Le CICE, ou la chronique d'un échec annoncé

Par Marc Guyot et Radu Vranceanu  |   |  948  mots
Au lieu de favoriser l'emploi, le CICE sert à augmenter les salaires et les dividendes. Le choix d'augmenter la distribution des profits, au détriment de l'investissement, tient à l'absence de réforme du marché du travail. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs d'économie à l'ESSEC

La conversion à l'économie de l'offre du Gouvernement actuel et d'une partie de l'opposition s'est matérialisée, en partie, par la prise de conscience tardive que le manque de compétitivité des entreprises françaises était une cause majeure de la faiblesse de la croissance et du chômage. Le manque de compétitivité fait que les exportations françaises piétinent, que les entreprises délocalisent leurs productions et que les emplois dans le secteur des biens échangeables sur le marché international disparaissent.
L'opposition, en son temps, avait essayé de traiter le problème en réduisant les charges sociales patronales sur les bas-salaires avec des résultats positifs, mais modestes. Le Gouvernement actuel a, pour sa part, crée le CICE (Crédit d'Impôt pour la Compétitivité et l'Emploi), entré en vigueur au premier Janvier 2013.

Le principe est d'octroyer une réduction d'impôts aux entreprises, proportionnellement à leur masse salariale, pour les salaires compris entre le SMIC et 2.5 fois le SMIC. Selon les chiffres du Gouvernement, pour 2014 la réduction d'impôts équivaudrait à 6% de la masse salariale, hors salaires supérieurs à 2,5 fois le SMIC (4 % en 2013). L'idée du Gouvernement est que la baisse des charges sur le travail, générée par ce mécanisme, va inciter les firmes à embaucher et à investir.

Sans baisse des prix des biens produits, aucune compétitivité supplémentaire, et pas d'emplois créés

Dans la mesure où la réduction des charges pesant sur les salaires au SMIC est équivalente à une réduction du salaire horaire chargé, elle a un effet positif sur la demande de travail payé au SMIC. En revanche, une réduction de l'impôt sur les sociétés assise sur la masse salariale met en marche des mécanismes économiques très différents. Il apparaît évident que si les sommes dégagées ne sont pas utilisées à augmenter leur compétitivité via une réduction des prix des biens et services produits, le CICE n'aura aucun effet sur l'emploi. Or que pouvons nous constater sur l'année écoulée? Selon la dernière note d'informations de la DARES (Direction de la Recherche du Ministère du Travail), les salaires mensuels dans le secteur privé (entreprises de 10 salariés ou plus) ont augmenté au second trimestre de 2014 de 0.4%, après une hausse de 0.6% au premier trimestre.

Sur une année, la variation des salaires mensuels est de 1.4%. Elle touche toutes les catégories socioprofessionnelles, +1.6% pour les cadres, +1.5% pour les ouvriers et +1.3% pour les employés, ainsi que tous les secteurs d'activité, dont +1.6% pour l'industrie. En revanche, sur la même période, de mars 2013 à mars 2014, les prix à la consommation ont seulement augmenté de 0.3%. En conséquence, les salaires en euros constants ont augmenté de 1.1% sur un an, alors même que le taux de chômage continuait d'augmenter et s'approcher des 10%.

Le taux de marge des entreprises reste au plus bas

En même temps, selon les données de la dernière note de conjoncture l'INSEE, l'investissement des entreprises s'est à nouveau contracté au deuxième trimestre de 0.7%, après une baisse de 0.6% au premier trimestre. A 29.3% au deuxième trimestre 2014, le taux de marge brute des entreprises demeure à son niveau le plus bas depuis 1985 (28,4 %), et ceci malgré l'entrée en vigueur du CICE.

Le CICE a servi à augmenter les salaires... ou à verser des dividendes

Ces différents chiffres permettent d'établir un constat d'échec du CICE, conforme aux craintes que nous avions exprimées il y a un an. En effet, une partie importante du CICE a manifestement été utilisée pour augmenter les salaires ce qui est en contradiction totale avec l'objectif de restauration de la compétitivité de l'industrie française censée soutenir l'emploi. Les syndicats ont fait passer leur objectif de défense des travailleurs déjà détenteurs d'un CDI au détriment des chômeurs et de la compétitivité des entreprises.
Par ailleurs, une autre partie du CICE a été utilisée pour verser des dividendes aux actionnaires.

 Pourquoi les entreprises distribuent-elles des dividendes au lieu d'investir?

Dans le contexte actuel d'effondrement de l'investissement, lorsque l'on constate un phénomène généralisé d'augmentation des dividendes, cela signifie que les entreprises restituent aux actionnaires une partie de leur profit car elles n'ont pas identifié de projets d'investissements rentables. Ce mouvement manifeste un pessimisme radical sur l'activité économique du pays et la capacité des firmes à se développer à court terme.
Sans partager directement ce constat d'échec, Emmanuel Macron, le nouveau ministre de l'économie, s'est ouvertement interrogé récemment sur les raisons pour lesquelles, depuis une décennie, les entreprises françaises redistribuent davantage vers les actionnaires et les salariés plutôt qu'investir.

Il aurait été souhaitable que le ministre se pose la question deux ans plus tôt, lorsqu'il était conseiller du président de la République car cela aurait peut-être permis d'éviter ce laborieux et inefficace CICE. En effet, pour ce qui est des salaires, la réponse est toujours la même : un dysfonctionnement profond du marché du travail. Tant que celui-ci n'aura pas été reformé, il restera un inefficace lieu de marchandage entre syndicats et patronat. La rigidité du marché du travail et notamment la surprotection du CDI, se fait non seulement au détriment des chômeurs mais aussi des travailleurs contraints au travail temporaire. Plutôt que le CICE, le Gouvernement actuel, comme les précédents, aurait mieux fait de s'atteler à cette réforme structurelle majeure de flexibilisation du marché du travail, réforme que le premier ministre italien Renzi est lui en train de tenter en Italie.