De l'austérité en France ? De qui se moque-t-on ?

Par Marc Guyot et Radu Vranceanu  |   |  1168  mots
Compte tenu de la très faible diminution du déficit, on ne peut parler d'austérité budgétaire, en France. Il faudrait baisser franchement la dépense publique. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu professeurs à l'ESSEC

Les révisions successives à la baisse des prévisions de croissances de la Zone Euro par le FMI, l'OCDE et la Commission Européenne enfoncent encore plus celle-ci dans le rôle de l'homme malade de la planète. En effet, les prévisions de croissance viennent d'être revues à 0,8% pour 2014 et +1,1% pour 2015. Au sein de la Zone Euro, même si des pays comme l'Irlande, l'Espagne et la Grèce sortent la tête de l'eau, deux pays du cœur de la zone, Italie et France, sont particulièrement touchés par la stagnation de la croissance. En France, cette croissance faible se conjugue avec un chômage élevé à 10,5% qui poursuit sa hausse, un déficit public que le Gouvernement ne réussi pas à réduire de 4.1% du PIB en 2013 et un endettement public à 95.1% du PIB au 2ème trimestre 2014 et qui s'approche du taux effrayant de 100%.

 Quelle rigueur?

Dans ce contexte, de nombreuses voix, en France et à l'étranger, remettent en cause le principe de rigueur budgétaire, qu'ils accusent d'être à l'origine de la panne de croissance actuelle, et réclament la mise en place d'un programme de relance de court terme de type keynésien, qui passerait notamment par le maintien ou l'accroissement des dépenses publiques et éventuellement la relance de la consommation des ménages via des baisses d'impôts notamment.

Le Gouvernement français mènerait-il effectivement une forte politique d'austérité de nature à équilibrer les comptes publics mais qui pénaliserait la croissance ? Une politique de rigueur budgétaire consiste pour l'Etat à réduire ses dépenses et à augmenter ses recettes via l'impôt de telle sorte d'arriver à un équilibre, à l'image de nos voisins Allemands.

Une hausses des impôts sur les ménages, mais des baisses de charges

Côté recettes, si on se base sur l'accroissement de la pression fiscale, notamment sur les ménages, depuis trois ans, il y a effectivement apparence d'une politique de rigueur budgétaire. Les recettes fiscales totales ont augmenté de 3.2% en 2013 après 3.5% en 2012. Cet accroissement de la pression fiscale sur les ménages est alimenté également par un alourdissement des taxes existantes, une apparition continue de nouvelles taxes et la suppression de beaucoup d'avantages fiscaux ou sociaux. Elle s'accompagne toutefois d'une politique de baisse des charges sur les bas salaires, ou de l'impôt sur le profit pour certaines entreprises en fonction de la masse salariale, et de la dispense d'impôts sur le revenu pour les ménages les plus pauvres.

Pas de réduction des dépenses

Côté dépenses, L'Etat n'a toujours pas commencé à réduire ses dépenses. Il s'est simplement décidé à réduire la vitesse à laquelle ses dépenses augmentent. Il est donc difficile de parler d'austérité lorsque l'Etat continue à dépenser de plus en plus chaque année. Cela est d'autant plus frappant que la France, de part la taille gigantesque de son secteur public comparé aux autres pays, est dans une situation de dépenses publiques anormalement élevées.

En effet, avec une dépense publique à 57% du PIB en 2013, la France est à un des niveaux les plus élevés en Europe, comparé à 47% du PIB en Allemagne. Selon les chiffres publiés par l'Insee, la situation s'aggrave puisqu'en 2013, pour une croissance anémique du PIB de 1,1% en valeur, la dépense publique a allégrement continué d'augmenter de 1.9% après une hausse de 2.9% en 2012. Cette dérive des dépenses se poursuit en 2014, avec une hausse de 0.8% de la consommation des administrations publiques au troisième trimestre. Enfin, la baisse des effectifs de la fonction publique d'Etat, qui est passée de 2,53 million à 2,44 million de fonctionnaires soit une baisse de 3.5% de 2009 à 2012, a été compensée par l'accroissement du nombre de fonctionnaires territoriaux qui est passé de 1,86 à 1,91 millions sur la même période, soit une hausse de 2.9%.

Un maintien du déficit à un niveau élevé

Une augmentation continue des dépenses publiques, financée par une hausse de la pression fiscale sur certaines catégories de français conduisant au maintien du déficit budgétaire à un niveau élevé et à un accroissement de l'endettement public peut difficilement passer pour une politique d'austérité. Pour 2014 en effet, le déficit public attendu est de 4.4% du PIB, et la Loi de Finances pour 2015, votée en première instance le 18 Novembre, prévoit un déficit de 4.3%.

Réduire les dépenses de fonction publique

Un programme cohérent et crédible d'ajustement budgétaire passerait par une réduction des dépenses de fonctionnement de l'Etat et la fin des cadeaux fiscaux et sociaux aux groupes représentant la base électorale du Gouvernement. Les Gouvernements de pays comme l'Allemagne ou l'Espagne, qui ont mis en place des programmes d'ajustement budgétaire de ce type avec un désengagement de l'Etat au profit de partenariat public-privé ou de délégation de service public et une réduction importante des emplois dans la fonction publique, ont réussi à baisser leurs dépenses publiques et à rééquilibrer leur finances publiques sans se mettre dans une situation macroéconomique pire que celle de la France.

S'endetter? Des taux d'intérêt réels pas si faibles

Dans le contexte budgétaire de la France, serait-il possible de financer un programme de relance de court terme en creusant encore le déficit et en alourdissant la dette? Ses partisans estiment que la dette peut augmenter car les investisseurs sont prêts à la porter, comme l'indique les taux d'intérêt à 10 ans historiquement bas autour de 1%. Cette acceptation, qui est très probablement due à l'engagement pris par la BCE de secourir sans limite tout Etat de la Zone Euro qui rencontrerait des problèmes d'illiquidité, risque toutefois de s'arrêter à tout moment, comme l'ont montré les tensions sur les taux d'intérêt de l'emprunt public grec au mois d'octobre. Avec une dette publique qui a dépassé les 2000 milliards d'euros, un point de pourcentage de plus sur le taux d'intérêt risquerait de la placer sur une trajectoire à fort risque, qui réclamerait des taux encore plus élevés et qui deviendrait un frein important au retour de la croissance. Par ailleurs, les taux d'intérêt réels ne sont pas si faibles du fait du niveau extrêmement faible de l'inflation anticipée pour la zone euro.

Un pacte de responsabilité insuffisant

La situation actuelle reflète le manque de volonté du Gouvernement de réduction de ses dépenses et de diminution de la taille du secteur public au bénéfice du secteur privé. L'espoir de reprise économique du gouvernement repose sur ses mesures de soutien direct aux entreprises comme le CICE et le Pacte de responsabilité et sur les gains présumés de l'ouverture à la concurrence de certains secteurs réglementés. Ces mesures ne suffiront pas pour faire revenir la croissance, tant que le Gouvernement n'osera pas réformer le marché du travail et désentraver l'action des entreprises.