Poursuites pour entente : pourquoi les entreprises ont intérêt à transiger

Les ententes entre entreprises sont sanctionnées par Bruxelles, mais il est souvent possible d'alléger la peine, en optant pour une logique de transaction... Par Igor Simic, avocat associé, cabinet Darrois Villey Maillot Brochier.

Le Crédit Agricole, HSBC et JP Morgan viennent de recevoir une communication des griefs de la Commission européenne dans l'affaire Euribor. Ces trois banques ont refusé de s'inscrire dans une logique de transaction, contrairement à la Société Générale, la Deutsche Bank et RBS, qui ont été sanctionnées en décembre 2013 dans la même affaire. Or, pour les spécialistes, il est fort probable que ces trois dernières banques auraient été beaucoup plus lourdement sanctionnées si elles n'avaient pas suivi la voie transactionnelle.

Sur les centaines de cas d'ententes traités par Bruxelles, on recense seulement treize recours à cette procédure de transaction instaurée en juin 2008. Ce dispositif reste donc très mal connu des entreprises et c'est regrettable car ceux qui, comme nous, l'ont expérimenté, savent qu'il peut présenter d'immenses avantages pour les entreprises ciblées.

 Des entraves au droit de défense 

Certes, pour s'engager dans cette voie, qui rappelle le fameux « plaider coupable », il faut prendre des engagements qui peuvent paraître dissuasifs, à commencer par ne contester ni la matérialité des faits ni leur qualification juridique. Il faut de plus accepter des entraves très fortes aux droits de la défense, avec des dispositions un peu kafkaïennes comme l'obligation de travailler en anglais quelque soit sa langue ou l'impossibilité d'obtenir copie de l'intégralité des pièces dont dispose la Commission. Par ailleurs, toutes les pièces sur lesquelles la Commission fonde ses accusations restent dans leurs langues d'origine, sans possibilité d'en obtenir une traduction même en anglais.

La Commission a évidemment intérêt à favoriser cette procédure : elle lui permet de fortement réduire les ressources allouées à une affaire, qui peuvent ainsi être mobilisées sur d'autres infractions présumées. Mais les entreprises visées y trouvent aussi leur compte puisqu'elles bénéficient au moins d'une réduction de 10% de l'amende prononcée.

 

Un dialogue apaisé

Lorsqu'on parle d'amendes qui peuvent se chiffrer en centaines de millions d'euros, une remise de 10% apparaît une bien faible compensation à une reconnaissance de culpabilité et à un renoncement au droit de se défendre pleinement. A ce « prix »-là, la tentation est grande de se dire que l'on obtiendra mieux en se battant pied à pied sur tout ou partie des faits reprochés. Mais, ce calcul est à courte vue. Les entreprises auraient tout intérêt à recourir plus fréquemment à la transaction car plusieurs facteurs permettent de réduire l'amende beaucoup plus fortement que les seuls 10% officiellement affichés.

D'abord, la procédure permet de faire valoir ses arguments. La communication des griefs est précédée de nombreuses réunions, qui permettent de discuter voire de contester certains éléments dont dispose la Commission. Ces rencontres s'effectuent dans un climat moins conflictuel que dans une procédure classique, ce dialogue apaisé est plus propice à l'écoute par la Commission des arguments avancés par l'entreprise.

Ensuite, la Commission ne cherche pas à être plus royaliste que le roi. Assurée d'une reconnaissance de culpabilité, elle se limite à ce qui est irréfutable, plutôt que de prendre des risques en tentant de sanctionner davantage.

 

Une amende négociable 

Enfin, le montant de l'amende peut-être largement discuté. Pour le calculer, on fixe le montant de base, un pourcentage (qui peut aller jusqu'à 30%) du chiffre d'affaires de l'activité concernée par l'entente ; on multiplie ce pourcentage par le nombre d'années et on ajoute un « droit d'entrée » équivalent au montant initial. Ensuite, on applique les éventuelles majorations (rôle de meneur de l'entente, récidive, manque de coopération à l'enquête) ou diminutions pour circonstances atténuantes (infraction commise par négligence, participation limitée à l'entente, coopération effective avec la Commission). Finalement, on applique une majoration pour assurer à l'amende son effet dissuasif.

L'expérience montre que la voie transactionnelle permet de discuter chaque étape de ce processus : limitation des produits concernés (donc baisse du chiffre d'affaires de référence) et de la durée de l'infraction lorsque les éléments dont dispose la Commission ne sont pas suffisamment conclusifs ; négociation sur l'effet dissuasif et la majoration de l'amende pour le rôle de meneur ; meilleure prise en compte de circonstances atténuantes... Autant de réductions à toutes les étapes du calcul, sans même attendre la ristourne finale de 10% qui s'applique donc sur une amende déjà fortement allégée.

 

Immunité aux entreprises 

Certes, se lancer dans cette procédure n'a pas de sens si l'on est assuré de disposer de véritables arguments permettant de contester la faute. Mais il ne faut pas se bercer d'illusions. Depuis 1996, la procédure de clémence donne l'immunité aux entreprises qui dénoncent un cartel. Ainsi, pour le dossier de l'Euribor, Barclays a été exonéré d'une amende d'environ 690 millions d'euros.

Aujourd'hui, la quasi-totalité des poursuites sont engagées dans ce cadre. Le demandeur de la clémence devant fournir à la Commission tous éléments de preuve lui permettant d'établir l'existence de l'infraction, celle-ci dispose déjà d'éléments irréfutables lorsqu'elle engage la procédure. Auparavant, le combat pouvait porter sur la réalité des faits. Aujourd'hui, c'est sur le montant des amendes qu'il faut vraiment se battre. Dès lors, la transaction devient, dans beaucoup de cas, la voie de la raison. Tous ceux qui l'ont expérimentée peuvent en témoigner.

 

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