« Le citoyen, consommateur de politique, veut en cocréer l'offre »

Spécialiste de la démocratie en ligne et des partis contestataires à l'Université catholique de Louvain, Nicolas Baygert analyse l'effet des « foules sentimentales » du Web participatif sur la sphère politique.
Nicolas Baygert, politologue.

LA TRIBUNE - Pourquoi et dans quelle mesure le Web participatif chambarde-t-il la démocratie ?

NICOLAS BAYGERT - Parce que des mouvements nés sur les réseaux sociaux arrivent maintenant à se structurer, et décident parfois de rentrer dans l'arène politique. C'est le cas du Parti Pirate en Allemagne, du Tea Party aux États-Unis ou du Movimento 5 Stelle (Mouvement cinq étoiles) en Italie.

Pour ce dernier, son leader, Giuseppe (« Beppe ») Grillo, est d'abord un humoriste. Mais pendant longtemps, il a surtout été le blogueur le plus suivi en Italie. Dans ces mouvements, il y a une source d'influence très importante de l'économie numérique. À travers le financement participatif, il y a bien cette idée de « foule » et de collaboration à la mise en place d'un projet commun.

LT - Toutefois, ces « projets communs » apparaissent souvent comme des critiques envers l'élite politique...

NB - Aujourd'hui, beaucoup de citoyens sont effectivement dans une posture de défiance. On le voit avec les Indignés, mais aussi à travers l'essor des modes de consommation alternatifs, comme l'économie du partage ou le troc organisé sur Internet. Il y a une volonté de sortir du système, d'avoir une posture plus ou moins anti-systémique, tant au niveau politique qu'économique.

Le citoyen s'est mué en consommateur de politique, il veut aussi en cocréer l'offre. Or, le système actuel ne permet pas de le faire : on est encore dans une logique de hiérarchie, de casting interne de partis.C'est pourquoi on voit émerger parallèlement ces nouvelles formes d'organisations politiques. Elles se façonnent comme dans l'économie numérique.

LT - Comme la mobilisation des « Pigeons », qui pestaient en 2012 contre l'alignement de la fiscalité du capital sur celle du travail ?

NB - Exactement. Ce sont des mouvements très ponctuels et qui vont s'inspirer du marketing collaboratif, participatif, pour donner une réponse presque immédiate à un problème donné.

On n'a pas ici une offre politique plurielle et transversale qu'on retrouve dans des courants idéologiques et partisans classiques. Ce sont des combats rapides. Ils démarrent sur un thème, grandissent, et bifurquent parfois vers la création d'une véritable force politique.

C'est le cas du Tea Party américain [qui s'est d'abord mobilisé contre les impôts, ndlr]. Tout repose ici sur l'interaction, la participation très forte des citoyens et internautes qui contribuent tous à la création d'une offre politique donnée. C'est vraiment une transformation de l'engagement politique.

LT - Reste que les mouvements participatifs semblent parfois en panne de propositions. Pourquoi ?

NB - Pour eux, le danger, c'est d'être dans une discussion permanente. L'exemple du Parti Pirate le montre très bien : en Allemagne, il s'est largement essoufflé parce que le projet n'est jamais terminé.

Les débats ne s'arrêtent jamais, et cela empêche de passer à l'étape suivante : la concrétisation. Autre problème, il n'y a plus vraiment de hiérarchisation entre les personnes qui possèdent les connaissances et celles qui n'en ont pas. On assiste à un nivellement dangereux où les experts sont complètement laminés par une masse un peu excitée, qui ne donne plus la possibilité d'aboutir à des décisions calmes, tranchées et réfléchies. Les Indignés en sont un bon exemple : on est ici dans une forme d'hystérisation de l'indignation qui n'aboutit sur aucune proposition concrète.

Si l'on compare les Indignés aux altermondialistes d'il y a quinze ans, ces derniers ont quand même réussi à se mettre d'accord sur la taxe Tobin et d'autres projets

LT - D'un côté, on a donc des « cyber-ras-le-bol » et de l'autre, des politiques qui s'activent pour tenter de récupérer le buzz des réseaux sociaux. Est-ce vraiment constructif ?

