La Chine, partenaire économique de plus en plus fréquentable ?

Par Aurélien Broncard  |   |  1424  mots
Alors que les chinois apprécient la France, les Français conservent une mauvaise image de la Chine, tout en admettant une méconnaissance des réalités de l'Empire du milieu. Attention: les chinois n'auront pas toujours besoin de la France et de ses produits. par Aurélien Broncard, AMB Office

En 2013, le déficit commercial de la France à l'égard de la Chine était de 25,8 milliards d'euros, hissant l'empire du Milieu sur la première marche du podium des déficits commerciaux bilatéraux de l'Hexagone, devant l'Allemagne. Ce déséquilibre est compensé par un excédent considérable de la France vis-à-vis de la Chine dans un autre domaine, celui de l'image. Là où les Chinois tiennent dans l'ensemble la France en haute estime, les Français, eux, conservent de la Chine le cliché d'un pays cheap, atelier du monde abreuvant l'Occident de marchandises généralement englobées sous le nom de « camelote ». Une anti image d'Epinal de plus en plus fausse.

Chine/France, deux poids, deux mesures

 Selon un sondage Ifop Asia réalisé en 2011, 76 % des Français considèrent comme inférieure la qualité des marques chinoises par rapport à celle des marques occidentales. Un chiffre paradoxal, puisque selon la même étude, seules 14 % des personnes interrogées estiment avoir un bon niveau de connaissance sur les marques et entreprises de l'empire du Milieu. Traduction : une écrasante majorité de Français déconsidère les produits chinois sans les connaître. 
Cette dépréciation de l'industrie chinoise s'accompagne, en creux, d'une crainte lancinante de la force de frappe de la Chine, le pays étant perçu comme un ogre glouton et tentaculaire. Cette phobie ancestrale, réactivée et nommée à la fin du XIXe siècle sous le nom de péril jaune, plonge en fait ses racines bien plus profondément dans le temps. Dans l'Ancien Testament, le livre d'Ezéchiel (Vème siècle avant JC) évoque déjà des hordes paganisées venues d'outre-Caspienne pour mettre à sac la Terre promise. Prophétie reprise mille ans plus tard dans le Coran. La déferlante Gengis Khan, au XIIIème  siècle, partant de la Mongolie pour venir s'échouer quelques milliers de kilomètres plus loin sur les rives du Danube, cristallisera pour de bon l'idée d'une Asie - et donc d'une Chine - féroce.

68% des Français ont une mauvaise image de la Chine

Aujourd'hui, selon un sondage Opinion Way, 68 % des Français conservent une mauvaise image de la Chine. On en est là. A contrario, si depuis la crise de 2008 la « marque France » est légèrement écornée aux yeux des Chinois, Pékin continue dans l'ensemble de percevoir de façon positive l'Hexagone et l'Europe. Pourtant, sur le plan historique, les Chinois auraient eux-aussi des raisons de nous en vouloir. Expert chez Mediation-Consulting, Nicolas Rousseaux rappelle ainsi à juste titre qu'il fut un temps où tout ce que le vieux contient comptait d'explorateurs intrépides (Vasco de Gama, Magellan, etc.) partait en Chine le couteau entre les dents pour tenter de piller et coloniser le pays.

Qu'en conclure ? Que les Chinois sont moins « rancuniers » que nous ? Qu'ils ont la mémoire plus courte ? Sans doute pas, non. Sans doute faut-il simplement y voir une meilleure adaptabilité du peuple chinois au présent, une solubilité plus grande dans le changement, quand nous nous complaisons dans une posture dépassée. L'opinion dans l'ensemble défavorable que nous nous faisons de la Chine traduit une certaine méconnaissance des rapports franco-chinois depuis quelques années. Rapports ayant bien évolué, tant sur le plan culturel qu'économique.

 Des liens économiques de plus en plus étroits

 Dès le XXème siècle, les liens culturels entre la France et la Chine se resserrent. Paris accueille de nombreux intellectuels chinois, venus chercher l'inspiration politique, éducative, scientifique ou encore artistique. La Chine nous le rend bien, en choisissant le roman d'Alexandre Dumas fils La Dame aux Camélias pour première traduction en chinois d'un livre occidental.  Par capillarité, cette bonne intelligence culturelle va contaminer nos relations économiques avec l'empire du Milieu. Il y a cinquante ans, en 1964, de Gaulle s'improvise pionnier dans la reconnaissance de la République populaire de Chine. Depuis, les liens économiques entre les deux pays n'ont jamais cessé de se resserrer. 
La Chine est aujourd'hui le 7ème client de la France, son second fournisseur derrière l'Allemagne. En Chine, la France tire son épingle du jeu dans les secteurs de l'aéronautique, de la mécanique, de la chimie ou encore du nucléaire. Plus de 8 000 entreprises, dont 60 % de PME, exportent vers la Chine. 1 200 entreprises tricolores y sont installées, ayant généré en 2010 un chiffre d'affaires de 30 milliards d'euros. Les investissements des entreprises françaises en Chine sont en progression constante, représentant aujourd'hui un stock d'environ 3,5 milliards d'euros.

