Google : les juges européens veulent-ils gommer l'Histoire ?

En voulant, dans le dossier Google, donner le droit à chaque individu d'obtenir la suppression de toute page internet dans laquelle il apparaît, la Cour de justice de l'Union européenne va trop loin. Au nom du droit à l'oubli, cette possibilité de gommer l'Histoire risque de conduire à une déresponsabilisation générale. Par Thomas Guénolé, politologue et maître de conférence à Sciences Po et Bruno Walther, CEO et co-fondateur de Captain Dash

 Dans son désormais célèbre 1984, Georges Orwell mettait en scène une société sous constante surveillance électronique réalisée par ce fameux grand frère, "Big Brother". Telle est souvent la seule partie que l'on retient de cet ouvrage même si au fur et à mesure des pages, on en découvre une autre. Une civilisation où le présent modifie le passé, réécrit les anciens articles de presse afin de faire coïncider les annonces prévisionnelles du Gouvernement avec la réalité. La production de blé est en deçà de celle annoncée quelques mois ou années plus tôt ? Pas de problème, modifions les archives et brûlons-les !

 Quand la Cour de justice de l'UE nous transporte chez Orwell...

Cette société n'est plus imaginaire et la Cour de justice de l'Union européenne vient, avec sa dernière décision de nous y faire entrer de plein fouet. L'histoire est simple. Un individu a quelques démêlés avec les administrations espagnoles et fait l'objet d'une sanction se traduisant par l'impression de son nom dans l'un des principaux journaux du pays. Mécontent, quelques années plus tard de cette mauvaise presse, il demande auprès de l'autorité de protection de son pays de faire supprimer toutes références à son nom. L'affaire arrive à Luxembourg où les juges considèrent que cette personne, dès lors qu'elle n'est pas un personnage public, détient un droit absolu à l'effacement auprès de l'ensemble des moteurs de recherche, Google en tête.

 Les réseaux sociaux vous alertent

Ce droit à l'oubli n'est pas choquant. Avec une digitalisation de notre économie, avec de plus en plus de citoyens ayant recours aux réseaux sociaux, tweetant, publiant et partageant leurs photos, on assiste bien évidemment à des excès. Qui ne craint pas de se retrouver, en bien mauvaise posture, un verre à la main ou pire, sur la page d'un réseau social ?

La chance est que ces réseaux sociaux ont compris ces enjeux. Ils ont vu le risque que de tels partages faisaient peser sur la confiance de leurs utilisateurs. Tous, sans exception, ont développé des outils permettant d'être informé si un contenu nous concernant est posté. Vous êtes taggué dans une photo, vous recevez une alerte. Un ami vous mentionne dans un message, un email voire un SMS vous est envoyé. Et derrière, c'est la capacité offerte de modifier le contenu ou de la demander à son auteur.

 La Cour européenne va trop loin

La Cour européenne va plus loin, peut-être trop loin. Dorénavant, une personne peut demander à tout moment de voir un contenu être rendu inaccessible, filtré des moteurs de recherche et sans doute demain, de l'ensemble des réseaux sociaux, des systèmes d'archives comme Archive.org et finalement, du Web tout entier. Mais quelle raison impérieuse justifie une telle possibilité ? Aucune ! Toutes peuvent être utilisées. Les juges ont érigé un droit absolu, celui de décider si tel contenu peut ou non être accessible sur la toile.

 Un monstre créé par les juges

Partant d'une bonne intention, c'est un monstre que les juges ont créé. Chaque individu a dorénavant le droit de vie et de mort sur une page Internet. Encore faut-il qu'il y soit mentionné me direz-vous? Oui. Mais, il suffira à un individu à peine quelques secondes pour ajouter un commentaire en prenant soin d'y laisser son identité. Automatiquement il détiendra cette faculté d'éteindre à tout jamais l'accessibilité à cette page.

De cette décision, on peut regretter plusieurs choses. Tout d'abord, les magistrats auraient sans doute dû imposer à l'individu de contacter, avant tout, le site internet où le contenu incriminé est affiché. Ecraser une mouche avec un marteau est, certes, efficace ; cela n'en reste pas moins disproportionné. Le blocage de l'accès à un contenu doit demeurer l'exception, quelque soit l'intermédiaire qui procède à ce filtrage.

 Offrir une telle gomme géante, est-ce bien raisonnable?

