Informer les salariés en cas de cession d'une PME, la fausse bonne idée

Par Laurent Moreuil et Vincent Lassalle  |   |  1165  mots
La loi contraint désormais les patrons de PME d'informer les salariés pour toute cession de leur entreprise. Une obligation qui soulève de nombreuses difficultés. par Laurent Moreuil et Vincent Lassalle, Avocats associés cabinet SBKG & Associés,

Alors que le débat sur l'impact de la réglementation du travail sur l'économie en général et la productivité en particulier fait rage, la loi du 31 juillet 2014 sur l'Economie Sociale et Solidaire (ESS) instaure une information des salariés préalable à toute cession de fonds de commerce ou de la majorité du capital social des entreprises de moins de 250 salariés. Ceci soulève, en pratique, d'importantes difficultés au moins en apparence peu conciliables avec les objectifs affichés de simplification et de compétitivité, qui pourtant font consensus.

L'obligation de notifier "l'intention de céder"

La loi ESS institue un «mode d'entreprendre » d'«utilité sociale» poursuivant un but autre que « le seul partage des bénéfices » visant à combattre les « inégalités », dans le cadre de structures coopératives ou associatives soutenues par des Chambres dédiées et des financements ad hoc. Dont acte. Mais au-delà de ces dispositifs, le texte reprend partiellement l'une des propositions du candidat François Hollande « faciliter la transmission ou la reprise d'entreprises par les salariés en instituant un droit de préférence de rachat à égalité d'offre » sans doute conçu comme complétant les mesures précitées, et peut être comme le point d'orgue de l'association étroite des salariés et leurs représentants à la vie économique et juridique de l'entreprise.

Sans instaurer un véritable droit de préemption, envisagé à l'origine pour éviter la destruction d'entreprises en difficultés et donc d'emplois faute de repreneurs, la loi impose au chef d'entreprise d'informer au moins tous les trois ans les salariés sur les modalités juridiques et pratiques de reprise d'une société. Compte tenu de la complexité de ces opérations, pourquoi pas, encore que ceci ajoute aux nombreuses obligations des PME qui se déclarent accablées par une réglementation envahissante et onéreuse.

Mais surtout, la loi impose au cédant de notifier « son intention de céder » aux salariés de l'entreprise deux mois avant la cession dans les entreprises de moins de 50 salariés, et « au plus tard en même temps qu'il procède à l'information et à la consultation du Comité d'entreprise » dans les entreprises qui en sont pourvues, afin de leur permettre de présenter une offre de rachat. Ce dispositif est applicable à toutes les cessions intervenant à compter du 1er novembre 2014.

Une mise en œuvre pour le moins délicate, et de lourdes sanctions en cas de non respect de la procédure

La mise en œuvre de ce droit nouveau des salariés de présenter une offre de rachat apparaît délicate, pour ne pas dire compliquée en pratique, même dans la perspective des clarifications attendues par voie réglementaire. Et même si l'efficacité du dispositif peut laisser perplexe - en dehors du cas d'entreprises en difficultés avec pénurie de repreneurs- la loi prévoit que le non-respect de l'information des salariés peut être sanctionné par la nullité de la vente. Il serait audacieux de ne pas s'en préoccuper.
Alors comment assurer la confidentialité de la transmission d'une telle information aux salariés ? Quoi de plus stratégique en effet, et donc confidentiel, que le projet de cession du dirigeant ou de l'actionnaire, et de rachat pour l'acquéreur ? 250 salariés en seront potentiellement informés ce qui, quoi qu'on en dise, majore mécaniquement les risques. Les salariés seront certes légalement tenus à une obligation de discrétion dans des conditions identiques à celles des représentants du personnel.

 Quelle confidentialité?

Mais ces derniers qui accèdent certes à des informations stratégiques et exhaustives dans le cadre de leurs fonctions sont des élus et syndicalistes rompus à l'exercice et familiers des impératifs de confidentialité. A l'inverse cette obligation de discrétion pourrait se révéler assez illusoire s'agissant de salariés potentiellement néophytes et tout simplement compte tenu du nombre de personnes informées. Préparer une offre de rachat d'une entreprise de 250 salariés nécessite évidemment d'avoir accès à des données extrêmement confidentielles sur les résultats de l'entreprise mais aussi sur les employés -informations nominatives, état des litiges et procédures en cours, etc...), de nature à avoir de réels impacts sur le climat social de l'entreprise.

Comment assurer une exclusivité à l'acheteur?

Cette nouvelle obligation d'information devra en outre être conciliée avec l'exclusivité de négociation classiquement consentie à l'acheteur. Cette exclusivité sera de fait compromise au stade où le vendeur devra désormais inviter les salariés à émettre une offre, mais surtout en cas de manifestation d'intérêt d'un salarié ou d'un groupe de salariés, qui pourra difficilement être écartée sans autre forme.
Si ce nouveau dispositif allonge nécessairement le délai de réalisation de ce type d'opérations, il le rend surtout incertain. D'abord parce qu'aucun délai n'est imposé par la loi au salarié pour manifester son intérêt dans les entreprises dotées d'un CE. Ensuite, parce que le contenu des informations à donner aux salariés et aux éventuels candidats repreneurs est inconnu. Les modalités pratiques et matérielles de l'information des salariés seront certes précisées par décret à une date non déterminée. Mais au-delà de la notification de l'intention de vendre, comment anticiper le calendrier et l'information due aux salariés acheteurs ?

Un calendrier devenu totalement incertain pour la vente

La loi prévoit que les salariés pourront se faire assister par les diverses Chambres régionales pour construire leur proposition. Là encore des précisions réglementaires sont attendues, mais le calendrier de la vente devient totalement incertain. Cette incertitude fait potentiellement peser un risque juridique sur la validité de la transaction, ce qui est rarement de nature à rassurer les investisseurs et leurs prêteurs.
On peut penser que si le rachat d'une entreprise par ses salariés est sérieusement envisagé ou envisageable et souhaité par le chef d'entreprise ou l'actionnaire, cette solution sera logiquement examinée en amont, et donc douter que ce nouveau droit des salariés aboutisse à beaucoup d'opérations de rachats d'entreprises par leurs salariés au-delà de ceux qui aboutissent à ce jour en l'absence de texte spécifique. En effet, le nouveau dispositif implique que les salariés seront informés du projet de cession à un stade où les discussions avec un tiers seront assez avancées, soit simultanément voire postérieurement à l'information du comité d'entreprise, qui pour respecter l'efficacité et l'exhaustivité de l'information qui lui est due, ne peut pas être consulté trop tôt sur ce type d'opérations.
On peut également craindre que les atteintes aux obligations de confidentialité et d'exclusivité, corollaires des opérations de cession d'entreprise dans l'esprit et la pratique des investisseurs notamment étrangers, et les incertitudes de calendrier seront des contraintes peu favorables à la « simplification », la « compétitivité » de notre système juridique voire à l'attractivité de notre marché.