
Dans une tribune publiée le 15 juillet dans la Tribune, le Député PS du Val d'Oise, Monsieur Gérard Sebaoun, rapporteur du projet sur le compte pénibilité, présente et justifie celui-ci comme une réponse urgente au scandale que constituerait l'écart d'espérance de vie de 7 ans entre cadres et ouvriers en France.
>> Lire : La "pénibilité" n'a pas franchi les portes de l'ESSEC
Cette dramatisation fait bon marché du fait que nous sommes dans un état de droit disposant d'un droit du travail qui prend en compte la santé, la pénibilité et qui garantit et protège les travailleurs face à des expositions dangereuses pour eux en fonction de normes établies, françaises mais aussi européennes. Tout l'existant, qui fait de la France et de l'Union Européenne des zones socialement avancées, est balayé en brandissant cet écart entre espérance de vie, preuve irréfutable de la maltraitance subie par les ouvriers au secours desquels vole la majorité parlementaire actuelle.
Pénibilité et espérance de vie
Il va de soi que l'objectif de ses propos n'est pas d'expliquer mais de créer dans le cœur du lecteur un sentiment de colère à l'évocation de l'ouvrier usé qui meurt jeune alors que le cadre meurt âgé et en pleine forme grâce à un travail de bureau bien protégé. On se demande alors comment Monsieur le Député explique que les agriculteurs ont une durée de vie de 2,5 années plus longue que les employés, alors même que ceux-ci ne sont pas réputés avoir un travail plus pénible que les agriculteurs qui, par nature, partent très tardivement en retraite et travaillent tant qu'ils le peuvent physiquement
De même, est-ce vraiment la pénibilité qui explique le fait que les employés ont une espérance de vie plus courte que les cadres ? La réalité est bien sûr bien plus complexe et multidimensionnelle, l'effort physique au travail n'étant qu'un paramètre. Ce qu'il est possible de dire est qu'ouvriers et cadres ont chacun leur style de vie propre qui les expose différemment aux deux grandes causes de mortalité en France que sont le cancer et les maladies cardiovasculaires.
Amélioration des conditions de travail
L'entreprise bien gérée par une direction responsable, c'est à dire à la recherche du profit positif tout en suivant la loi et en s'adaptant au contexte social, culturel et moral de notre pays est naturellement portée à chercher à améliorer les conditions de travail. En effet, son objectif d'efficacité intègre outre l'utilisation moindre d'heures de travail, l'économie de gestes et de peine générant un processus continue, multidimensionnel et décentralisé d'amélioration des conditions de travail et de production. Ce processus est partagé par l'entreprise et le travailleur en ce qu'il permet aux uns et aux autres d'y trouver leur compte dans leur intérêt mutuel, plus de profit pour les uns, moins de pénibilité pour les autres.
De fait, on observe depuis 150 ans un processus continu d'amélioration des conditions de travail, tiré par l'évolution de la productivité, du progrès technique et des sciences de l'organisation vers une production économe en peine et en heures de travail et une substitution continue du capital au travail pour ce qui est du domaine des travaux de force et/ou répétitifs.
Une retraite à 60 ans déguisée
Le rôle bien compris de l'Etat est de fixer des normes et des seuils en termes sanitaires et de santé publique. Aller au delà et cartographier, donc figer, des processus de travail poserait à l'Etat un défi astronomique d'information dans la mesure où il y a plus de 5 millions d'entreprises en France, travaillant dans des conditions non seulement différentes mais en évolution permanente, les processus de production et de gestion s'adaptant en permanence. Plus fondamentalement, assigner à l'Etat l'objectif de normer l'espérance de vie de chaque individu dépasse les rêves des planificateurs les plus tristement célèbres.
Comme souvent, les fausses bonnes idées sont davantage dictées par des agendas politiques que par des préoccupations sociales réelles. Lorsqu'il était dans l'opposition, le gouvernement actuel s'était engagé à revenir sur la retraite à 62 ans ; il a ensuite dû passer sous silence cette promesse incompatible avec le retour à l'équilibre budgétaire et la stabilisation de la dette de l'Etat. En échange de cet abandon et sous la pression de la principale centrale syndicale qui le soutient, il envisage maintenant l'adoption du compte pénibilité comme un mode déguisé de retour à la retraite à 60 ans.
Des enjeux idéologiques dépassés
Le sujet de la pénibilité, qui devrait être non partisan et motivé par l'évidence face à des situations de fait, ne devrait pas faire l'objet d'enjeux idéologiques dépassés de lutte des classes ou le travailleur doit être protégé de l'oppression capitalistique et être transformé au plus tôt en un « retraité libre ».
La fonction publique incarne toute l'étendue des dégâts de cette vision au vu des départs à la retraite extrêmement précoces sans la moindre démonstration de pénibilité où alors en référence à des conditions pénibles datant de l'époque des locomotives à vapeurs ou encore concernant une minorité d'agents sur le terrain et étendues à l'ensemble des agents, qu'ils soient exposés ou non. L'urgence pour certains syndicats est d'extorquer au privé le même type d'avantages pour ses adhérents, sans aucun souci pour le financement de ces nouveaux acquis. Sans surprise, la pénibilité concernant les agriculteurs, les travailleurs indépendants et les professions libérales ne constitue en rien une urgence. Il va donc se passer du temps avant que le gouvernement se soucie de la peine, du stress, et du moment d'arrêt d'activité d'une infirmière qui travaillerait en libéral.
Sujets les + commentés