Comment l'ENS et Polytechnique ne savent pas se vendre

Par François Garçon  |   |  894  mots
Les meilleures universités mondiales font toutes l'effort de se livrer à un minimum de marketing, sur leur site Internet. A ce jeu, nos écoles d'élite, Polytechnique et l’École normale supérieure font pâle figure. par François Garçon, maître de conférences à l'Université Paris 1

Le classement 2014-2015 du Times Higher Education vient de tomber, qui établit un palmarès mondial des établissements supérieurs. Les résultats de ce classement sont en ligne avec ceux des années précédentes : les établissements supérieurs français restent globalement médiocres. Dans les 100 premiers établissements, surnagent deux établissements français. Ils font pâle figure face à cinq allemands, cinq hollandais, trois suisses, trois suédois, pour s'en tenir aux établissements européens, non anglo-saxons.

 Même les meilleures universités sacrifient au marketing...

Parce qu'ils recoupent en France des insuffisances que peuvent vérifier tous les enseignants chercheurs dans leurs propres établissements, et surtout parce qu'ils se répètent, il faut s'interroger sur ces résultats. Et surtout sur la manière dont ils sont présentés au public. Tous ceux qui les ont simplement visités retiennent des universités d'Oxford, Stanford, ou Munich (Ludwig-Maximilians) leur puissance et l'autorité intellectuelle qu'elles assument pleinement. Avec le plein soutien de leurs organisations d'alumnis, leurs directions claironnent que les meilleurs scientifiques du monde ont étudié ici.

Sur trois lignes, chaque établissement du palmarès britannique résume à quoi tient sa notoriété et les arguments destinés à aimanter chercheurs et étudiants du monde entier. Le Caltech (1er) vante ses 31 prix Nobel, Cambridge (5ème) rend hommage à Turing, Newton et Rutherford. Heidelberg (70ème) est fière de ce que 11 chefs d'État se sont formés sur son campus. L'université de Bâle (75ème) rappelle qu'Erasmus, Nietzche et Jung ont étudié là. L'Ecole polytechnique fédérale de Zurich (13ème) souligne encore qu'Einstein y a été élève puis y est devenu professeur.

Sur trois lignes, les établissements chantent donc leurs points forts. Aux ronchons qui considèrent qu'il s'agit là d'opérations de bas marketing, on leur objectera qu'aucun des établissements dans le top 100 ne se soustrait à l'exercice.

Polytechnique évoque les hautes sphères de "la société civile française"

A ce sujet comment se présentent les deux établissements français figurant dans la liste des cent premiers du "billboard" anglais ?
Classée 61ème , l'école Polytechnique indique qu'elle a été fondée par Napoléon, qu'on y trouve encore des « vestiges de son passé militaire » (ce qui ne veut pas dire grand chose) mais qu'elle ouvre la voie « to the higher plains of French civil society ». Non seulement, on s'interroge sur ce que peut signifier les « higher plains » mais, surtout, parions que rares sont les lecteurs anglophones ou tout simplement non Français qui comprendront ce que signifie la notion de « société civile française ».

Société civile par opposition à quoi ? La société militaire ? Il en existerait donc une en France, cohabitant avec la société civile ? Il se trouve des cercles militaires, des associations d'anciens militaires mais peut-on parler en 2014 de société militaire ? Bref, sur seulement trois lignes, la direction de la communication de l'École Polytechnique a surtout semé le trouble. A quoi servent donc les études qu'on pourrait bien mener sur le plateau de Palaiseau ?

 Normale Sup ne fait pas mieux

Le deuxième établissement français du classement, l'École normale supérieure (78ème), communique-t-il mieux ? D'entrée il est précisé que, fondée en 1794, l'école a été crée dans le but de former des professeurs du secondaire (« teachers ») dans l'esprit laïc de la République («the secular spirit of the Republic»). A ce niveau de lecture, beaucoup de candidats étrangers ont déjà probablement zappé. S'ils viennent de l'autre bout de la planète pour faire de la recherche, ce n'est probablement pas pour se retrouver dans un lycée au terme de leur parcours. La deuxième ligne se poursuit ainsi : « today, as a leading grande ecole »... Un jour comprendra-t-on sans doute en France que les étudiants du monde entier se moquent de cet oxymore français intraduisible, qui est une école lilliputienne s'auto-déclarant « grande ». Le pire suit : « it sees its role as training future leaders in public service and private endeavour ».

Nonobstant une fin de phrase heureuse ouvrant sur « l'entreprise privée », mieux faudrait que la direction de l'École Polytechnique comprenne qu'un jeune chercheur créatif, à l'affût de très bons professeurs capables d'encadrer ses travaux de recherche n'ambitionne probablement nullement de devenir fonctionnaire en France, même haut fonctionnaire. C'est du reste ce qu'ont compris les diplômés français de l'X qui, si l'on en croit le rapport de François Cornut-Gentille, se déversent dans leur immense majorité dans le secteur privé.

Comment accumuler autant d'erreurs en l'espace de trois lignes?

Que sur un espace aussi court (trois lignes), les deux « grandes écoles » publiques françaises parviennent à enquiller autant d'erreurs de tirs, d'informations non pertinentes, puisant dans un confondant provincialisme mâtiné d'arrogance, est tragique. En l'occurrence, la plume est tenue par des Français, la responsabilité est donc nôtre. Plus inquiétante est ce que laisse deviner cet exercice de style raté : les deux établissements, dont les élites françaises sont si fiers, ont-ils bien compris les règles internationales de l'enseignement supérieur où ils prétendent jouer ? Rien n'est moins sûr. Le pire est donc peut-être devant nous. En attendant, un nombre grandissant parmi les meilleurs étudiants français va étudier à l'étranger. Cherchez l'erreur.

François Garçon