« Le fonctionnement de l’Etat doit changer de fond en comble » Denis Payre, (Nous Citoyens)

Par Propos recueillis par Philippe Mabille et Sylvain Rolland  |   |  1416  mots
Denis Payre vient de confier la présidence de « Nous Citoyens » à Jean-Marie Cavada. Député européen, l’ancien journaliste, a quitté l’UDI pour rejoindre ce « parti de la société civile » qui veut bousculer la politique traditionnelle et a fait voix aux dernières élections européennes.
Denis Payre, fondateur du mouvement « Nous Citoyens », une réponse au « Moi, président » de François Hollande, a été reçu vendredi 12 septembre dans le cadre du Club Entreprise La Tribune-Chambre de commerce de Paris-Ile-de-France. L’entrepreneur y a détaillé le projet de son « parti de la société civile » qui présentera des candidats aux régionales de 2015 et à la présidentielle de 2017.

LA TRIBUNE - Comment sortir de la crise économique et politique dans laquelle est plongé notre pays ?

Nous devons nous remettre sérieusement en question. Face à l'impuissance du personnel politique, qui n'a rien réformé en profondeur depuis plus de trente ans, la société civile doit prendre son destin en main.

Aujourd'hui, raisonner en fonction de la gauche ou de la droite n'a plus de sens. L'une comme l'autre passent à côté des sujets et se voilent la face sur les problèmes du pays en cherchant sans cesse des boucs émissaires : la finance pour certains, les immigrés ou l'Europe pour d'autres...

La priorité est de remettre les finances d'aplomb et d'améliorer la compétitivité des entreprises pour retrouver la croissance et l'emploi. Les gouvernants doivent dire vérité et réaliser des réformes audacieuses comme le retour aux 39 heures de travail hebdomadaire et aux 5 semaines de congés pour tous. Les Français sont assez raisonnables pour entendre ce discours et porter au pouvoir ceux qui ne céderont pas à la démagogie.

Quels sont les blocages qui empêchent ces réformes ?

Le poids des dépenses publiques, bien supérieur à la moyenne des pays européens, pénalise la croissance, la productivité et l'emploi. C'est un fait : l'Etat est mal géré. Son fonctionnement doit changer de fond en comble, ce qui permettrait d'énormes économies. Pour diminuer les dépenses, nous devons commencer par réduire le nombre de fonctionnaires. Le recrutement de 60.000 fonctionnaires dans l'Education nationale décidée par François Hollande est complètement aberrant.

Savez-vous que la France emprunte tous les jours 800 millions d'euros pour payer les salaires de ses fonctionnaires ? Il faudrait supprimer 800.000 fonctionnaires en cinq ans, en profitant des départs à la retraite et en incitant au départ. Cela peut se faire sans brutalité. Si nous ne nous en occupons pas vite, les marchés nous obligeront à le faire de façon brutale car ils ne supporteront plus longtemps l'escalade des déficits.

Il faut également améliorer le fonctionnement des services publics. Notre système éducatif, par exemple, figure à la fois parmi les plus coûteux dans le monde développé et aussi parmi les moins performants. Paradoxalement, nos professeurs sont parmi les plus mal payés. Aujourd'hui, ce sont les syndicats qui gèrent le personnel dans l'éducation nationale et dans les hôpitaux. Ce sont eux qui décident des promotions, entre autres. Est-ce normal ? Je pense que les chefs d'établissements devraient être de vrais managers, qui décident eux-mêmes avec quels professeurs ils veulent travailler et qui les évaluent régulièrement. Il faut remettre à plat le fonctionnement des administrations.

Faut-il commencer par changer les règles de la vie politique ?

Absolument. Nous avons affaire aujourd'hui à des politiques de carrière qui ne sont plus au service de l'intérêt général mais qui sont dans une logique de réélection. Je pense que l'engagement politique doit être de courte durée. Trois ou quatre mandats au maximum dans toute une vie.

Cela permettrait d'éviter qu'un député européen UMP avoue les pires turpitudes dans l'affaire Bygmalion au lendemain de son élection, ou qu'un député de Saône-et-Loire explique qu'il a une phobie administrative pour justifier ses problèmes avec les impôts...

Les fonctionnaires sont surreprésentés dans la vie politique, autant à gauche qu'à droite. L'Assemblée nationale compte 55% de fonctionnaires alors qu'ils représentent seulement 20% de la population active. Ils doivent être représentés, mais pas sur-représentés, c'est un déni de démocratie pour le reste de la population.

Quelles pistes préconisez-vous en matière d'emploi ?

