La mondialisation, une chance gâchée

Par Ian Goldin  |   |  1174  mots
La mondialisation pourrait être une chance pour les populations du monde entier. Mais, faute d'avoir été bien appréhendée par les institutions publiques, qui n'ont pas su réagir, ses aspects négatifs prédominent

Des données récentes suggèrent le début d'une période de faible volatilité globale des marchés financiers. Mais l'heure n'est pas à la complaisance : les prochaines périodes seront probablement encore plus turbulentes.

Le dernier quart de siècle, axé sur une technologie de mondialisation rapide (caractérisée par l'intégration physique et virtuelle de l'économie mondiale, et par l'ouverture des marchés mondiaux) a contribué à la croissance la plus rapide des revenus et de la population de toute l'histoire. Mais même si la mondialisation a créé des opportunités sans précédent, elle a également déclenché une nouvelle forme de risque systémique, qui menace de dévaster les institutions politiques et les économies nationales.

Mondialisation = risque systémique

Le risque systémique est intrinsèque à la mondialisation. Une plus grande ouverture et la plus grande intégration augmentent nécessairement le potentiel de crises en cascade et l'amplification des chocs.

Comme les individus et les sociétés s'enrichissent, ils entrent en contact mutuel plus étroit virtuellement grâce aux technologies de communication, et physiquement grâce à la croissance démographique, à l'urbanisation et aux voyages. En même temps, la consommation croissante de produits comme la nourriture, l'énergie et les médicaments améliore les externalités ou les retombées des choix individuels, grâce à la connectivité entre les systèmes mondiaux qui augmente la portée et l'impact de ces effets.

Par exemple, prendre un antibiotique peut être une décision individuelle rationnelle. Mais quand des milliards de personnes prennent des antibiotiques et que les éleveurs les utilisent pour accroître leurs rendements, ils deviennent souvent inefficaces. Le même paradoxe s'applique à la consommation d'énergie, en raison de l'impact destructeur des émissions de carbone à grande échelle. Même la consommation de produits de première nécessité comme la nourriture (dont la production peut avoir des conséquences importantes sur l'environnement) et de l'eau (compte tenu des quantités limitées) ne font pas exception.

Les inégalités exacerbées

En outre, une augmentation de l'ouverture et de l'intégration du marché, grâce à l'évolution technologique rapide, exacerbe les divisions, les inégalités, au sein des sociétés comme entre elles. Ceux qui manquent le train de la mondialisation au départ sont souvent incapables de rattraper leur retard ensuite.

Aujourd'hui les défis les plus urgents de la planète, du changement climatique à la cybercriminalité, transcendent de plus en plus les frontières nationales, ce qui les rend extrêmement difficiles à traiter avec efficacité. Pire encore, ils peuvent avoir un effet en cascade, comme par exemple une pandémie ou une cyber-attaque qui peut provoquer une crise financière ou politique et imposer des coûts disproportionnés à ceux qui peuvent le moins les assumer. Les vecteurs de connectivité (comme Internet, les marchés financiers, les plates-formes aéroportuaires ou les centres logistiques) facilitent la « super-propagation » des effets de la mondialisation, positifs et négatifs.

Les institutions mondiales rejetées par les populations

Bien que les risques systémiques induits par la mondialisation ne puissent être éliminés, ils peuvent être atténués, si les dirigeants du monde collaborent et tirent les leçons des erreurs du passé. Malheureusement, aucune de ces conditions ne semble probable.

Tout d'abord, la politique nationale dans les principaux pays s'écarte largement de la coopération, avec la montée des inégalités et de la fragmentation sociale qui compliquent pour les gouvernements, en particulier pour les démocraties, la prise de décisions difficiles. Dans le même temps, les populations rejettent les institutions régionales et mondiales. L'Europe, par exemple, connaît un regain du soutien en faveur des partis nationalistes, comme le Parti de l'indépendance du Royaume-Uni, et des appels de plus en plus forts à l'autodétermination, en Ecosse et en Catalogne.

Les banques centrales, ministères des finances... incapables de saisir vraiment les effets de la mondialisation

Tout aussi problématique, le monde n'a pas réussi à tirer les leçons de la conséquence la plus évidente et la plus profonde de la mondialisation : la crise financière de 2008. Bien qu'il soit impossible de sauvegarder entièrement le système, une saine réglementation et une surveillance efficace auraient pu éviter la crise, ou au moins réduire son impact sur la vie de millions de gens. Le problème est que les banques centrales, les ministères des finances et les organisations multilatérales comme le Fonds Monétaire International (les piliers du cadre institutionnel de l'économie mondiale) n'ont pas réussi à saisir les caractéristiques et les effets émergents de la mondialisation, en partie à cause de la difficulté à identifier les changements structurels pertinents dans l'immense masse de données disponibles.

En ce sens, la crise aurait dû nous servir de signal d'alarme et stimuler le secteur financier, les décideurs et les organisations multilatérales à prendre des mesures pour améliorer la stabilité systémique. Mais malgré des dizaines de milliers d'économistes hautement qualifiés dont la tâche principale consiste à déterminer la meilleure façon de protéger le système financier contre les effets déstabilisateurs de la mondialisation, ces institutions semblent être encore moins disposées à agir maintenant qu'elles ne l'étaient avant la crise.

L'absence de fonds et la paralysie politique empêchent les investissements qui pourraient permettre de profiter des avantages de la mondialisation

Cela est particulièrement vrai dans les économies avancées, où les réserves financières épuisées et la paralysie politique empêchent les investissements constructifs dans des secteurs tels que l'infrastructure et l'éducation, ce qui pourrait permettre aux citoyens de profiter des avantages de la mondialisation. Pire encore, certains de ces pays ont réduit leurs contributions et leurs engagements dans les réformes des institutions régionales et mondiales, essentielles à la gestion des risques systémiques.

Dans ce contexte, il n'est pas surprenant que les citoyens ordinaires aient des doutes sur l'avenir et se sentent frustrés par leurs gouvernements, qui ont jusqu'à présent échoué à les protéger des retombées de la mondialisation. Mais arracher le pouvoir aux institutions régionales et internationales, aussi sombres et éloignées qu'elles puissent paraître, ne peut qu'aggraver le problème. Car cela réduira encore la capacité d'orientation par les intances supranationales qui façonnent l'avenir du monde. Davantage, non pas moins, de coopération est nécessaire pour gérer une complexité et une intégration croissantes.

Il est temps que nos dirigeants reconnaissent ces nouveaux risques systémiques et collaborent en vue de les atténuer. Sinon, notre passé récent ne sera qu'un prologue. Et ces risques pourraient bien avoir le dessus sur l'économie mondiale.

Ian Goldin est directeur de l'Oxford Martin School à l'Université d'Oxford et est co-auteur (avec Mike Mariathasan) de The Butterfly Defect: How Globalization Creates Systemic Risks, and What to Do about It.

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