Actions de groupe : déjà des dérapages !

Par Kami Haeri et Benoît Javaux  |   |  1245  mots
Pour éviter les dérives à l'américaine des actions de groupe, la loi avait prévu un filtre, celui des associations de consommateurs. Peine perdue: elles instrumentalisent ces procédures pour se faire de la publicité à peu de frais, au détriment de grandes entreprises. Par Kami Haeri, avocat associé du cabinet August & Debouzy, ancien membre du Conseil de l'Ordre, ancien Secrétaire de la Conférence, et Benoît Javaux, avocat senior du cabinet August & Debouzy

 La procédure d'action de groupe entrée en vigueur le 1er octobre 2014 devait permettre, selon ses promoteurs, d'éviter les dérives constatées aux Etats-Unis, en plaçant les associations de consommateurs agréées au cœur du dispositif. Or, un premier aperçu de la pratique démontre que ces associations sont en réalité déjà en train d'instrumentaliser la procédure d'action de groupe.

Vingt-huit jours plus tard...

Le 28 octobre, l'assureur Axa et l'association d'assurés AGIPI ont rejoint la liste des professionnels ciblés par les associations de consommateurs, aux côtés de Foncia et de Paris-Habitat OPH. Après le secteur de l'immobilier, c'est donc celui de l'assurance qui est visé. L'association de consommateurs CLCV a en effet annoncé l'introduction d'une action de groupe contre Axa et l'AGIPI devant le Tribunal de grande instance de Nanterre, sur le fondement d'un manquement allégué à leur engagement contractuel de garantie d'un taux minimum en matière d'assurance-vie. Vingt-huit jours après l'entrée en vigueur de la procédure d'action de groupe, trois procédures ont déjà été annoncées par des associations de consommateurs agréées. S'il est trop tôt pour faire un bilan, une instrumentalisation inquiétante de la procédure peut néanmoins être d'ores et déjà constatée, alors même que le dispositif était - à travers un monopole accordé aux associations - pensé pour éviter de telles dérives.

Les associations de consommateurs étaient supposées être un garde-fou contre les dérives

La procédure d'action de groupe, telle qu'elle résulte de la loi relative à la consommation (dite « Loi Hamon ») du 17 mars 2014 est le fruit d'un long travail mené depuis les années 1980. L'un des objectifs principaux de ce travail était que la procédure d'action de groupe soit dotée de garanties suffisamment fortes pour éviter les « abus » du système américain. C'est dans ce but que les promoteurs de l'action de groupe en France ont décidé de donner aux 15 associations de consommateurs agréées et représentatives au niveau national un monopole pour introduire ce type d'action.

Cette procédure d'action de groupe en elle-même est également très favorable aux associations. Lors de la première phase de la procédure, les associations n'ont ainsi pas besoin de rassembler un grand nombre de consommateurs ni de faire « certifier » la class dans le cadre d'un jugement distinct, comme c'est le cas dans la procédure américaine. Elles peuvent en effet justifier leurs demandes en faisant seulement référence à quelques « cas individuels » (l'UFC se fonde par exemple sur 10 cas dans son action contre Foncia). Or cette première phase est très importante puisqu'elle aboutit à un jugement unique portant sur la responsabilité du professionnel.

Ce jugement pourra d'ailleurs octroyer une provision aux associations pour couvrir les frais générés par la suite de la procédure, et en particulier la gestion des demandes d'indemnisation émanant des consommateurs qui auront été informés par des mesures de publicité du jugement. Ces frais de publicité sont mis à la charge du professionnel. Tout a donc été pensé pour les associations de consommateurs, sans que soient réellement anticipées les dérives dont elles pourraient être à l'origine.

La recherche d'un retentissement médiatique

Or, un mois seulement après l'entrée en vigueur de la procédure d'action de groupe, le premier effet pervers est constitué par la forte médiatisation recherchée par les associations de consommateurs elles-mêmes. Les trois premières actions ont ainsi été annoncées par le biais de communiqués de presse et plans media soigneusement préparés, d'interviews des représentants desdites associations, fortement relayés dans les medias online et offline. Après l'UFC Que Choisir, le SLC-CSF et la CLVC, on peut donc s'attendre à ce que chacune des 15 associations de consommateurs agréées cherche à tirer profit de l'exposition médiatique offerte par la simple annonce d'une action de groupe : se donner beaucoup de visibilité à peu de frais...

L'atteinte immédiate et durable à l'image des professionnels

Du côté des professionnels visés, les conséquences sont immédiates. Leur image et leur réputation en sont déjà durablement affectées, alors même que les fautes reprochées ne sont pas encore examinées par la justice et qu'elles ne le seront que dans plusieurs mois. Ces conséquences sont d'autant plus graves que l'on a pu assister à une surenchère dans le chiffrage du préjudice allégué pour l'ensemble des consommateurs ; préjudice souvent et volontairement évalué de manière globale et simplifiée par les associations. Ainsi, le chiffre de 44 millions d'euros annoncé par l'UFC Que Choisir dans les medias est le résultat d'un calcul effectué à partir du nombre total de locataires de Foncia indiqué sur son site Internet, sans indication des critères précis définissant le groupe. C'est également le cas de la dernière action annoncée contre Axa et l'AGIPI par la CLCV, dont le communiqué de presse indique de manière très liminaire qu'une « centaine de milliers de particuliers sont concernés » et que leur préjudice individuel, bien que très variable, est « souvent compris entre 1500 et 4000 euros », d'où un préjudice global réclamé qui « devrait se situer entre 300 et 500 millions d'euros ».

Un moyen de pression permettant de forcer la main des professionnels

Les conséquences de la médiatisation d'une action de groupe sur l'image d'un professionnel sont telles, que ce dernier pourrait décider de tout faire pour éviter une exposition prolongée dans les medias. Ainsi la simple menace d'une action de groupe, voire l'annonce d'une telle procédure, constitue en elle-même une arme pour les associations pouvant leur permettre d'obtenir des engagements du professionnel, et cela indépendamment du bien-fondé réel des demandes de l'association.

C'est le cas par exemple de la deuxième action de groupe annoncée par l'association de locataires SLC-CSF le dimanche 12 octobre contre Paris-Habitat OPH. Le bailleur social a en effet décidé d'un moratoire sur les pratiques stigmatisées par l'association et réfléchit à d'autres mesures, alors même que l'action de groupe n'aurait en réalité, à ce jour, pas été introduite. L'instrumentalisation opérée par le SLC-CSF est d'autant plus évidente que cette association ne fait pas partie des associations agréées et représentatives au niveau national et ne peut donc pas introduire d'action de groupe en son nom. Le SLC est en effet simplement affilié à la Confédération Syndicale des Familles (CSF), qui dispose, elle, de l'agrément.

En tirer des enseignements pour l'action de groupe contenue dans le projet de loi « Santé »

Le premier aperçu de la pratique des actions de groupe par les associations de consommateurs est inquiétant. Suffisamment, nous l'espérons, pour pouvoir être pris en compte dans le cadre des discussions à venir sur le projet de loi « Santé » présenté en Conseil des ministres le 15 octobre dernier. Ce dernier prévoit en effet que toute association d'usagers du système de santé agréée, qu'elle soit régionale ou nationale, pourra engager une action de groupe pour obtenir réparation de dommages corporels ayant pour cause un manquement d'un producteur ou d'un fournisseur d'un produit de santé. Le nombre d'associations pouvant introduire une action sera donc nettement plus important, et les risques d'abus plus importants encore.