NB - Je pense qu'aujourd'hui, il y a un risque de déconnexion entre les pratiques politiques et ces mouvements - au départ souvent de boycotts et de réprobation -, qui trouvent avec Internet une caisse de résonance à leur message. Avant, on avait des manifestations de rue, avec des mouvements d'humeur ponctuels et isolés.

Désormais, les mouvements d'humeur arrivent à s'interconnecter et à faire corps, grâce au Net. Regardez le Printemps français, on y retrouve des dizaines de combats hétérogènes : contre les Femen, contre le mariage pour tous, contre François Hollande... Une guérilla s'organise et le politique est coincé. Il est incapable de formuler une réponse immédiate, car il se situe dans un autre temps, dans une logique plus longue de négociations et de débats parlementaires.

LT - Des initiatives collaboratives, comme le lancement d'un budget participatif par la Mairie de Paris, émergent. Est-ce la solution ?

NB - Le défi actuel pour les gouvernements consiste à développer des projets politiques où les décisions - qu'elles soient sociales ou économiques - incluent des éléments participatifs. C'est quelque chose qu'on a déjà vu dans la campagne présidentielle de Ségolène Royal. En 2007, elle disait déjà « mes idées sont les vôtres », et avait lancé des comités participatifs et la plate-forme Désirs d'avenir... Pour Ségolène Royal, c'est devenu sa signature politique.

LT - La culture du Net et des réseaux semble maintenant bien ancrée chez les politiques. Dernièrement, Nicolas Sarkozy a annoncé son grand retour sur Facebook...

NB - Derrière cela, Nicolas Sarkozy affiche sa volonté d'être lui-même sa propre marque et d'avoir une communauté de marques qui le plébiscite, le soutient. Il fait siennes les recommandations des conseillers d'Obama qui prônent un rapport direct avec les internautes et les citoyens. On est donc presque dans une forme de bonapartisme numérique, de démocratie plébiscitaire numérique, qui court-circuite le travail des structures partisanes pour aboutir à une sorte de populisme 2.0.

De même, lorsque Nicolas Sarkozy parle de créer « le premier parti du XXIe siècle » et juge que les débats entre la gauche et la droite sont dépassés, il y a une volonté de sortir du jeu démocratique classique, de s'extirper de la mécanique des partis. Et ce, même si c'est un peu contradictoire avec sa volonté, anachronique, de prendre l'UMP.

LT - Cette mode du participatif ne répond-elle donc qu'à une logique de fans, un désir de popularité ?

NB - Les politiques y vont en grande partie par calcul. Ils ne veulent plus avoir les citoyens de manière complètement anarchique contre eux. Ainsi, de la même manière que les mouvements participatifs arrivent à fédérer des « foules sentimentales » mécontentes, comme dans le cadre du Printemps français, l'exécutif veut faire de même, mais à son profit. C'est une manière de dire : « Écoutez, on va faire des réformes : soutenez-nous ! »

On se situe effectivement presque dans une logique de fans, où l'on joue sur l'émotivité pour soutenir un projet. Récemment, c'est ce qu'a fait Ségolène Royal lorsqu'elle s'est révoltée sur Twitter contre les rejets chimiques d'une usine d'alumine dans le parc national des Calanques. La ministre de l'Écologie a senti qu'il y avait une vraie émotion causée par cette pollution autorisée par les collectivités locales.

Elle a choisi de se mettre du côté des citoyens mécontents, et tente de gérer au mieux cette foule sentimentale. Ce type de stratégie politique devrait à mon sens progresser sensiblement.

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Commentaires 3
à écrit le 04/11/2014 à 12:29
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"citoyen consommateur de politique" l'expression la plus crétine que j'ai lu en 62 ans d'existence !

à écrit le 03/11/2014 à 10:45
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DE L USAGE DES MEDIAS? LES SITES D EXPRESTION SUR INTERNET SONT UN FORMIDABLE VECTEUR D IDES ? ET C EST UNE BONNE CHOSE? CAR LES BONNES IDES SONT TOUJOURS REPRISSE ET MUTIPLE PAR LES PERSONNES DE BONNE VOLONTES ? QUI VEULENT FAIRE AVANCE LA DEMOCRAT...

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