Notre système de santé est-il condamné à la paupérisation ?

Par Vincent Champain  |   |  1826  mots
Vncent Champain, président de la Commission santé Medef Paris New York.
Par Vincent Champain et un collectif d'auteurs, pour la commission Santé du Medef Paris-New York

Personne n'échappe au débat sur la santé : en France, la maîtrise des coûts du système de santé est désormais un débat récurrent. Aux Etats-Unis, l'offre de santé est de grande qualité mais son coût élevé est souvent sujet à débat. L'Affordable Care Act vise à améliorer l'accès aux soins en offrant une couverture santé plus large.
Si les défis sont communs - soigner mieux au meilleur prix - les démarches sont quant à elles différentes. Le secteur privé et l'innovation ont été au cœur de la démarche américaine, comme l'illustre le « Center for Medicare and Medicaid Innovation », destiné à développer les modèles de fourniture et de prise en charge innovants. A l'inverse, la démarche française est pilotée par une loi de financement qui, comme son nom l'indique, informe précisément sur les dépenses mais très peu sur les résultats et leur évolution (délai d'attente pour une IRM, temps de trajet pour accéder à un hôpital, accès aux innovations médicales...).

En France, le risque de paupérisation

Or, si nul ne nie l'importance de veiller à la bonne gestion, c'est l'inverse qui menace notre système de santé : piloté par les coûts, parfois étanche à l'innovation et mesurant mal la valeur de ce qu'il produit, il risque la « paupérisation » - c'est-à-dire de ne maitriser ses dépenses qu'au prix d'une réduction encore plus forte de la qualité et de l'accès des soins. Au final, les Français seront perdants : ils paieront un peu moins collectivement (et un peu plus de leur poche) pour un service beaucoup moins bon.

La santé, un secteur à haute valeur ajoutée

Le secteur de la santé dispose en France de nombreux atouts ;
- une filière d'excellence reconnue (avec des professeurs reconnus dans de nombreux domaines, des prix Nobel de médecine comme Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier en 2008 ou Jules Hoffmann en 2011 et des pôles d'excellence mondiaux)
- des emplois nombreux et à haute valeur ajoutée (la santé atteint 12,5% de la valeur ajoutée dans l'économie nationale et représente 12,7% des actifs en termes d'emplois )
- des champions industriels mondiaux (champions dont le siège est en France comme Sanofi, ou champions étrangers plaçant dans notre pays centres de recherche, de production et sièges d'activités mondiales comme General Electric), et des startups prometteuses.

 Le risque d'une asphyxie

Or, nous courons aujourd'hui le risque d'asphyxier ces atouts : pourquoi une startup prometteuse sur une technologie nouvelle s'installerait-elle dans un pays où les délais de mise sur le marché sont plus longs, le système de santé moins perméable à l'innovation et la fixation des prix et la régulation - tâches évidemment respectables - laisse une place réduite au dialogue sur le développement des technologies utiles aux patients comme aux professionnels ?

Les bénéfices réels de notre santé sont mal mesurés

« Le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue » a dit Kennedy. C'est aussi le cas en santé : si un médicament coûte 5 % de plus mais réduit de moitié la mortalité du cancer, l'écart de coût sera mesuré, mais personne ne comptabilisera les années de vie gagnées. Améliorer les investissements réduira les délais d'attente par accéder à une IRM par exemple, mais seul le coût apparaitra clairement dans le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS).

Les industriels pilotent leur organisation par la valeur ajoutée - c'est-à-dire augmenter la valeur des produits tout en maîtrisant les coûts. A l'inverse notre système de santé se donne encore peu de moyens pour piloter la valeur de ce qu'il produit, alors qu'il mesure très précisément chacune de ses dépenses. Ce faisant, il s'expose au risque de paupérisation, c'est-à-dire une maîtrise des dépenses qui se fait au prix d'une réduction encore plus forte de la valeur ajoutée des services de santé : au final, les français, pour lesquels seul compte le rapport entre les coûts et la valeur ajoutée, seront perdants.

Il est vrai que la tâche de l'Etat est complexe : pour piloter efficacement un système qui « vend » des services dont l'usager ne paye qu'une fraction du coût, il faut créer de toute pièce des « métriques » qui mesurent la valeur réelle de ce qui est produit. Cette démarche n'est pas simple : il faut tenir à distance les perfectionnistes (car il vaut mieux quelques indicateurs imparfaits que ne rien mesurer du tout), les Cassandre de la « politique du chiffre » (qui pensent défendre le système de santé en refusant d'en mesurer les bénéfices, alors qu'en l'absence de métriques de valeur, il n'en reste qu'une seule : le budget), et les centralisateurs (les grandes évaluations macroéconomiques ont leur place mais elles ne remplacent pas les métriques mises à la disposition des responsables de terrain et correspondant à une réalité médicale).

