L'autoritarisme pour sortir de la crise ?

Par Michel Santi  |   |  1152  mots
Le "mainstream" académique et médiatico-politique s'oppose à une politique d'expansion budgétaire pourtant nécessaire à une sortie de crise de la zone euro. Or l'histoire nous montre qu'un tel blocage favorise le risque de guerre et de dictature.

L'Union européenne subit une récession bien spécifique, marquée par l'implosion de bulles spéculatives combinée au déclenchement d'une crise du crédit inédite. De son côté, la Banque centrale européenne est également confrontée à une crise existentielle car sa politique est désormais officiellement inopérante. Elle ne peut en effet baisser ses taux d'intérêt en dessous de zéro et il lui et impossible de se lancer dans un programme de création monétaire, comme ses consœurs américaine, britannique et japonaise. Seul l'Etat est donc aujourd'hui à même de soutenir un secteur privé tétanisé et une économie en proie aux pressions déflationnistes.

Combler le vide laissé par le privé

Par leur action, les pouvoirs publics doivent effectivement combler le vide laissé par le secteur privé, c'est-à-dire que c'est l'État qui doit emprunter et dépenser tandis que le privé - entreprises et ménages - tente de se reconstruire, de réduire ses endettements, bref de panser ses plaies dues à la digestion des excès du passé. Ainsi, le rétablissement de l'activité économique et le redressement du PIB ne se matérialiseront qu'à une seule condition: que l'État emprunte l'épargne privée et qu'il la dépense! En d'autres termes, les stimuli fiscaux et les déficits budgétaires devront être maintenus pendant des années car c'est à ce prix que le secteur privé aura pu rembourser ses dettes pour certains, repris confiance - et donc investir - pour d'autres.

L'erreur japonaise

Attention, car tout retrait inopportun de ces stimuli induirait aussitôt un retour en force de la déflation et une dégradation supplémentaire de la confiance. Erreur commise par le Japon les ayant à maintes reprises prématurément retirés ou diminués durant la « décennie perdue ». Ce qui a coûté leur place de leader dans leur domaine à bien des fleurons de l'industrie nippone, ayant manqué de confiance pour investir dans de nouveaux produits, comme pour concrétiser des projets proposés par leur département Recherche & Développement. Dans un tel contexte d'incertitude, de chômage, d'austérité, il va de soi que le réflexe naturel du consommateur est de se replier sur lui même, c'est-à-dire d'épargner. Voilà pourquoi l'épargne occidentale atteint aujourd'hui des records, en dépit de taux d'intérêt à leur plus bas historique. Ce qui rend les entreprises encore plus frileuses dans leurs investissements, ce qui tarit d'autant plus les cash flows, ce qui comprime davantage les valorisations: autant de calamités ayant précisément conduit à la crise et qui, mal traitées, ne manqueront dès lors pas de dégénérer en spirale.

L'Etat doit casser le cercle vicieux de la baisse de la baisse de la demande

Seul l'État peut donc briser ce cercle vicieux. Voilà pourquoi un État ne doit jamais céder aux sirènes de la consolidation fiscale et budgétaire car ses interventions devront nécessairement se déployer sur la durée afin d'éviter à son économie une rechute qui, dès lors, achèverait le reliquat de confiance. La récession japonaise - censée se terminer après trois ans - n'a-t-elle pas duré près de vingt ans?

Une incompréhension des mécanismes de l'économie de la part des médias, des analystes...

Pourtant, il semblerait bien que nos démocraties soient incapables de vaincre la récession. Cette nécessité impérieuse d'un interventionnisme étatique accru - incontournable pour juguler de telles récessions - provoque effectivement des réactions véhémentes - à la limite de l'hystérie - de la part de la quasi totalité des analystes, des médias et du milieu académique qui  ne comprennent décidément pas les mécanismes, ou qui se calfeutrent derrière leurs préjugés. Et qui expliquent jour après jour à des citoyens crédules que le budget d'un État doit être géré comme celui d'un ménage, c'est-à-dire plus ou moins à l'équilibre.

L'intox du mainstream médiatico-politique

Aldous Huxley n'assurait-il pas (avec raison) que « soixante deux mille quatre cent répétitions font une vérité « ? Dans ces conditions, l'hyper orthodoxie accouche de monstres - le Tea Party, l'aile droite du Parti Républicain aux États-Unis - ou de dirigeants politiques bornés - la Chancelière Merkel - qui ne vivent, qui ne respirent et qui ne parlent qu'à travers la langue primitive de la rigueur. En réalité, après sept ans de crise, après la quasi-liquéfaction de l'euro, en dépit de taux de chômage des jeunes dépassant les 50% dans certains pays européens, il est temps aujourd'hui de se rendre compte d'une évidence.

Qu'il est impossible de mettre en place des stimuli émanant de l'Etat en l'absence d'une adhésion populaire, elle même impossible à obtenir du fait de la manipulation - ou de l'intox - à laquelle se livre le « mainstream » médiatique et politique. Qu'il sera, en d'autres termes, impossible de rompre la spirale récessionniste en présence d'un régime démocratique, tandis qu'un dictateur - n'ayant par définition pas besoin de convaincre son opinion - serait parfaitement en mesure de sauver son économie en accélérant les dépenses étatiques, s'il est persuadé du bien fondé d'un tel remède...

A moins qu'une guerre  - qui menacerait nos existences et notre mode de vie - ne soit une autre alternative, faisant taire du coup toutes les réticences, et qui propulserait dès lors à bon escient les dépenses publiques ? Parvenus tous deux au pouvoir en 1933 dans un contexte de crise sévère, Roosevelt et Hitler furent effectivement confrontés dès le départ à un chômage dépassant 25% de leur population. Ayant tous deux pris la bonne décision - la stimulation de leur économie à outrance -, Roosevelt dut se résoudre à interrompre l'intervention de l'État, sous la pression conjuguée de son aile droite et de milieux financiers...

Qui réussirent à faire replonger leur économie dans une récession encore pire, dont elle ne se sortit qu'à la faveur de l'engagement américain dans l'effort de guerre. Sachant que, de son côté, le dictateur allemand, ayant toute latitude, fit fondre son chômage à 2% en 1938 ! Combien de temps encore nos démocraties resteront-elles otages d'une orthodoxie prescrivant systématiquement le mauvais remède?

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Michel Santi est directeur financier et directeur des marchés financiers chez Cristal Capital S.A. à Genève. Il a auparavant conseillé des banques centrales après avoir été trader sur les marchés financiers. Il est l'auteur de :  "Splendeurs et misères du libéralisme", "Capitalism without conscience" et "L'Europe, chronique d'un fiasco politique et économique"