La transition énergétique française ne se fera pas sans l'Europe (ni argent)

Par Chantal Jouanno et Stephen Boucher  |   |  849  mots
Il faut que le plan européen pour l'investissement, mis en œuvre par Jean-Claude Juncker, se focalise sur la transition énergétique. Et que le gouvernement français agisse enfin en ce sens. par Chantal Jouanno, Sénatrice de Paris, conseillère régionale d'Ile-de-France, co-présidente d'Ecolo Ethik et Stephen Boucher, directeur du programme politiques européennes du climat, European Climate Foundation

Au moment où le Sénat s'apprête à examiner le projet de loi du gouvernement sur « la transition énergétique pour la croissance verte », la question centrale est celle de sa mise en œuvre. Et donc des moyens financiers. Un levier essentiel semble pourtant étrangement déconnecté des débats français, celui du fonds d'investissement de 300 milliards d'euros récemment proposé par le nouveau Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, dont les ministres des finances discuteront ce mardi.

 Réindustrialiser l'Europe

L'analyse de Jean-Claude Juncker au sujet de ce fonds de partenariats public-privé en faveur d'investissements en énergie, transports, clusters industriels et réseaux haut débit, prévu de démarrer en février 2015 est juste. Il faut un plan de « réindustrialisation de l'Europe » qui permette de mobiliser les investissements privés, crée des emplois rapidement, stimule productivité et compétitivité et maximise les économies d'échelle entre pays européens pour un effet de croissance rapide et durable. Le tout bien sûr sans grever les finances publiques.

 Privilégier la transition énergétique

Rien de mieux dans cette optique que les investissements vers la transition énergétique par la rénovation énergétique des bâtiments, les transports moins polluants, l'efficacité énergétique de l'industrie, les énergies renouvelables, les infrastructures de réseaux électriques intelligents, ou la capture et le stockage du carbone qui permettraient tous de remplir ces objectifs, en plus d'améliorer l'indépendance énergétique de l'Europe et de réduire ses émissions de CO2. Les rénovations énergétiques des bâtiments publics par exemple pourraient être mises en œuvre très rapidement.

Se tourner vers un nouveau modèle énergétique permettra à court terme de créer des emplois : un investissement d'un million d'euros permet de créer 19 emplois dans l'efficacité énergétique ou 14 emplois dans les renouvelables, contre seulement cinq dans
le charbon par exemple. Cela permettra aussi de réduire notre déficit commercial dû à 95% à nos importations en carburants fossiles. Orchestré au niveau européen, il permettra des économies d'échelle : Booz & Co a estimé les retombées économiques d'une plus grande intégration des marchés énergétiques européens à 40 milliards d'euros par an d'ici 2030. En effet, souligne France Stratégie, « davantage d'interconnexions atténuerait certaines contraintes locales d'ajustement du réseau et permettraient d'optimiser l'utilisation de différentes sources de production et de demande dans une zone géographique plus vaste.»

 Le risque de voir des projets classiques ressortir des cartons

Il n'est pas sûr pourtant que les gouvernants européens sauront investir intelligemment. Tout indique au contraire qu'ils sortiront de leurs cartons le 14 octobre des projets « classiques » d'autoroutes et de gazoduc. Du fait notamment de la crise russo-ukrainienne, ils semblent même se précipiter vers des infrastructures de transport de gaz naturel. Selon le think tank E3G, « il y a un risque que l'argent public soit gâché pour subventionner des projets d'infrastructure qui ensuite deviennent des actifs coûteux et inutiles ».

A cet égard, la position actuelle de l'Elysée est insuffisante : les instructions sont de veiller à ce qu'une grosse partie de ses investissements aille à l'efficacité énergétique, les énergies renouvelables et aux infrastructures qui n'émettent pas de carbone.

 La faiblesse de l'action du gouvernement français

Plus généralement, la transition énergétique encouragée par le gouvernement manque de nerf : les financements ne sont pas identifiés, les budgets du Ministère de l'environnement et de l'ADEME ont été très fortement réduits depuis 2012 (respectivement -16 % et -20 %). De plus, aucune réforme de la fiscalité écologique n'est à ce jour envisagée, alors que la France figure à l'avant dernière place en matière de taxation environnementale, seule l'Espagne faisant moins et les recettes de taxes environnementales représentant à peine 1,9 % du PIB contre une moyenne européenne de 2,4 %.

 A la veille d'accueillir la négociation mondiale sur le climat à Paris, fin 2015, il est de la responsabilité de la France de corriger le tir. Au niveau européen, cela veut dire s'assurer que les fonds proposés par Jean-Claude Juncker seront attribués en cohérence avec les objectifs climatiques européens et français, de préciser leur provenance, les liens avec les projets proposés par les collectivités dans le cadre des fonds structurels et de réviser l'enveloppe à la hausse. Au niveau français, il s'agit de développer un véritable plan de financement de la transition énergétique.

 La plupart des chefs d'entreprise voient l'urgence de la transition énergétique

Un récent sondage de Harris interactive souligne que 84% des chefs d'entreprise français voient la transition énergétique comme une urgence. Mais que seulement 16% d'entre eux estiment que le gouvernement met en place des moyens suffisants pour mener la transition au rythme souhaité. Ils ont raison. Le plan d'investissement de M. Juncker est l'opportunité pour la France de mieux réfléchir au financement national et européen de sa transition énergétique et de démontrer son leadership international en matière climatique.