Traité transatlantique : attention aux clauses financières !

Par Hans-Werner Sinn  |   |  1081  mots
Le traité transatlantique est bon pour la croissance. Mais des clauses de protection des investisseurs étrangers aboutissant à la déresponsabilisation de certains Etats seraient inacceptables. Par Hans-Werner Sinnn, président de l'Ifo Institute for Economic Research, et membre du Conseil consultatif du ministre allemand de l'Économie

Le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement, actuellement objet d'intenses négociations entre l'Union européenne et les États-Unis, fait de plus en plus parler de lui. En effet, compte tenu de la puissance des deux économies concernées, qui représentent ensemble plus de 50% du PIB mondial et un tiers des flux commerciaux internationaux, les enjeux sont de taille. S'ils entendent voir le PTCI bénéficier aux consommateurs des deux côtés de l'Atlantique, les négociateurs devront admettre et éviter plusieurs pièges significatifs - certains apparaissant plus évidents que d'autres.

Les accords commerciaux bilatéraux ont actuellement le vent en poupe. Les États-Unis et le Canada ont par exemple récemment conclu un Accord économique et commercial global, qui devrait constituer la base du PTCI.

Le fiasco de Doha

Rien de surprenant à cela, compte tenu des échecs répétés de l'Organisation mondiale du commerce en direction de l'instauration d'un accord sur le plan international. Les discussions de l'OMC au cycle de Doha ont été un véritable fiasco, l'accord conclu à Bali l'an dernier - bien que présenté comme une réussite - n'aboutissant qu'à peu d'autres choses qu'à l'accélération de la collecte des droits de douanes.

En l'état actuel des choses, les craintes autour d'une insuffisante protection des consommateurs, laquelle se trouve biaisée par les intérêts particuliers, dominent les discussions autour du PTCI. Songez aux désaccords concernant les différences de traitement de la viande de volaille. Aux États-Unis, cette viande subit un nettoyage à l'eau chlorée, tandis qu'en Europe les poulets sont gavés d'antibiotiques tout au long de leur existence. Dans le cadre d'une démarche que l'on ne peut que considérer comme absurde, les producteurs européens s'efforcent de convaincre leurs clients du caractère fort moins souhaitable de la première de ces deux méthodes pour la santé des consommateurs.

Une protection du consommateur plus stricte aux Etats-Unis, en fait

Or, la protection du consommateur se révèle en réalité beaucoup plus stricte et poussée aux États-Unis que dans l'UE, au sein de laquelle, à l'issue de la décision Cassis de Dijon rendue par la Cour de justice des communautés européennes, la norme minimale applicable à tous les États est déterminée par le pays appliquant dans chaque cas la norme la moins stricte. Par opposition, la Food and Drug Administration américaine veille au respect des standards les plus exigeants autour des produits, de sorte qu'en vertu du PTIC, les consommateurs européens pourraient accéder à des produits de meilleure qualité pour un moindre prix.

Faciliter le commerce, c'est permettre aux pays de se spécialiser

Le principal avantage de la facilitation du commerce réside dans le fait qu'elle permet aux États de se spécialiser dans les domaines dans lesquels ils sont les plus compétents. Comme l'a expliqué Ralph Ossa dans un document de travail rendu auprès du Bureau national américain de la recherche économique, si l'Allemagne n'avait pas accès aux marchés internationaux, le niveau de vie du pays serait deux fois inférieur à ce qu'il est aujourd'hui. Selon Gabriel Felbermayr de l'Ifo Institue, le PTIC pourrait ainsi améliorer le niveau de vie allemand de 3 à 5%.

De telles avancées positives ne sont toutefois pas garanties. L'un des principaux risques de la facilitation du commerce réside dans le détournement des flux commerciaux - situation dans laquelle la baisse des droits de douanes entre deux États conduit les consommateurs à se priver de produits moins onéreux en provenance de pays tiers. Lorsque l'épargne des consommateurs ne compense pas le déclin des recettes douanières de l'État, ceci débouche sur l'érosion de l'assistance publique.

Un "OTAN économique serait" peu judicieux

Il s'agirait pour éviter cela d'instaurer des dispositions permettant à un plus large ensemble de pays, parmi lesquels notamment la Chine et la Russie, de prendre part au processus de facilitation du commerce, selon des modalités équivalentes. En effet, l'idée consistant à bâtir une sorte d' « OTAN économique, » qui exclurait des puissances comme la Russie et la Chine, se révélerait peu judicieuse à la fois économiquement et politiquement. Il s'agirait davantage d'impliquer ces États dans le processus des négociations.

Le plafonnement des émissions de CO2, une politique industrielle en faveur des petites autos italiennes et françaises

Un autre risque potentiel concerne la protection de l'investissement. À ce jour, il est acceptable pour l'UE d'assumer une responsabilité lorsque ses propres mesures de santé et de protection de l'environnement fonctionnent telles des barrières commerciales de facto. Les directives de l'UE plafonnant les émissions de CO2 issues des automobiles, par exemple, équivalent en effet à une sorte de politique industrielle destinée à préserver les petites automobiles françaises et italiennes. La protection de l'investissement permettrait de limiter ce genre d'abus.

 L'UE ne doit pas offrir une protection aux investisseurs étrangers

Il n'est cependant pas acceptable pour l'UE d'offrir une protection aux investisseurs étrangers sur la base de l'incapacité d'un État européen à honorer ses obligations, et en particulier à rembourser ses dettes. Comme l'a récemment démontré Norbert Häring du journal Handelsblatt, une telle démarche ferait du PTCI un sorte de mécanisme permettant de mutualiser les obligations au sein de l'UE.

Le fait de garantir les investissements à l'échelle de l'UE conduirait à une réduction artificielle du taux d'intérêt auquel les États individuels de l'UE peuvent emprunter, et les inciterait par conséquent à prendre en charge une dette plus élevée, ce qui suspendrait dans les faits le mécanisme d'autocorrection des marchés de capitaux. Ceci déboucherait sur un nouvel acte du désastre européen de la dette, dont les conséquences seraient loin de valoir les avantages du PTCI.

Le PTCI revêt incontestablement un potentiel considérable dans le renforcement de la performance économique des deux côtés de l'Atlantique. Il perdrait en revanche toute signification si l'on permettait à l'accord conclu de faire office de porte dérobée en direction de la mutualisation de la dette européenne, qui pourrait effectivement se rapprocher des eurobonds.

Traduit de l'anglais par Martin Morel

Hans-Werner Sinn, professeur d'économie et de finances publiques à l'Université de Munich, est président de l'Ifo Institute for Economic Research, et membre du Conseil consultatif du ministre allemand de l'Économie. Il est l'auteur de l'ouvrage intitulé Can Germany be Saved?

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