Il faut lever tous les verrous qui empêchent la création d'emploi. Quand on est chef d'entreprise, la main tremble au moment de signer un CDI. Car les patrons savent que s'ils rencontrent un jour un problème avec la personne, ou si l'entreprise traverse des difficultés, rompre le contrat sera difficile et ruineux.

En Suisse par exemple, les motifs de licenciement n'existent pas et les procédures sont moins longues et moins coûteuses. Bien sûr, le salarié doit être indemnisé correctement, nous proposons de nouveaux droits et nouveaux devoirs dans lesquels les indemnités sont augmentés, mais il s'agit de simplifier la séparation.

Tous les pays qui sont aujourd'hui proches du plein emploi sont plus flexibles que la France dans ce domaine. Chez nous, un tiers des PME sont en sous-effectifs car les patrons ont tout simplement peur de signer des CDI ! C'est nocif pour tout le monde, car cela conduit à la multiplication des CDD, de l'intérim, des stages, et ce sont les plus jeunes qui en souffrent le plus et les seniors, tous ceux qui sont les plus éloignés de l'emploi.

Faut-il également réformer la fiscalité ?

La fiscalité n'est que le miroir d'une dépense publique excessive. La France prélève 120 milliards d'euros de plus par an à la collectivité que nos voisins européens, soit l'équivalent de 4 Ministères de la Défense de plus ! Mais notre modèle n'est pas plus social que celui la plupart de nos voisins européens.

Nous avons également un problème de répartition de l'impôt. Taxer les plus riches à ce point revient à se tirer une balle dans le pied. La fiscalité ne doit pas être confiscatoire. Il devient difficile pour ceux qui ont du patrimoine de rester en France car ils sont en rendement décroissant : 100 de patrimoine aujourd'hui vaudra 30 dans 20 ans !

Il faut réconcilier la nécessaire solidarité et la prospérité, car la prospérité est indispensable pour financer cette solidarité. Quant aux petits entrepreneurs, ils ne supportent plus la stigmatisation systématique de la gauche et de la droite à l'encontre des entreprises.

La réforme territoriale de François Hollande va diminuer le nombre de régions de 22 à 13. C'est un pas dans la bonne direction ?

C'est insuffisant. Il faudrait créer huit grandes régions et supprimer les départements. La France compte 12% de la population européenne mais 40% des collectivités ! Des échelons inutiles doivent être supprimés. Le département tout d'abord, mais aussi la commune. 36 000 communes, c'est beaucoup trop. Il faudrait que les actuelles communautés d'agglomération deviennent des communes. Les maires actuels resteraient mais ils deviendraient comme des maires d'arrondissement.

La France peut-elle et doit-elle peser davantage en Europe ?

L'Union européenne est terriblement imparfaite mais il ne faut pas oublier qu'elle garantit la paix depuis 70 ans. Dans un environnement mondialisé, elle est un atout pour porter un autre modèle, celui d'une économie sociale de marché qui respecte l'équilibre entre la création de richesses et la solidarité. Mais pour peser, il faut mutualiser nos moyens. Le budget du renseignement américain par exemple est supérieur au budget de la défense française. En matière de lutte contre l'immigration, nous devons protéger nos frontières de manière plus efficace et plus humaniste.

Il faut aussi se regarder honnêtement dans le miroir : l'Europe fonctionne mal aujourd'hui en grande partie à cause de la France. Nos dirigeants ne sont plus porteurs d'aucune vision, d'aucune conviction. Nous avons eu trois secrétaires d'Etat aux affaires européennes depuis 2012 ! Il s'agit du sujet le moins prioritaire alors que cela devrait être l'inverse. La France qui fut le moteur européen avec l'Allemagne est devenue l'homme malade de l'Europe. Nous devons nous battre pour retrouver notre place.

Vous avez écrit que « la France est une surdouée qui s'ignore ». Notre pays gâcherait donc son potentiel ?

Je suis convaincu que nous avons tout pour réussir, particulièrement dans la mondialisation. Je l'ai vécu moi-même en tant qu'entrepreneur. Lorsque j'ai lancé Business Objects [un éditeur de logiciel, ndlr], j'ai commencé avec 10.000 euros dans un secteur dominé par les Américains, et j'ai réussi.

Les Français ont une créativité exceptionnelle. Nous avons tout de même inventé le cinéma et co-inventé l'aviation. Nous sommes très performants dans l'automobile, dans le monde artistique et aussi dans l'industrie.

La « marque » France fait rêver le monde entier. Elle reste aujourd'hui un levier sur lequel nous pouvons nous appuyer. Le problème de la France n'est pas qu'elle manque de talents, mais qu'elle a beaucoup de boulets aux pieds qui l'empêchent de prospérer autant qu'elle le devrait.

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