Le Brésil est prêt mais n’a pas encore gagné

En organisant la coupe du monde de foot, le gouvernement brésilien se montre ambitieux, voulant porter au reste du monde un message de puissance, de maturité et d'excellence. Un pari risqué. par Jean-Christophe Gallien, professeur associé à l’Université de Paris 1 la Sorbonne

L'organisation d'une phase finale de Coupe du Monde de Football comme celle des Jeux Olympiques est un objet hybride : à la fois arme diplomatique et business majeure de la compétitivité contemporaine d'un pays et fête identitaire, sociétale et politique interne sans peu d'équivalent.

Avec les Jeux Olympiques d'hiver de Sochi, la cible,pour la Russie, était d'abord intérieure, identitaire et politique : celle du grand retour de la Nation Russie à qui son leader Vladimir Poutine proposait à la fois une démonstration de force, de sa force propre en tant que peuple et aussi une offre de réconciliation entre deux histoires, presque de deux pays. Pour le Brésil s'il s'agit aussi d'organiser une fête interne, brésilienne, dans laquelle le peuple tout entier devrait communier et pourquoi pas prospérer, au delà de ses inégalités et différences profondes, on sent bien quecette fête de plus en plus médiatique et télévisuelle traduit surtout une volonté très ambitieuse, trop peut-être, de porter au reste du Monde un message de puissance, de maturité et d'excellence. Cette Coupe du Monde doit être un marqueur de l'entrée définitive du Brésil au premier plan du concert des Nations, au cœur de l'agenda du Monde.

Deux ans d'exposition médiatique...une mise en danger

Cette déclaration d'émergence équilibrée ne semble pas vraiment partagée par des brésiliens qui directement ou indirectement portent un message beaucoup plus mesuré. Conséquence, elle aura aussi du mal à être entendue et acceptée par les opinions publiques mondialisées.

Ainsi, le Brésil qui ouvre aujourd'hui une séquence extraordinaire d'exposition médiatique et populaire qui va durer deux ans pour se clôturer par l'organisation des jeux olympiques d'été en 2016 apprends combien il est difficile de maîtriser tous les paramètres d'un tel enchaînement.

Le territoire qui décide d'organiser de telles manifestations se met en danger parce qu'il s'ouvre au Monde. L'éclairage porté sur le pays hôte est à la fois un formidable créateur d'audience globale mais aussi un implacable révélateur de l'expérience réelle vécue par ce pays et sa population. Les visiteurs vont pénétrer le réel brésilien. Ils vont la vivre, la diffuser dans tous les écrans. Ils doivent vivre un parcours en ligne avec la déclaration ambitieuse … sinon le décalage sera très négatif et totalement contre productif.

Une certaine défiance

Lula puis Dilma Roussef ambitionnaient une démonstration de savoir faire et de maturité. Certes à marche forcée, le Brésil devait être au rendez-vous. Aujourd'hui plus que le doute qui habite toutes les têtes, une forme de défiance menace l'impact extérieur recherché par le Brésil.

Le pays ne fait pas corps autour de cet événement, il demeure sous pression et la colère gronde. Une grogne sociale qui s'exprime autant contre les conditions réelles de vie de brésiliens, que contre l'utilisation dispendieuse et opaque de fonds publics pour l'organisation de sa Coupe du Monde au détriment de la mise à niveau des services publics et des infrastructures, sans oublier contre les pratiques et contraintes vampirisantes de la FIFA. Les manifestations, les grèvesdébutées en juin 2013 se poursuivent activement. Elles viennent bousculer les écrans lisses des expressions promotionnelles.

Un levier de négociation pour l'opposition

Si la Coupe du Monde comme les Jeux Olympiques ne peuvent corriger, encore moins effacer les malheurs économiques, les misères sociales, les zones sombres du politique et de l'organisation démocratique. Leur première magie est autre. Les citoyens brésiliens, les acteurs de l'opposition sociale ont bien compris l'extraordinaire fenêtre de tir qui s'offrait à eux. Les yeux médiatiques de l'opinion publique mondialisée sont centrés sur le pays du ballon rond et leur offrent là leur meilleur allié et un levier de négociation sans pareil qui sera prolongé par la prochaine campagne présidentielle puis, pour les cariocas, par la fin de la préparation des Jeux Olympiques d'été de 2016. En 1998, des mouvements sociaux avaient marqué l'approche de notre Coupe du monde à nous. En particulier les pilotes d'Air France qui faisaient planer la menace d'un « Mondial sans ailes » comme le titrait, à l'époque, Libération.

 Une réponse à notre besoin de jeu

Mais que Dilma Roussef, les autorités brésiliennes la FIFA et ses partenaires se rassurent, entre rires et larmes sportives, les luttes sociales ne remettront pas en cause notre appétit d'émotions et de victoires. Nous allons tous et toutes vibrer pour nos sportifs nationaux et les autres et nous passeront très largement sur le reste. C'est là l'autre magie et la puissance de la Coupe du Monde et des Jeux Olympiques que nous avons déjà décrites pour Sochi cet hiver. Elle réside dans sa réponse idéale et scénarisée à notre besoin, à notre plaisir du jeu. Une magie qui s'exerce en continu via des écrans désormais omniprésents chez les supporters que nous sommes surtout.

Seul son parcours fera de la Selecao le ciment national et populaire pour l'instant improbable. Grosse pression pour les joueurs, mais aussi les autorités et donc la FIFA.

Victoire brésilienne... ou pas

Et c'est ce qui différencie la Coupe du Monde des Jeux Olympiques. Avec les JO, l'enjeu du résultat sportif est partagé entre de nombreuses disciplines, de nombreux sportifs. En cas de victoire sportive brésilienne, une partie de la bataille sera gagnée, celle de l'interne. Tout du moins jusqu'à l'élection présidentielle de novembre. Dans le cas contraire l'après Coupe du Monde sera plus que tendue et la gueule de bois sévère entraînant aussi de vraies difficultés de préparation pour les futurs JO d'été. Dans les deux cas, le reste du Monde passera à autre chose, très vite, comme pour Sochi, l'Afrique du Sud ou Pékin. Business as usual !

Formidables outils de diplomatie et d'audience, les Jeux Olympiques et la Coupe du Monde sont aussi de dangereux révélateurs. Rien n'est définitivement joué, mais le Brésil plus en difficulté que prévu sur la bataille externe est encore moins certain de remporter celle de l'interne. La France d'aujourd'hui devra bien réfléchir avant de se lancer dans le défi des Jeux Olympiques d'été de 2024 !

 

Professeur associé à l'Université de Paris 1 la Sorbonne

Président de j c g a

Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals

 

 

 

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Commentaires 3
à écrit le 24/06/2014 à 16:11
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Selon les avis de nombre de Brésiliens lucides, le fait d'avoir voulu organiser un Mondial au Brésil n'avait pas les raisons avancées dans cet article. À part en France, un Mondial de foot n'accorde pas tellement de prestige à un pays, sauf à ceux qu...

à écrit le 12/06/2014 à 17:45
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Le Brésil est un grand pays ... en devenir. Nous sommes un grand pays ... du passé !

à écrit le 12/06/2014 à 15:45
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Pas mal, dans la lignée des papiers sur Sochi. Ouvrons les yeux ! Le Brésil demeure une zone souvent trop grise. 2024 en France ? Réfléchissons bien.

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