Européennes : quand le peuple fait sécession

Par Jean-Christophe Gallien  |   |  891  mots
Le "succès" du FN doit être relativisé. C'est plutôt d'un rejet d'une offre politique faible et dépassée qu'il faut parler. Le peuple fait sécession. Jean Christophe Gallien, professeur associé à l’Université de Paris 1 la Sorbonne*

Encore une terrible fessée pour notre classe politique et quelle défaite pour la France que ce scrutin européen. Si le sujet de l'élection était bien l'Europe, que cela nous plaise ou non, comme en Allemagne, l'Europe doit être comprise comme un enjeu national et comme une affaire intérieure. 80% de notre régulation est d'origine européenne, notre monnaie est européenne … Prenons bien garde de projeter le bon angle : défaite de l'Europe et même de l'Union en construction, mais pas seulement. Certes l'abstention électorale moyenne en Europe est d'un peu moins de 57 % ce qui doit interpeller l'ensemble des acteurs institutionnels de l'Union et en particulier les parlementaires sortants. Avec 43% de votants, la France serait donc dans la moyenne européenne. Triste moyenne pour l'un des fondateurs de l'Union. Certes l'abstention était pire encore en 2009. Mais ce résultat de mai 2014 vient après celui des municipales de mars 2014 et une série de scrutins marqués par la progression continue de l'abstention dans notre pays. Il s'agit d'un échec qui n'est pas seulement celui de la démocratie européenne. La défaite est aussi politique et nationale. Et elle est dans tous les camps.

Pas de vacances, pas de pont, un beau printemps et pourtant pas de français aux urnes. Si l'on additionne les non inscrits et les « exprimés » blanc ou nuls, une France silencieuse grossit encore. Celle qui tourne le dos à l'offre politique présentée et renvoie les différents mouvements à une légitimité de plus en plus affaiblie. D'élections en élections, le Peuple français confirme sa sécession !

Le rejet par l'abstention

Notre pays crie son rejet par l'absence. La fronde civile et citoyenne se généralise. Des pans entiers de notre société quittent l'espace de la représentation. Une profonde crise démocratique s'est enracinée. Pourtant les Français aiment la politique, mais ils s'éloignent de l'offre politique, des partis, de leurs appareils, de leurs leaders et désormais de plus en plus des urnes.

Même le Front National qui gagne largement cette élection doit s'interroger sur l'échec général de la participation duquel ce parti émerge mieux que les autres mais qu'il n'a pu totalement dépasser dans la réalité des suffrages exprimés. Et que dire des autres ! L'UMP qui avec une deuxième position anémique à 20% des exprimés prend une gifle terrible, lui qui se posait comme premier parti d'opposition après les municipales. Le Parti Socialiste qui gouverne ce pays est relégué à un niveau historique de faiblesse autour de 14 % ! C'est une défaite terrible et presque spécifiquement française pour des partis dits de gouvernement.

Une offre politique incroyablement faible, dépassée

On ne peut plus adresser plus aux citoyens une accusation en incompétence politique. C'est l'offre politique proposée qui était incroyablement faible, presque déclassée. Elle ne pouvait convaincre ni même amorcer un intérêt citoyen. La campagne a encore dépassé la mollesse et l'effacement de celle déjà si évanescente des municipales ! Courte, et comme encore une fois délaissée dans la crainte d'en découdre avec le Peuple. On ne va pas voir un film si le casting, l'histoire et son sujet ne vous plaisent pas ! C'est pareil en politique. Quand il n'y a pas de respect pour les citoyens, il n'y a pas de respect pour la démocratie.

Une crise de confiance totale

Pire, l'abstention politique et électorale n'est pourtant qu'un des visages de cette impressionnante migration citoyenne. Un divorce de plus en plus profond s'est installé entre la république des citoyens et celle des élites quelles qu'elles soient. La crise de confiance est totale. La rupture s'est encore rapprochée en ce beau mois de mai 2014.

Les épreuves sociales quotidiennes, les inquiétudes identitaires, l'expérience concrète d'une insécurité qui désormais touche toutes les zones de la vie personnelle et de l'expérience collective. Les demandes répétées à l'usure qui ne reçoivent pas de réponses réelles et surtout le sentiment de plus en plus affirmé chez les français que les politiques, les gouvernants sont comme eux-mêmes perdus, sans repères, sans vision, pire, sans pouvoir face aux fruits amers d'une mondialisation. Ils ne trouvent plus d'avocats pour leur avenir, qui sans défense, s'obscurcit chaque jour d'avantage.

Baudrillard l'écrivait en 1995, dans un texte prophétique : « les ilotes et les élites ». « Nous vivons dans une réalité politique parfaitement dissociée. D'un côté, la classe politique, micro-société parallèle secrètement en chômage technique, … vouée semble-t-il à l'unique tâche de se reproduire, dans une confusion endogamique de toutes les tendances ... De l'autre, une société « réelle » de plus en plus déconnectée de la sphère politique. Toutes deux, s'éloignant l'une de l'autre à une vitesse grand V, semblent plus ou moins destinées à dépérir ou à se désagréger chacune dans leur coin ». Tous les signaux sont désormais au rouge, le temps est à l'invention politique.

*Président de j c g a, Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals

 

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