Les milieux d'affaires allemands déchainés contre Mario Draghi

Par Olivier Passet, Xerfi  |   |  722  mots
Olivier Passet, directeur des synthèses économiques de Xerfi.
Le nouveau tournant de la politique monétaire, impulsé par Mario Draghi en juin et amplifié en septembre a entrainé une levée de bouclier dans les milieux d'affaires allemands. Une hostilité qui en dit long sur la divergence d'intérêt en Europe et sur le divorce intellectuel des élites à l'intérieur de l'espace européen.

Le décryptage de la presse allemande révèle à quel point le chemin vers une  coordination européenne est long.

L'argumentaire critique d'une partie de l'élite d'affaire allemande repose sur quelques arguments forts livrés ici  en cascade, au risque de forcer le trait :

 Il y a d'abord le procès d'intention traditionnel qui oppose la rigueur des germains au dilettantisme latin.  De manière attendue, une partie des milieux d'affaire, ne voient dans la nouvelle agressivité monétaire de la BCE qu'un cache misère de l'incapacité des pays à se réformer. Le cœur de la critique est bien là. Les Etats européens en difficulté, notamment la France et l'Italie chercheraient leur échappatoire dans la facilité monétaire. Ces pays disent qu'ils ne peuvent pas, les allemands les soupçonnent surtout de ne pas vouloir. Toujours sur le même registre, Il y a de manière attendue toute une série de prises de position qui pointent l'aléa moral que génère le rachat de dettes titrisées par la BCE et les risques de détérioration du bilan de la BCE que ce soutien aux mauvais investisseurs implique. Ces arguments peuvent être discutés, mais derrière leur habillage technique, l'affect et les réflexes culturels ne sont jamais loin.

Il y a ensuite les arguments qui révèlent le conflit d'intérêt d'objectif entre les économies européennes ; l'Allemagne ne tire indéniablement pas les mêmes avantages que d'autres économies du quantitative easing de la BCE :

  • Dans une économie vieillissante qui se bâtit sur la rente,  le maintien des taux d'intérêt à zéro dans la durée à impact négatif pour les épargnants, et notamment pour les retraités. Peu étonnant donc de trouver des représentants des caisses d'épargne et des compagnies d'assurance dans le concert des critiques.
  • Idem concernant l'intérêt des industriels allemands à voir l'euro se déprécier. Avec des exportations à forte valeur ajoutée, peu sensibles aux prix et des importations de biens intermédiaires ou de biens de consommation dont le faible coût constituent un levier de compétitivité et de pouvoir d'achat dans les circuits discount, la baisse de l'euro n'est pas vécue comme une aubaine.

Il y a enfin les arguments de nature plus économiques. Ce sont les plus intéressants car finalement les plus difficiles à récuser :

  • Parmi ces arguments, lorsque l'on parcourt la presse allemande, le danger de ne plus avoir de mécanisme de sélection de l'investissement, puisque l'argent est gratuit. De privilégier par exemple l'immobilier et de délaisser les investissements productifs à plus haut risque.
  • Le pronostic ensuite, que l'assouplissement monétaire fera tourner la roue financière (hausse des cours et des prix immobilier) et n'aura que peu d'impact sur l'économie réelle. Et c'est effectivement l'un des risques objectif de ce type de politique.

Dans ce registre, il faut surtout noter la prise de prise de position de plusieurs économistes allemands dans le Handelsblatt du 5 septembre qui paraît particulièrement édifiante : Selon eux, la BCE et les pays européens doivent accepter que la croissance et l'inflation soient naturellement faibles après l'éclatement d'une bulle de crédit, autrement dit la faible croissance est une fatalité à laquelle doivent se résoudre les pays européens, au lieu d'en tirer argument pour différer leur ajustement.

L'argument est moins anodin qu'il n'y paraît, car effectivement l'économie allemande s'est mise en situation d'absorber un ajustement violent de son environnement immédiat. Proche du plein emploi, avec des salaires tournant au ralenti, un équilibre budgétaire qui stabilise sa dette en % du PIB, un excédent commercial qui se bâtit hors Europe, l'Allemagne est parée en cas de crise grave en France ou en Italie. Ce qui serait une crise majeure de notre côté, serait probablement récession standard outre Rhin. Alors attention, car ce scénario fait peut-être moins peur aux Allemands qu'on ne le croit de ce côté-ci du Rhin. La négociation du budget français auprès des instances européennes n'en sera que plus difficile.

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