réaliser des gains de productivité considérables et d'accélérer l'émergence de l'Afrique. Au delà des considérations financières, commerciales et technologiques, c'est l'enjeu principal de la bataille des télécom en Afrique, et les acteurs issus du Sud en sont bien conscients. Ils sont bien placés, compte tenu de leur propre expérience historique, pour réconcilier ces différentes dimensions, et pour les mettre au service d'une croissance toujours plus inclusive, et d'un développement toujours plus solidaire.

  

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