Une révolution des modes de consommation

Le luxe à la française est également plébiscité par les Chinois. Et pour cause, selon une étude du cabinet Simon - Kucher & Partners, les critères les plus importants pour les consommateurs chinois sont, dans l'ordre, la qualité, le style, le confort et l'image de marque. On est bien loin du cliché du Chinois béotien, fruste et dépourvu de goût. Pouvoir d'achat en hausse, évolution des marqueurs sociaux et aspiration à des produits de qualité, cette petite révolution des modes de consommation chinois n'est pas un hasard. Elle correspond à l'émergence d'une classe moyenne en bonne et due forme. Selon Ernst & Young, en 2020, plus de 500 millions de ménages chinois disposeront de revenus annuels compris entre 60 000 et 500 000 yuans (7 120 et 60 000 euros).

Le cas du Club Med, emblématique de nos rapports à la Chine

Et pourtant. Et pourtant, si le mode de vie des Chinois, bien que comportant toujours un certain nombre de particularismes culturels, se rapproche de plus en plus du nôtre, un malaise persiste. La Chine est toujours perçue par les Français comme un pis-aller. Dans l'actualité économique récente, le cas de l'OPA menée sur le Club Med en témoigne. 
Comme chacun sait, le fleuron du tourisme français se cherche un repreneur. Il a d'abord fait l'objet d'une OPA amicale emmenée par le Chinois Fosun sous l'étendard de Gaillon Invest, entité regroupant également Ardian (ancien AXA Private Equity). Fin juin, coup de théâtre, l'Italien Bonomi, via Global Resorts SAS, lance une contre-OPA hostile, valorisant le groupe à 790 millions d'euros, soit 227 millions d'euros de plus que la concurrence. Alléchant sur le papier, oui mais voilà si Bonomi est connu pour sa voracité, il n'est pas réputé pour sa propension à accompagner les firmes qu'il achète dans leur développement. De la spéculation pure.

Pour le Club Med, un actionnaire italien incertain vaut mieux qu'un chinois

L'offre de Bonomi est pointée du doigt par les administrateurs du Club, qui fustigent un manque de vision sur le long terme, un court-termisme dangereux, alors que la firme au trident est en plein aggiornamento, visant une montée en gamme et une expansion à l'international soutenues par Fosun. Mais quand-même, ces mêmes administrateurs penchent pour l'offre de Bonomi. Incompréhensible ? Pas tant. D'accord l'offre de Bonomi est plus intéressante pour les actionnaires, mais surtout, l'homme d'affaires a pour avantage d'être italien, pas chinois. Jean-Pierre Raffarin, dans un tweet en date du 24 juin, met les pieds dans le plat : « L'accord  avec les Chinois dérange. Pourtant, il s'agit d'une stratégie d'avenir. »
Fosun a depuis relevé son offre, valorisant le Club à hauteur de 839 millions d'euros, et devrait donc l'emporter. Depuis son arrivée en 2010 au capital de la firme, plusieurs villages vacances sont sortis de terre en Chine, et le mouvement est donc voué à s'amplifier. La marque France jouit toujours d'un véritable prestige en Orient. Il s'en est cependant fallu de peu que les Chinois prennent ombrage des hésitations tricolores.

Ne plus snober la Chine...

Si la casse a cette fois été évitée de justesse, la France a tout intérêt à faire en sorte que ce genre de mésaventure ne se reproduise pas, et à mettre à jour sa vision de la Chine. Car en ne voulant pas admettre que l'empire du Milieu a évolué, se dotant d'une classe moyenne de plus en plus consistante, il refuse de prendre en compte une autre réalité : l'industrie chinoise elle aussi se transforme, faisant des pieds et des mains pour capter le pouvoir d'achat de ces nouveaux « presque riches » en proposant désormais des produits de qualité, à mille lieux des clichés. Autrement dit, la France est encore en odeur de sainteté en Chine, mais a tout intérêt à ne plus snober un partenaire commercial qui, à l'avenir, aura de moins en moins besoin d'elle.