Montebourg chef d'entreprise ? Le choc va être rude

Par Pierre Alibert et Amélie Lebreton  |   |  809  mots
Alors que la parole politique est dévaluée, Arnaud Montebourg tente de se refaire une virginité en voulant devenir chef d'entreprise. Il vise évidemment l'élection présidentielle de 2017, mais le temps de l'entreprise, plus long, n'est pas celui du politique. par Pierre Alibert et Amélie Lebreton, co-fondateurs de l'agence de communication d'influence Coriolink

Manuel Valls aime l'entreprise. Arnaud Montebourg devient entrepreneur. Cela veut-il dire que Manuel aime désormais Arnaud ? S'il n'est pas question ici de démontrer une quelconque convergence idéologique que la primaire socialiste de 2011 n'avait pu envisager, l'information n'aura échappée à personne.

Que n'aura donc provoqué chez Arnaud Montebourg la déambulation en marinière Armor Lux ? Ses habits de défenseur de l'industrie française, son idylle consumée avec les start-ups de la French Tech, l'incitent à se réincarner en futur créateur d'une entreprise innovante dans le domaine médical. Quel choc ! Lors de ces derniers mois passés à Bercy, il avait pourtant commencé à habituer ses interlocuteurs à une possible candidature à la prochaine échéance présidentielle.

La parole politique dévaluée

Pourquoi une telle reconversion ? L'ancien ministre aurait-il été touché par l'esprit entrepreneurial. S'est-il converti à une carrière offrant de meilleures opportunités qu'une destinée politique ? Ou s'engouffre-t-il dans une nouvelle voie pour façonner une nouvelle stratégie politique repositionnant sa légitimité personnelle.

L'ensemble des politologues, des experts, des éditorialistes l'assurent : la parole politique ne fait plus recette auprès des citoyens français. Pire, les Français crient leur désamour des partis politiques : 92 % clament leur défiance (enquête Ipsos Steria de janvier 2014) et seulement 8 % estiment les partis. A l'opposé 84 % des personnes interrogées déclarent avoir confiance dans les PME pour redresser l'économie de notre pays. Si les hommes politiques devenaient dirigeants d'entreprise, obtiendraient-ils la confiance des Français pour l'onction présidentielle ?

Les patrons en politique: une série de déconvenues

De nombreux dirigeants d'entreprise qui se sont essayés à l'exercice du pouvoir politique se sont brûlés les ailes. Peu ont occupé un rôle de premier plan : Roger Fauroux (ministre de l'Industrie de 1988 à 1991, et ancien PDG de Saint-Gobain), Francis Mer (ministre de l'Economie de 2002 à 2004 et ancien dirigeant d'Usinor), Thierry Breton (ministre de l'Economie de 2005 à 2007 et ancien dirigeant de Thomson et France Telecom). A y regarder de plus près, ces derniers étaient des managers de grandes sociétés, non des créateurs de PME.

Pour Montebourg, se refaire une virginité via le passage en entreprises

Et cela Arnaud Montebourg l'a bien compris, comme certains parlementaires qui effectuent des stages en entreprises - sous l'égide de l'association Entreprise et Progrès. Mais l'ancien ministre va plus loin, percevant dans l'entrepreneuriat le mécanisme du renouveau et de la virginité qui manque aux « revenants » et à un personnel politique nécrosé. Les femmes et hommes politiques doivent réinventer un nouveau discours en phase avec les réalités sociales et économiques. Cette expérience, le politique Montebourg, souhaite s'en draper pour brandir sa « vérité » aux électeurs.

Etonnant paradoxe français qui veut qu'on exècre les patrons du CAC 40 tout en adulant les start-ups, les créateurs, les entrepreneurs. Aujourd'hui, on pourrait associer le terme PME à : confiance, équilibre, long terme, stabilité, humanité, liens, région, territoires, moralité, modestie, travail d'équipe.

 Le curieux choix de l'ancien ministre de l'Economie

En politique, en économie tout comme dans le choix de ses études, il est fondamental de choisir avec attention sa formation. Nous ne sommes pas persuadés que le chantre de la « démondialisation » ait pleinement mesuré cet aspect des choses. L'ancien ministre aurait pu se lancer au choix à la tête d'une entreprise de l'économie sociale et solidaire, chère à son ami Benoit Hamon, ouvrir un FabLab cher à son ex-collège Fleur Pellerin ou encore surfer sur le mouvement des Makers, ces sur-diplômés souvent consultants dans de grands cabinets de stratégie qui deviennent patrons d'un garage, d'une boulangerie, etc. Mais il a choisi l'INSEAD, une école qui forme de futurs cadres et dirigeants d'entreprises à vocation internationale où il pourra acquérir les codes capitalistiques et appréhender les stratégies de Titan ou Mittal.

Le risque de se heurter aux réalités du temps de l'entreprise

Jusqu'en 2017, l'agenda d'Arnaud Montebourg sera chargé. Il suscitera la curiosité des journalistes, l'amusement respectueux des chefs d'entreprises et bientôt, l'escompte-t-il, la confiance retrouvée des Français. Si son entreprise réussit, Il pourra se positionner au-dessus des partis, lui qui connaîtra le quotidien des gens « normaux », loin des élites et de leur caste.

Mais en voulant caler ses ambitions sur le temps médiatique, Arnaud Montebourg risque de se heurter aux réalités de la création et gestion d'entreprise. Car, il l'apprendra certainement lors de sa formation, la pérennité d'une entreprise se mesure dans le temps. C'est seulement au bout de la troisième année que l'on peut se prononcer sur la viabilité du modèle économique. Mais d'ici 2016, il peut-être aura déjà revêtu sa marinière présidentielle sans apporter la preuve qu'il aura réussi son challenge entrepreneurial.