Comment gérer l'épargne avec des taux d'intérêt aussi faibles ?

Par Jean-Jacques Ohana et Steve Ohana  |   |  1131  mots
La banque centrale européenne, à Francfort
Le contexte économique va imposer des taux d'intérêt très faibles, durablement. Les épargnants français friands d'assurance vie en euros, dont la rentabilité va encore baisser, vont devoir changer de stratégie d'épargne. Par Jean-Jacques Ohana, président de Riskelia et Steve Ohana, professeur de finance à l'ESCP Europe

Les taux obligataires poursuivent inexorablement leur chute dans toute la zone euro. Au début de l'année 2010, une obligation de l'Etat français à 10 ans délivrait un rendement de 3.50%. Aujourd'hui, la même obligation verse une rémunération à peine plus élevée que 1.3%.
Au sein de la zone euro, les quatre grands pays émettant près de 80% du gisement de dettes d'Etat ont des rendements obligataires inférieurs à 1% sur une maturité de 5 ans. Parmi les 11 pays dont les dettes publiques sont cotées en zone euro, huit pays empruntent à taux négatifs sur les deux prochaines années alors que trois seulement (l'Espagne, l'Italie et le Portugal) empruntent à des taux à peine positifs. En payant un taux négatif, les investisseurs acceptent de payer une prime aux États pour parquer leur épargne en lieu sûr.

Un resserrement fiscal contre-productif

 Depuis la dernière réunion de la BCE, Mario Draghi a scellé son engagement de maintenir des taux bas pendant une durée indéfinie en portant le taux de refinancement à 0.05% tout en soutenant le crédit par un vaste programme de prêt aux banques et de rachat d'actifs.
Si les taux chutent dans la zone euro, c'est parce que la croissance est durablement faible et que l'inflation est quasiment nulle. Depuis 2012, la croissance nominale (croissance réelle ajoutée à l'inflation) de la zone euro ne dépasse pas 1.5%. Parallèlement, les ratios d'endettement en pourcentage du PIB augmentent dans tous les pays de la zone euro à l'exception de l'Allemagne. En dépit des baisses de taux spectaculaires, la zone euro ne converge pas vers un équilibre satisfaisant de croissance, d'inflation et de dynamique budgétaire. Le resserrement fiscal concerté de l'ensemble de la zone euro est contreproductif car la croissance et l'inflation sont tuées dans l'œuf, ce qui alourdit en définitive le poids de la dette relativement au PIB.

Ces taux d'intérêt très bas risquent de devenir la norme

Au regard de nos ancrages historiques, les taux sont certes très bas mais ils deviendront la norme dans un contexte de faible croissance et d'inflation anémique. Les taux devront être maintenus durablement inférieurs à la croissance nominale pour deux raisons. Premièrement, le processus de désendettement public, qui n'a même pas commencé dans les pays industrialisés, nécessite des taux plus bas que la croissance nominale pour être mené à bien. Deuxièmement, des taux réels très bas voire négatifs apparaissent comme la seule réponse possible des Banques Centrales pour permettre aux pays industrialisés d'atteindre leur croissance potentielle dans un contexte de « stagnation séculaire » caractérisé par le vieillissement démographique, un ralentissement des gains de productivité, un désir d'épargne très fort du secteur privé et la difficulté politique de mener des politiques d'investissement public.

Des taux longs sous les 2% pendant près d'une décennie

Les taux longs connaîtront certes des phases de hausse quand la conjoncture mondiale s'améliorera mais ils resteront longtemps très bas, peut-être une décennie entière sous les 2%. Tout cycle de hausse de taux sera une opportunité d'achat sur les marchés obligataires.
L'excès d'endettement en zone euro est le miroir d'une épargne privée toujours plus importante. Le taux d'épargne en France frôle les 16% du revenu disponible, l'un des plus élevés en Europe juste derrière celui de l'Allemagne. Le patrimoine financier brut des Français dépasse les 4000 milliards d'euros. Ces économies sont majoritairement investies dans des produits d'épargne réglementée dont les taux de rentabilité sont quasi nuls: contrats en euro d'assurance vie, Plan d'Epargne Logement, Plan d'Epargne Populaire...

Une rentabilité de l'assurance vie (fonds en euros) bientôt sous les 2%

Près de 85% des placements en assurance vie sont investis dans les fonds en euro dont les rendements convergeront inexorablement vers celui des obligations françaises au cours des prochaines années. Ces fonds sont gérés selon une approche comptable discrétionnaire qui répartit les gains historiques accumulés entre les souscripteurs de différents millésimes. Les fonds seront contraints d'investir une part significative de de la collecte d'épargne aux taux actuels, ce qui accélérera mécaniquement la décrue des rendements pendant les prochaines années. Au rythme de collecte actuel, il ne faudra pas attendre bien longtemps avant de voir fondre les rentabilités des fonds en euro sous les 2%.

Le placement à taux nul n'a de sens qu'en période de déflation

Les investisseurs se ruent sur des placements à taux nuls. Ils acceptent de payer une taxe implicite sur l'épargne en échange d'une protection en capital. C'est une répression financière qui est imposée à l'épargnant. Le placement à taux nuls n'a de sens qu'en déflation : c'est le scénario à la japonaise où l'euro s'apprécierait, les actions chuteraient et seules les obligations domestiques assureraient la préservation du capital. Aujourd'hui, la BCE exprime clairement son objectif de lutte contre la déflation et de maintien des taux réels à un niveau très bas. L'euro se déprécie ce qui valorise l'épargne placée sur les actifs libellés en devises étrangères.

Accepter de prendre des risques mesurés

Les obligations privées plus rémunératrices et les actions domestiques restent un placement de valeur dans un contexte de taux réels nuls ou négatifs sur les dettes publiques. Les investisseurs doivent donc accepter de prendre des risques mesurés pour préserver le pouvoir d'achat de leur épargne sur le long terme.

La question des frais de gestion

D'autre part, les frais proposés dans les unités de compte en assurance vie sont aujourd'hui rédhibitoires dans un environnement de taux bas et donc de rentabilité future modeste. Comment générer des plus-values sur le long terme quand la totalité des frais prélevés par les sociétés de gestion, les conseillers en gestion de patrimoine, les plateformes et les assureurs atteignent les 3% ? Dans la majorité des unités de compte, les fonds indiciels performants et bon marché sont simplement exclus quand les fonds de gestion active sont proposés à des coûts rédhibitoires. Bien trop souvent, les investisseurs se voient proposer des produits de gestion à forte marge et non ceux qui répondent le mieux à leur intérêt.
L'environnement de taux bas appelle donc un double changement de comportements. L'investisseur doit prendre des risques raisonnés pour valoriser son épargne. Les acteurs de la gestion d'actifs doivent inventer de modes de distribution directs et plus économes en frais de gestion.


Jean-Jacques Ohana, président de Riskelia
Steve Ohana, professeur de finance à l'ESCP Europe