Décret "Alstom" : la France est loin d'être seule

Le décret annoncé par Arnaud Montebourg sur le contrôle des investissements étrangers place-t-il la France dans une position difficile vis à vis de Bruxelles? En fait, six pays européens ont déjà mis en place des systèmes similaires, ce dont la commission européenne devrait tenir compte. Par Saliha Bardasi et Alexandre de Verdun, avocats, Jones Day

Le décret  du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable est le dernier d'une série de décrets adoptés au gré de l'actualité. Le gouvernement a plusieurs fois modifié la réglementation des investissements étrangers en France. Ce fut le cas en 2003, après la condamnation par la CJCE du dispositif français d'autorisation préalable, en 2005, en réaction à l'offre d'achat de Danone par Pepsico, en 2012, en supprimant la distinction entre caractère indirect ou direct de l'investissement, puis en 2014, en réaction à l'offre d'achat de la branche énergie d'Alstom par GE.

11 secteurs considérés comme stratégiques

Si le principe de liberté des relations financières entre la France et l'étranger affirmé depuis la loi du 28 décembre 1966 reste inchangé, ce nouveau texte étend considérablement le champ des investissements soumis à autorisation préalable. Aux onze secteurs déjà considérés comme stratégiques (armes et munitions, biens à double usage, sécurité informatique, cryptologie, jeux d'argent…), il en ajoute cinq autres pour lesquels les investissements étrangers réalisés en France seront désormais soumis à l'autorisation du ministre de l'économie : intégrité, sécurité et continuité de l'approvisionnement en énergie (électricité, hydrocarbures et autres sources d'énergie) et en eau, réseaux et services de transports, réseaux et services de communications électroniques, installations vitales et santé publique.

Ces nouveaux champs débrident le contrôle administratif et lui permettent d'appréhender des secteurs économiques particulièrement développés en France. Si le pouvoir politique n'a jamais hésité à faire spontanément preuve de pugnacité, le nouveau texte offre à l'activisme gouvernemental une légitimité textuelle et une matrice puissante. Hormis l'extension du champ d'application, le régime des investissements étrangers soumis à autorisation préalable demeure inchangé.

Des règles tortueuses

Les règles régissant l'autorisation préalable des investissements étrangers sont particulièrement tortueuses, le régime applicable résultant de combinaisons à géométrie variable de différents paramètres, eux-mêmes subdivisés en catégories. Ainsi la définition de l'investissement étranger repose sur deux critères : (i) son origine géographique (Union européenne ou non) et (ii) la nature de l'opération. Est généralement visée l'acquisition (i) du contrôle ou (ii) de tout ou partie d'une branche d'activité d'une entreprise dont le siège social est établi en France.

Dès réception d'un dossier complet, l'administration se prononce dans un délai de deux mois, à défaut de quoi, l'autorisation est réputée donnée. Le ministre peut conditionner son autorisation à des engagements de l'investisseur, généralement de longue durée (préservation de l'emploi, du savoir-faire et, selon le nouveau décret, intégrité, sécurité et continuité de l'exploitation d'une installation vitale, des services de transport…), voire à la cession des activités relevant des secteurs stratégiques. L'investisseur qui les méconnaîtrait s'expose notamment à des sanctions pécuniaires, d'un montant maximum égal au double du montant de l'investissement irrégulier, et pénales.

La dynamique de négociation introduite en 2005 est renforcée

Ce nouveau décret renforce la dynamique de négociation introduite en 2005 avec l'autorisation sous conditions. La plus grande transparence du processus décisionnel de l'administration française est une invitation : en révélant sa grille d'analyse, l'administration engage l'investisseur à se rapprocher de ses services en amont de l'opération projetée. Dès la phase de due diligence, les conseils de l'investisseur l'aideront à identifier si la cible relève des secteurs réglementés puis l'accompagneront dans la négociation des engagements avec l'Etat, ainsi érigé en partenaire incontournable.

