La France en passe de rendre obligatoire le livret ouvrier ?

Par François-Nicolas Wojcikiewicz  |   |  896  mots
La carte d'identité professionnelle que le gouvernement veut rendre obligatoire dans le secteur du bâtiment rappelle furieusement le livret ouvrier du XIXième siècle. par Nicolas Wojcikiewicz, avocat au barreau de Paris

En vigueur au XIXème siècle pour différencier les ouvriers des vagabonds, le livret ouvrier semble être remis au goût du jour en octobre 2014 par le Ministre du Travail dans son projet de loi Activité sur proposition de la Fédération Française du Bâtiment. A l'heure où la Chine elle-même abandonne le système du hukou (permis de résidence urbain, livret ouvrier chinois), il semble que la France n'ait pas de complexe à vouloir généraliser un système désuet, rétrograde et discriminatoire, à deux pas de l'Antiquité grecque désignant par « oï barbaroï » tous ces étrangers situés au-delà des frontières de la Cité.

Une carte d'identité professionnelle désormais obligatoire dans le bâtiment


Pour ne pas choquer les esprits, et sans doute par volonté de « politiquement correct », ce livret déjà appelé « carte d'identité professionnelle » serait désormais rendu obligatoire en France pour tous les ouvriers du bâtiment. Selon la FFB, pour tous travailleurs d'un chantier qui ne posséderaient pas une telle carte , il y aurait « une forte suspicion de fraude ». Rajoutons à cela une nationalité d'un autre pays de l'Union Européenne (dont la France est toujours membre, rappelons-le), et le délit de faciès sera pleinement constitué. La garantie pour les patrons de l'Union Européenne de se retrouver en garde à vue ou bien pour les ouvriers d'être interdits de chantier !

Une traque des entreprises de l'UE qui détachent des travailleurs en France

La réalité du terrain et des contrats ne peut être réduite à deux cas de figure : avoir sa carte ou ne pas l'avoir. Les a priori vont tellement loin de la part de nos gouvernants qui tentent désespérément et démagogiquement de trouver un responsable à la crise du chômage français qu'une traque sera désormais officiellement organisée à l'encontre de toute entreprise de l'Union Européenne qui détachera des travailleurs en France. Le Ministère ne cache pas ses intentions, qui sont en elles-mêmes et avant même que des mesures législatives ou réglementaires complémentaires soient prises, honteusement discriminatoires et violent les principes mêmes des pères fondateurs des Communautés Européennes.

Ainsi, et ciblant volontairement les entreprises européennes sous-traitantes détachant
légalement des salariés en France, le Ministre du Travail a annoncé que « désormais, toute entreprise qui emploie des travailleurs détachés sera contrôlée », en jetant l'opprobre sur les grandes entreprises apporteuses en France de main d'œuvre hautement qualifiée et en opérant un malheureux amalgame entre d'une part quelques entreprises peu scrupuleuses et d'autre part la plupart des sociétés européennes respectueuses des règles de détachement de salariés ; une condamnation sans jugement inacceptable dans un Etat de droit au
XXIème siècle !

La consécration d'une présomption de "sale gueule"


La présomption de « sale gueule » est donc consacrée ; elle est à ce point irréfragable qu'un bataillon spécial doit être mis en ordre de marche au sein de l'inspection du travail, une unité régionale spécialisée dans chaque région avec 175 agents redéployés, qui sera apparemment chargée de se concentrer sur les immatriculations étrangères, en coopération avec toute personne voulant procéder à signalement.
Dommage que pour satisfaire quelques intérêts corporatistes on ne voie le mal que comme venant de l'extérieur, alors qu'il convient avant tout de combattre le travail illégal de l'intérieur, mais ceci demeure sans doute un tabou... Voulant absolument en découdre et réprimer une société étrangère qui omettrait de payer une heure supplémentaire, la France en oublie de se donner les moyens de sanctionner certaines sociétés françaises qui 'omettent' de procéder par déclaration d'embauche ou même certains abus liés au régime des auto-entrepreneurs
; l'arbre cache la forêt.


A quand le livret vendangeur, le livret serveur... ?


Le projet de loi pour l'Activité dans son volet Travail apparaît quant à lui comme irrémédiablement destiné à réduire les échanges commerciaux de services avec nos partenaires européens. Ceci ne devrait d'ailleurs pas tarder à susciter de leur part des
interrogations légitimes.

Logistiquement, on peut s'interroger sur les délais, conditions et coûts de délivrance par les autorités françaises de cette « carte d'identité professionnelle » à des salariés détachés parfois pour des périodes très courtes, qui de toute manière sont d'ores et déjà dans
le collimateur du Ministère et à l'égard de qui des instructions semblent déjà données. Travaillant légalement sur le territoire français, devront-ils pourtant être présumés comme hors-la-loi si l'Administration n'a pas le temps de leur délivrer leur carte avant le
début de leur détachement ?

A quand maintenant le livret vendangeur, le livret serveur, le livret vendeur, le livret employé de maison, et pourquoi pas le livret ingénieur ou le livret cadre ? Sérieusement, un tel système n'augure pas de justice sociale, n'apportera aucune garantie de l'éradication du travail illégal en France, mais au contraire stigmatisera encore plus les cocontractants de la France.

Travail bien réparti ne tue pas !