Profit et bien public : le cas des pesticides bio

Par Marc Guyot et Radu Vranceanu  |   |  1035  mots
L'émergence d'un marché des pesticides bio, sous la pression des consommateurs et des ONG, illustre bien la complémentarité des rôles entre secteur public et secteur privé. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs d'économie à l'Essec

L'explosion démographique et les ressources limitées en terres arables et en eau posent un gigantesque défi à l'humanité en termes de lutte contre la faim présente et à venir. En effet, d'ici à 2050, la population mondiale devrait augmenter d'un bon tiers et passer de 7,2 milliards à 9,6 milliards réduisant fortement le ratio de terre disponible par habitant. Il y a encore 870 millions d'habitants souffrant de la faim et de la malnutrition selon la FAO et 2 milliards de nouveaux habitants à nourrir dans un contexte de très probable réchauffement climatique. Le monde est donc soumis à une exigence aigüe d'accroissement des rendements agricoles, dans des conditions de production plus en plus difficiles.

Des pesticides aux OGM

Le secteur des semences et pesticides chimiques est un oligopole dur qui tire des profits colossaux de sa capacité à augmenter les rendements agricoles et à développer les quantités de produits agricoles que la Terre peut produire. Ses produits emblématiques, à la fois nécessaires et critiqués, sont les pesticides chimiques et les semences provenant d'organismes génétiquement modifiés (OGM).

Essentiellement ces semences OGM sont rendues résistantes à la sécheresse, les maladies et les herbicides par des manipulations génétiques. Ces modifications permettent de produire davantage tout en utilisant moins d'eau et moins de pesticides permettant ainsi de réduire la malnutrition et les dommages écologiques dus aux cultures.

Les OGM largement utilisés, mais aussi contestés

En termes quantitatifs, les OGM sont un succès indiscutable, dans la mesure où ils sont utilisés par plus de 25% des fermes mondiales soit 17,6 millions d'agriculteurs. Aux USA notamment, 60 à 70% de produits fournis par l'industrie agro-alimentaire contiennent des OGM. Cependant les OGM font l'objet de doutes et de rejets. Ils sont soupçonnés de favoriser certains types de cancers et d'être néfastes pour la biodiversité, puisqu'ils semblent être responsables, entre autres, de la disparition de certaines espèces d'insectes. L'efficacité des campagnes d'alertes anti-OGM a sensibilisé les populations des pays développés et a amené les autorités de nombreux pays à prendre des mesures d'étiquetage des produits agro-alimentaires pour informer le consommateur de la présence d'OGM. Dans certains pays, la culture OGM est purement et simplement interdite. Pro et anti OGM s'affrontent sur le danger ou l'innocuité de ces produits et le camp du rejet semble l'emporter dans les pays riches.

 Une nouvelle solution, des pesticides naturels

Face à ce rejet assez général des consommateurs et à la demande d'une agriculture sinon à 100% bio, du moins à la fois sans semences OGM et avec le moins de pesticides possibles, les producteurs traditionnels de pesticides et de semences OGM se sont trouvés face à défi de taille, technique et économique. Cette pression exercée par le marché est en train de bousculer cette impasse et faire émerger une nouvelle solution sous la forme de l'apparition des pesticides naturels destinés à remplacer les pesticides chimiques. En effet, les chercheurs des multinationales du secteur comme Monsanto, Bayer, BASF et DuPont, se sont rendu compte que toutes les molécules qu'ils avaient créées avaient des équivalents dans la nature sous la forme de micro-organismes comme des bactéries ou des micro-champignons. Ces micro-organismes peuvent être disposés sur les semences de soja, de maïs ou autres pour les rendre résistantes à la sécheresse ou à telle ou telle maladie. Une fois identifiés, ils peuvent être produits beaucoup plus vite que les pesticides chimiques et présentent l'avantage d'être naturels.

Consommateurs et actionnaires des producteurs d'engrais sont gagnants

L'état actuel des connaissances en génétique et en séquençage du génome permet d'identifier rapidement parmi les milliards de bactéries existantes, celles qui pourraient être utilisé efficacement comme pesticides naturels. Ainsi, un avenir meilleur se présente pour l'agriculture biologique, pour les consommateurs et pour les actionnaires de ces firmes dont le profit devrait augmenter tiré par cette innovation.

Le marché des pesticides naturel est estimé aujourd'hui à deux milliards de dollars contre 54 milliards pour les pesticides chimiques. Les principales firmes du secteur se sont lancées dans la course en investissant dans des nouvelles unités de recherches et en rachetant des firmes spécialisées.

Un exemple de de la complémentarité des rôles du public et du privé

Une question de santé publique qui semblait irrésoluble il y a peu est en train de fortement s'améliorer grâce à l'émergence de cette solution tirée par les avancées technologiques au service de la recherche du profit. Cette situation apparaît comme un exemple marquant d'exercice de la moralité spontanée et involontaire de l'entreprise privée face à une pression générée par les consommateurs et les ONG.

L'émergence des pesticides naturels illustre parfaitement la complémentarité des rôles du privé et du public dans la Bonne Société. Le privé sait, à partir d'une opportunité technologique, faire émerger rapidement un produit viable économiquement et qui correspond à une attente du consommateur et de la Société. Il prend les risques, trouve les solutions techniques de production et de distribution ainsi que le design adapté. Le Secteur public ne sait pas le faire, ou en tout cas moins vite et moins bien. En effet, son rôle n'est pas d'innover et produire mais de réglementer en fonction de l'impact sur la santé publique. Lui et lui seul est à même de déterminer les bonnes normes de qualité et les faire respecter. Il doit mettre au point la stratégie publique qui permettra de nourrir le plus de personnes de façon respectueuse de l'environnement et sans risque sanitaire de long terme.

Inversement, la profitabilité des firmes chimiques ne saurait être suffisante pour autoriser et justifier l'existence d'une industrie qui touche à la santé publique. Même si, dans le cas présent, il y a une convergence heureuse entre le profit et la santé publique, il appartient exclusivement au législateur de déterminer le cadre normatif dans lequel cette industrie se développera. Le profit ne saurait tenir lieu de finalité, il est juste la mesure et la récompense de la bonne gestion au service de la collectivité.