 Six pays ont déjà des systèmes de contrôle des investissements étrangers

Tout procès en protectionnisme est inapproprié dans la mesure où la concurrence internationale impose aux acteurs de se battre à armes égales. Par ce nouveau décret, la France rejoint les standards internationaux. En Europe, outre la France, six pays ont mis en place des systèmes de contrôle des investissements étrangers : Royaume-Uni, Allemagne, Espagne, Italie, Pologne et Suède. Par exemple, le ministère de l'économie allemand peut, au regard de la sécurité et de l'ordre public, interdire toute prise de participation supérieure à 25% dans tous les secteurs de l'économie. Au Royaume-Uni, les secteurs réglementés ne sont pas précisément listés et concernent tous les secteurs affectant les intérêts nationaux.

L'administration a une grande liberté pour exercer son contrôle

Le caractère délibérément vague de la notion d'intérêt national donne toute liberté à l'administration pour exercer son contrôle. Hors Union européenne, à rebours de leur tradition libérale, les Etats-Unis ont depuis 2001 considérablement étoffé leur arsenal juridique (renforcement des prérogatives du CFIUS[1] et adoption des législations ITAR et FINSA) afin de protéger leurs propres secteurs stratégiques. L'examen du rapport d'activité du CFIUS révèle l'extension des motifs de contrôle des investissements étrangers : le critère de la sécurité nationale n'est plus limité au domaine militaire mais englobe tout ce qui est important pour l'économie américaine. En Chine, le ministère du commerce a publié un «  catalogue des investissements industriels étrangers » censé régir les investissements étrangers. Cependant ce document n'a qu'une valeur indicative et les régulateurs peuvent interdire des investissements étrangers pour tout autre motif.

Une réaction défensive de la commission européenne...

La Commission européenne n'ayant pas été associée à la rédaction du décret, a adopté une réaction défensive lors de la publication du nouveau texte et déclaré, par la voix de son commissaire chargé du marché intérieur, qu'elle vérifiait « si les mesures entrent bien dans le champ de la défense légitime de l'intérêt public ». En substance, la Commission européenne opère un double contrôle de conformité du dispositif portant (i) sur la conformité du décret au principe fondamental de libre circulation des capitaux, à la lumière de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne et (ii) sur le respect de sa compétence exclusive en matière de droit de la concurrence.

...qui ne peut ignorer les pratiques de certains États membres

 Si la censure - limitée - du décret Loos-Villepin en 2005 constitue un précédent, la Commission ne peut ignorer la concurrence internationale et sa position doit être cohérente par rapport aux pratiques de certains États membres. Plus généralement, au regard des mécanismes de contrôle adoptés par les grandes nations, l'Union européenne devrait initier une réflexion visant à faire primer un principe de réciprocité des mécanismes de « filtrage » ou d'évaluation des investissements étrangers, voire envisager la création au niveau européen de mécanismes harmonisés de protection des technologies sensibles.

Sauf divergence insoluble, les négociations en cours entre Bruxelles et Paris ont vocation à demeurer confidentielles. Pour mémoire, les discussions UE-Etat membre ont lieu sous forme de dialogue structuré (échanges de questions et réponses encadré par un calendrier). Si les difficultés persistent, la Commission adresse à l'Etat membre une lettre de mise en demeure, qui pourra donner lieu à un avis motivé avant saisine de la Cour si besoin.

 [1] Committe on Foreign Investment in the United States.

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Commentaires 4
à écrit le 23/05/2014 à 11:46
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ne pas vendre ALSTOM

à écrit le 22/05/2014 à 21:57
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SERAIT TEMPS QU ILS SE REVEILLENT NOS ZELITES POLITICARDS ET ADMINISTRATIFS

à écrit le 22/05/2014 à 15:21
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Montebourg dit que la France s'aligne c'est la pratique US. Et toute la presse reprend ses propos en boucle sans vérifier. Il existe une commission CFIUS qui peut etre saisit des lors que la prise de contrôle d'une entreprise armoricaine par un inves...

le 22/05/2014 à 20:01
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C'mon guy ! il y a un tas de dispositions protectionnistes/de préférence nationale dans le droit US. il y a eu un certain nombre de décisions contre des transactions avec des étrangers : DP World, CNOOC, Huawei, avions ravitailleurs... c'est marran...

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