L'innovation peut être favorable aux patients comme aux comptes de la sécurité sociale

De nombreuses innovations sont favorables aux patients comme à la productivité du système de santé, par exemple :
- le développement de la chirurgie ambulatoire. En réduisant la durée de séjour des patients, elle permettra aux hôpitaux de faire pour le même budget moins d'hôtellerie et plus de soins.
- de nouveaux traitements innovants (dans l'oncologie ou l'hépatite C) permettent de réduire le nombre d'hospitalisations.
- dans le domaine de l'équipement médical, la microscopie endoscopique permet d'éviter les chirurgies inutiles du pancréas en permettant de réaliser une biopsie optique en allant « regarder » directement à l'intérieur des kystes pancréatiques. Or 57% des patients atteints de kystes bénins sans aucune incidence sur leur santé subissent aujourd'hui une intervention chirurgicale lourde et inutile.
- grâce à l'archivage et au traitement numérique d'images médicales, les radiologues et les médecins peuvent échanger immédiatement images et analyses - ce qui élimine les dépenses de films et leur libère du temps supplémentaire pour se consacrer à leurs patients. Même si la France est en retard sur l'imagerie numérique, c'est en France que les premiers « clouds régionaux d'imagerie médicale » mondiaux ont été développés.
- grâce aux technologies de l'information appliquées à la santé, les patients souffrant de diabète peuvent être mieux suivis. Or la France dispose d'un savoir-faire reconnu dans le domaine des dispositifs connectés.
- l'automatisation des laboratoires de microbiologie permet également d'améliorer à la fois la qualité des soins et l'efficience des organisations. Les technologies permettent de réduire significativement les délais de rendu de résultats en appliquant la robotisation à l'ensemble des tâches manuelles à faible valeur ajoutée qui sont nécessaires à la production des analyses. Les techniciens et biologistes peuvent alors se consacrer aux tâches d'analyse biologique à haute valeur ajoutée.

Approfondir le dialogue entre industriels et système de santé public

Mais la mise au point et la diffusion d'innovations nécessite un dialogue ouvert entre le système de santé et les industriels : il ne s'agit en effet pas de proposer un produit « sur étagère », mais de comprendre finement les besoins et les contraintes des professionnels de santé, de concevoir une solution nouvelle qui y réponde et d'assurer enfin une adhésion des équipes médicales à cette innovation.

Or, malgré les efforts réalisés, ce dialogue reste insuffisant et les entreprises sont encore loin d'être considérées comme des « partenaires de performance ». De plus, la logique de tarification à l'acte, utile par ailleurs, cause en France une inertie qui n'existe pas dans d'autres pays : pour les innovations qui nécessitent un tarif spécifique ou une adaptation, il vaut souvent mieux aller ailleurs. La France y perd des emplois industriels, et elle y perd également des moyens innovants pour réduire les dépenses de santé.

Enfin, personne ne nie évidemment l'importance de tout faire pour éviter les scandales tels que ceux qui ont récemment secoué le monde médical. En revanche, il serait à long terme encore plus catastrophique que ces affaires conduisent à « jeter le bébé avec l'eau du bain » en poussant certaines parties de l'administration à arrêter tout contact avec les entreprises, et à priver la France du bénéfice médical et économique des innovations qui découlent d'un dialogue efficace entre administration et industriels.

L'initiative récente des plans industriels est un bon premier pas pour préserver et développer ces atouts. Elle peut néanmoins être approfondie, notamment dans le domaine de la « compétitivité marché » : le premier critère pour développer en France une activité innovante est la capacité à pouvoir y tester, plus vite et dans de meilleures conditions qu'ailleurs, les produits et services innovants. Par ailleurs, une « fast track » pourrait être créée pour permettre d'accélérer l'accès au marché des innovations offrant des bénéfices aux patients comme aux professionnels et pouvant contribuer à la réduction des dépenses de l'assurance maladie.

Les études permettant de mesurer le bénéfice patient, y compris dans ses dimensions d'expérience patient, pourraient également être développées, notamment pour les équipements. Il existe de nombreuses autres pistes pour développer des innovations favorables aux patients comme aux comptes de la sécurité sociale. Enfin, il serait utile que cette initiative implique plus largement les acteurs clefs que sont le ministère de la santé, les professionnels et les caisses de sécurité sociale, premiers bénéficiaires des innovations du domaine médical.

Confrontées depuis longtemps et dans de nombreux pays, aux efforts de maîtrise de dépense de santé, les entreprises du secteur de la santé n'ont jamais nié cette nécessité. Mais la France est désormais confrontée à un choix entre la voie de la performance, dans laquelle il faudra encore plus d'innovation pour faire « mieux avec moins », et la voie de la paupérisation, dans laquelle la maitrise comptable des dépenses et l'absence de mesure de la valeur ajoutée conduira à une réduction modeste des dépenses, au prix d'une réduction catastrophique de la qualité et de l'accès aux soins. Il est de l'intérêt de tous - patients, professionnels et entreprises - d'éviter cette deuxième option.

Pour la Commission Santé du Medef Paris-New York
Noëlle Biron, Becton Dickinson
Jean-Claude Durousseaud, JCD Consulting
Bruno Erhard, MSD
Charlotte Hutin, Ethicon
Isabelle Lavallée, Médecin
Aymeric Petetin, General Electric
Eric Thoby, Agora Expat
Catherine Raynaud, Pfizer
Vincent Champain, General Electric et Président de la Commission Santé