Par ailleurs, l'absence de contrôle préalable donne les clés à tous ces Géants - souvent américains - pour décider ce que l'on peut ou l'on ne peut pas voir. Qui viendra se plaindre de la disparition d'un contenu ? Et si oui, auprès de qui ? Enfin, la décision va hélas déresponsabiliser les internautes. A un moment où des grands débats de société surgissent, où l'on appelle chaque citoyen à la maîtrise de la parole et au respect de l'autre, offrir une sorte de gomme géante leur permettant de supprimer de manière large et sans préavis tout contenu, est-ce bien raisonnable?

 Vers une disparition de l'Histoire?

Le Gouvernement français par la voix d'Axelle Lemaire et d'Arnaud Montebourg se félicitaient de cette décision. Pourtant les effets de bord sont nombreux. Il revient désormais à l'Europe de s'emparer de ce dossier et de savoir si l'on doit réduire à néant le devoir de mémoire. Le règlement européen en cours de débat permettra de rééquilibrer la situation. 70 ans après la deuxième guerre mondiale, la part des archives écrites est aujourd'hui prépondérante. Veut-on vraiment vivre dans un monde où l'histoire va disparaître voire être réécrite morceau par morceau ?

 

Par Thomas Guénolé, politologue et maître de conférence à Sciences Po et Bruno Walther, CEO et co-fondateur de Captain Dash

 

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Commentaires 12
à écrit le 23/05/2014 à 23:33
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Entièrement d'accord avec Toto ! Son commentaire résume tout... Un peu n'importe quoi quand même...

à écrit le 22/05/2014 à 22:40
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bien venu chez orwell . légalité de traitement devant la loi conduira sans aucun doute dans cinq ans le temps que cela arrive a la cour européenne a donné le droit a tout citoyen de pouvoir effectivement effacé toute les donnés se raportant a lui qu ...

à écrit le 21/05/2014 à 13:07
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La CNIL - qui soutient le droit à l'oubli - vient de dénoncer la dérive totalitaire de la France en raison de l'argument simpliste de nos gouvernants qui est de dire "rien à se reprocher - rien à cacher". Et elle explique: "Ce raisonnement simpliste ...

à écrit le 21/05/2014 à 12:53
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Le droit à l'oubli, c'est la naissance d'une nouvelle liberté fondamentale. Très bien.

à écrit le 21/05/2014 à 12:47
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Effacer de la toile, vraiment ? Google est un outil de recherche parmi d'autres. Si leur moteur ne référence plus les informations sur cette personne, celles-ci n'ont pas disparues pour autant. Le Dark net existe et aussi d'autres moteurs de recherc...

à écrit le 21/05/2014 à 11:48
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N'importe quoi ! Il ne suffira bien entendu pas de commenter une page pour la voir disparaître ! Car ce sera à la justice de délibérer, à la condition que des informations personnelles soient divulguées sans le consentement de la personne (ce qui n'e...

à écrit le 21/05/2014 à 11:24
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Vous mélangez des choses qui n'ont rien à voir, censure totalitaire et droit individuel de défendre son honneur et sa réputation. En outre, vous imaginez un "monstre juridique" qui n'existe pas. On peut supprimer un commentaire identifié sans tout ôt...

à écrit le 21/05/2014 à 10:06
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"Oui. Mais, il suffira à un individu à peine quelques secondes pour ajouter un commentaire en prenant soin d'y laisser son identité. Automatiquement il détiendra cette faculté d'éteindre à tout jamais l'accessibilité à cette page" Bravo pour la conn...

à écrit le 21/05/2014 à 10:04
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Ohé Messieurs, il faudrait faire la différence trois ou quatre choses. 1. Les actions des hommes et femmes publiques dont les politiques 2. Les actions des hommes et femmes dans l'exercice de leur business (je parle des cadres dirigeants ou des trade...

à écrit le 21/05/2014 à 9:06
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L'article suinte le substrat idéologique de l'ultra-libéralisme : "la responsabilité de l'individu". Vous avez bien retenu la leçon de votre maitresse à penser Ayn Rand.

à écrit le 21/05/2014 à 8:30
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N'importe quoi...

à écrit le 21/05/2014 à 8:10
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Suppression de la démocratie, contrôle de l’information, contrôle des populations, création d'un nouveau peuple "européen" malgré toutes les différences culturelle linguistique et historique, réécriture de l'histoire, bref bienvenue en UERSS. L'UP...

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