Sortie de l'euro : que sait-on de la fin des unions monétaires ?

Par Christophe Blot et Francesco Saraceno  |   |  1279  mots
Des unions monétaires ont déjà éclaté, mais il s'agissait de pays beaucoup moins ouverts commercialement et financièrement. Construire des scénarios sur une sortie de l'euro est vain, tant l'incertitude est grande. Il est encore possible de réformer le fonctionnement de la zone euro. Par Christophe Blot et Francesco Saraceno @fsaraceno, économistes, OFCE- Sciences Po

A l'approche des élections européennes, le débat s'intensifie autour de l'opportunité pour la France de sortir de la zone euro ou plus généralement d'une dislocation de l'union monétaire européenne. Si l'expérience de la création de l'euro fut un événement inédit dans l'histoire monétaire, celle d'un éclatement le serait tout autant. En effet, une analyse des précédents historiques en la matière montre qu'ils ne peuvent servir de point de comparaison pour la zone euro.

Eclatement des zones monétaires: des économies peu ouvertes

Les expériences plus récentes d'éclatement de la zone rouble -après l'effondrement de l'URSS - ou de la Yougoslavie ont concerné des économies peu ouvertes commercialement et financièrement. Dans ces conditions, les conséquences en termes de compétitivité ou de stabilité financière d'un retour aux monnaies nationales et des éventuels ajustements de taux de change qui suivent sont sans commune mesure avec ce qui se produirait dans le cas d'un retour au franc, à la peseta ou à la lire.

La plus proche: l'union austro-hongroise, entre 1867 et 1918

La séparation peu troublée de la République Tchèque et de la Slovaquie en 1993 concernait également des économies encore peu ouvertes. Finalement, l'expérience la plus proche de celle de l'UEM est très certainement l'Union Austro-Hongroise, crée entre 1867 et 1918, puisqu'on y retrouve une banque centrale commune chargée de contrôler la monnaie mais pas d'union budgétaire, chaque Etat disposant pleinement de ses prérogatives budgétaires sauf pour ce qui concerne les dépenses militaires et celles afférentes à la politique étrangère. Il faut ajouter que l'Union en tant que telle ne pouvait s'endetter, le budget commun devant nécessairement être équilibré. Si cette union avait noué des relations commerciales et financières avec de nombreux autres pays, il n'en demeure pas moins que l'éclatement de l'Union est intervenu dans le contexte très particulier de la fin de la Première Guerre Mondiale.

 Une incertitude radicale sur les conséquences de la sortie de l'euro

Force est donc de constater que l'histoire monétaire nous apprend peu de choses dès lors qu'il s'agit d'envisager la fin d'une union monétaire. Dans ces conditions, il nous semble que les tentatives d'évaluation d'un scénario de sortie de l'euro sont soumises à une incertitude que l'on peut qualifier de radicale qui rend vaines ces tentatives.

Il est toujours possible d'identifier les effets positifs ou négatifs d'une sortie de l'euro mais aller au-delà en essayant de chiffrer précisément les coûts et les bénéfices d'un scénario d'éclatement, ressemble plus à un exercice de fiction qu'à une analyse scientifique robuste. Du côté des effets positifs, on pourra certes toujours objecter que les effets de compétitivité d'une dévaluation peuvent être quantifiés.. Mais qui pourra bien dire de combien se déprécierait le franc en cas de sortie de la zone euro ? Comment réagiraient les autres pays si la France sortait de la zone euro ? L'Espagne sortirait-elle également ? Mais dans ce cas, la peseta se dévaluerait également, de combien ? Le nombre et l'interaction de ces variables dessinent une multiplicité de scénarios qu'aucun économiste ne peut prévoir en toute bonne foi, et encore moins chiffrer.

Les taux de change entre les nouvelles monnaies européennes seront de nouveau déterminés par les marchés et s'il y a bien un résultat connu de l'analyse empirique sur les taux de change, c'est que les différents modèles de détermination des taux de change s'avèrent incapables de les prévoir.

 Une prolifération de recours en justice

Et quid de la dette des agents, privés et publics, du(es) pays sortant(s) ? Les juristes se partagent sur la part qui serait convertie ope legis dans la(es) nouvelle(s) devise(s), et celle qui resterait dénommée en euros, alourdissant l'endettement des agents. Il est donc probable que la sortie serait suivie d'une prolifération de recours en justice, dont l'issue est imprévisible. Après la crise mexicaine en 1994, et encore lors de la crise asiatique en 1998, on observa une augmentation de l'endettement des agents, y compris des gouvernements. La dévaluation pourrait donc accroître les problèmes de finances publiques, et du système bancaire (de par ses engagements en euros et du fait des risques de défaut des agents non financiers endettés en euro).

Prévoir un tel processus… relève de l'astrologie

Comment mesurer l'ampleur de ces effets ? L'accroissement du taux de défaut ? Comment réagiront les déposants face à une possible panique bancaire ? Ne souhaiteront ils pas privilégier la valeur de leurs avoirs en conservant des dépôts en euros, quitte à ouvrir des comptes dans des pays jugés plus sûrs ? On pourra alors prétendre qu'en retrouvant l'autonomie de notre politique monétaire, la banque centrale mènera une politique ultra-expansionniste, que l'Etat bénéficiera de marges de manœuvre financière, mettra un terme à l'austérité et sauvera le système bancaire et l'industrie française, que les contrôles des capitaux seront rétablis afin d'éviter une panique bancaire… Mais encore une fois, prévoir comment un processus de telle complexité se déroulera, relève de l'astrologie…

Créer l'euro, un choix purement politique, en sortir, aussi

Dans ces conditions, il nous semble que toute évaluation du coût ou des bénéfices d'une sortie de l'euro conduit à un débat stérile. La seule question qui mérite d'être posée relève du politique et d'économie politique. La création de l'euro fut un choix politique, sa fin éventuelle le sera également. Il faut sortir d'une vision sclérosée d'un débat européen qui oppose les partisans d'une sortie de l'euro à ceux qui ne cessent de vanter les succès de la construction européenne. Force est de constater que la situation de l'Europe ne donne pas entièrement satisfaction.

Des réformes possibles

L'Europe ne séduit pas ses concitoyens comme le rappellent régulièrement les enquêtes européennes sur la confiance dans les institutions. De nombreux pays sont encore en crise et avec un taux de chômage de 10,5 % dans l'Union à 28 pays (11,8 % dans la zone euro), l'échec des politiques économiques européennes et de la gouvernance de la zone euro est patent. Il nous semble donc que des réformes sont indispensables et qu'elles sont possibles. Les contours de ces réformes sont esquissés dans un numéro récent de la Revue de l'OFCE qui couvre les multiples enjeux (juridique, politique et économique) du débat européen.

Le fonctionnement démocratique de l'Europe doit être renforcé. La gouvernance économique a encore besoin de nombreuses réformes afin de stimuler plus de coordination des politiques économiques, le soutien à la croissance et une plus grande solidarité entre les Etats membres. Enfin, l'accent des politiques publiques européennes doit être mis sur les questions d'inégalités, de politique industrielle et commerciale, d'immigration, de transition écologique et marché du travail. Les auteurs, qui ont contribué au numéro, partagent l'opinion qu'il est nécessaire d'agir sur plusieurs leviers afin de relancer le projet européen. Il reste à voir si dans les prochaines années la sphère politique sera capable de s'engager sur un tel chemin ou si le choix sera fait de façon concertée de remettre en cause tout ou partie du projet européen.