Les MOOCs, une révolution silencieuse

Par Lucien Rapp  |   |  790  mots
Les MOOC's permettent à la fois de développer des pédagogies nouvelles, de moderniser les institutions qui les utilisent et de démocratiser le savoir. Par Lucien Rapp, professeur à l'Université Toulouse1-Capitole, professeur affilié à HEC, Paris 1

C'est peu dire que de remarquer que notre jeunesse est « soucieuse » pour parler comme Musset. De la tentation de l'exil à la séduction des fanatismes, elle est au mieux devenue indifférente au monde qu'on lui prépare ; au pire, révoltée par ses lâchetés.

Le numérique peut-il la réconcilier avec l'avenir et lui redonner l'espoir ? Les MOOCs en portent la promesse pour autant que l'on ne se méprenne ni sur la nature, ni sur la portée des transformations qu'ils apportent.

De nouveaux modes d'acquisition des compétences

Les MOOCs, cours accessibles en ligne, ont commencé une révolution silencieuse. Celle de nouveaux modes d'acquisition des compétences et de diffusion des savoirs, sous la forme de modules spécialement conçus et formatés pour une diffusion massive sur les réseaux de communications électroniques ; celle d'une pédagogie innovante, encore largement expérimentale et dont le support est le forum de discussion où maîtres et élèves, élèves entre eux, échangent et partagent. C'est la logique de la classe inversée, l'accès à la connaissance par l'expérience du savoir, la victoire de Jean-Jacques Rousseau sur Jean-Baptiste de La Salle.

Une triple promesse

Les MOOCs portent en eux une triple promesse : celle de pédagogies nouvelles et très innovantes, mais aussi celle d'institutions modernisées (l'école, le collège, le lycée ou l'Université). Celle encore d'une société différente. Le savoir n'y serait plus confisqué, ni acquis définitivement. Il serait rendu accessible à chacun, à sa convenance de temps et de lieu. Les « illettrés de Gap » ne seraient plus réduits au silence. Ils apprendraient à lire, à écrire, à compter, et bien plus encore, en marge de leur vie de travail.

Les MOOCs, c'est un écosystème industriel aux Etats-Unis, auquel il faudra que l'Europe finisse par s'intéresser : plate formes, officines de conception, professionnels de la mise en scène et de la mise en ligne, professeurs ou établissements sous contrats, opérateurs de réseaux, organismes de certification ou de contrôle de l'identité.

Un modèle économique que la Chine est en passe de s'approprier

C'est un modèle économique en gestation, que la Chine est en passe de s'approprier. Il utilise des modalités de monétisation de plus en plus élaborées : droit spécifiques, vente en ligne, partenariats économiques, commerciaux ou financiers, concession de licence, commercialisation d'espaces publicitaires.

Ce sont des « universités » différentes, à l'image de la Khan Academy, qui séduisent la jeunesse du monde par leur dynamisme et leur modernité. Elles sont productives, dégagent de fortes valeurs ajoutées, utilisent intelligemment les enseignements des neurosciences, mêlent intensivement les techniques nouvelles aux méthodes traditionnelles, favorisent le commerce des esprits par l'échange et la discussion. A l'inverse de ce qui est souvent affirmé, elles valorisent la classe, la salle de cours, l'amphithéâtre, dont elles font l'aboutissement d'un parcours intellectuel ; et non plus, un passage obligé. Elles rayonnent internationalement, en exportant des connaissances, un savoir, des savoir-faire vers des zones de culture commune, fédérées par l'usage d'une même langue.

Des stratégies nouvelles

Ce sont encore des stratégies nouvelles qui se mettent en place et auxquels il faut être attentif: stratégie d'influence d'universités de réputation mondiale, qui utilisent les MOOCs comme un produit d'appel de formations conventionnelles ; stratégie d'excellence scientifique, de la part d'écoles qui s'inspirent des méthodes de l'édition scientifique, en créant des « collections » très sélectives.

La maîtrise de savoir-faire

Il ne faut pas seulement reconnaître la nouveauté des MOOCs, en prenant la mesure des ruptures multiples qu'ils portent, pédagogiques, industrielles, institutionnelles, sociétales. Il faut admettre qu'à l'âge de l'internet, le temps passé à étudier compte moins que l'acquisition effective d'un savoir ou la pleine maîtrise de savoir-faire. Il faut recréer des parcours d'insertion ou de réinsertion dans l'entreprise comme dans l'université, moins linéaires (temps partiel, apprentissage), reposant sur une plus grande porosité entre le temps passé à travailler et celui passé à se former. Il faut inviter les universités à repenser leurs formations et leurs méthodes et les entreprises, à réaliser qu'elles sont ou peuvent être, à leurs côtés, des lieux de production de savoirs et plus encore, de savoir-faire. Il faut les inciter, toutes, à investir dans les MOOCs, seules ou en partenariat. Car il est devenu urgent de réconcilier la jeunesse avec son avenir.

 [1] Lucien Rapp est l'auteur d'une étude réalisée pour le compte de l'Institut de l'Entreprise. « Les MOOCs : révolution ou désillusion ? Le savoir à l'heure du numérique », Préface de Jean-Marc Daniel, IDEP, 2014