Contrat de travail et Union européenne, l'impossible harmonisation

Par Ombeline Degreze-Pechade  |   |  840  mots
Un arrêt récent de la Cour de cassation bouleverse le droit des contrats de travail au sein de l'Europe, et risque d'amener une grande insécurité juridique pour les entreprises trans-nationales. Par Ombeline Degreze-Pechade, avocat au Barreau de Paris

Il a été abondamment question ces derniers mois dans la presse des décisions de justice auxquelles ont dû faire face les sociétés Ryanair et CityJet, condamnées à payer des dommages et intérêts aux caisses de Sécurité sociale françaises et, poursuivies sur le plan pénal pour travail dissimulé.

Un récent arrêt rendu par la Cour de cassation le 29 septembre 2014 pourrait bien intéresser ces compagnies aériennes ainsi que, plus généralement, toute entreprise européenne souhaitant employer des salariés en France.

Un salarié français soumis au droit espagnol...

Dans cette affaire, un employeur dont la société était basée en Espagne, avait soumis le contrat de travail d'un de ses salariés, de nationalité française et travaillant en France, au droit espagnol et à la compétence des tribunaux de Lleida en Espagne. Ledit salarié, après cinq ans, avait dû être licencié pour motif économique.

Or, le code du travail français impose que le travail habituellement effectué en France soit soumis au droit français et à la compétence du conseil des prud'hommes.
Cependant, l'employeur espagnol avait obtenu de la part des caisses de sécurité sociale de son pays l'autorisation administrative lui permettant de soumettre le salarié au droit espagnol dans le cadre d'un détachement temporaire en France.

C'est donc en suivant l'autorisation administrative espagnole que l'employeur avait soumis le salarié au droit espagnol et à la compétence des juridictions espagnoles, conditions au demeurant acceptées par le salarié.

... mais le litige porté devant les prud'hommes


Malheureusement pour l'employeur, le salarié, a porté le litige en France devant le conseil des prud'hommes puis devant la cour d'appel, le conseil des prud'hommes ayant dans un premier temps suivi le raisonnement de l'employeur.

Or, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé le 26 janvier 2006 - en se fondant sur un règlement communautaire du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale au sein de l'Union européenne - que tant que les certificats délivrés par l'autorité administrative décisionnaire n'ont pas été retirés par cette même autorité, les juridictions du pays d'accueil ne sont pas habilitées à remettre en cause cette autorisation. En somme, chacun reste maître chez soi.

Cette position est celle de la Cour fédérale de justice allemande qui a considéré dans un arrêt rendu le 24 octobre 2006 qu'un tel certificat est opposable aux juridictions pénales.
La Cour de cassation n'a toutefois pas considéré les choses de la sorte. Elle vient de décider dans un arrêt du 29 septembre 2014 qui a vocation à être publié et à faire jurisprudence, que ce raisonnement n'a d'effet qu'à l'égard des régimes de sécurité sociale.

La haute juridiction française a donc décidé, en contradiction avec la règlementation européenne, avec la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et avec la Cour fédérale de justice allemande, de soumettre un même contrat de travail à des droits et des tribunaux différents.

Le règne de l'insécurité juridique

La vie des entreprises n'en sera pas simplifiée. Un contrat de travail pourra relever cumulativement du droit français et de la compétence des tribunaux français pour l'application du droit du travail, ainsi que du droit espagnol et de la compétence des tribunaux espagnols pour ce qui a trait à la Sécurité sociale.

Il y a fort à parier que l'insécurité juridique règnera. On peut d'ores et déjà s'interroger sur ce qu'il adviendra des questions relevant à la fois du droit du travail et de la Sécurité sociale comme, par exemple, des demandes indemnitaires du salarié licencié à la suite d'un arrêt maladie prolongé, et du calcul des indemnisations à verser par l'employeur et par les caisses d'assurance maladie.

La libre circulation des travailleurs remise en cause

Au-delà de la considération juridique, cette décision remet en cause le principe de libre circulation des travailleurs et des services au sein de l'Union européenne. Quel employeur acceptera de se soumettre à un système si complexe avec le risque d'une remise en cause du droit applicable au contrat, quelques années plus tard ?

L'intérêt de cette décision repose néanmoins sur le fait que, pour la première fois, il est a contrario décidé que, si l'employeur est détenteur de l'autorisation lui permettant d'être soumis à la sécurité sociale d'un Etat membre, alors les prestations de sécurité sociale versées jusqu'alors ne pourront être remises en cause.

Il en découle que, si un employeur peut démontrer être en règle avec les autorités administratives de son pays d'origine, aucune indemnité n'est due aux caisses de Sécurité sociale françaises et l'incrimination de travail dissimulé n'a pas lieu d'être retenue.

NB: Le rédacteur de cet article a représenté l'employeur dans la procédure en cause.