Halte au Google bashing !

Par Olivier Fréget et Charlotte Tasso de Panafieu  |   |  916  mots
Le parlement voudrait que Google soit scindée en deux. Une requête aberrante, symptomatique d'une dérive du droit de la concurrence. par Olivier Fréget et Charlotte Tasso de Panafieu, avocats

Le Parlement européen a entendu ce jeudi prochain une motion visant à inciter la Commission Européenne à utiliser ses pouvoirs en matière de concurrence afin de scinder les activités de Google.  Cette motion est évidemment absurde aux yeux de tout spécialiste du droit de la concurrence.  Le droit de la concurrence de l'Union Européenne ne permet des mesures aussi radicales qu'en dernier ressort : une fois que toutes les autres mesures moins attentatoires aux libertés ont échoué.

 Dans le cas de Google, cette entreprise n'a fait l'objet d'aucune condamnation : elle est seulement la cible de plaintes d'entreprises concurrentes. Celles-ci exercent légitimement les droits que leur confère le droit communautaire. Pour autant, tant que Google n'a pas été condamnée pour violation du droit de la concurrence, celle-ci est innocente, nécessairement innocente.

Même les opérateurs historiques (Orange...) n'ont pas été contraints à la scission

Au surplus, un remède aussi radical n'a pas même été imposé aux banques européennes même après la crise financière de 2008. De même, alors que les opérateurs historiques de télécommunications (Orange, Telefonica, Deutsche Telekom) ont pu être condamnés pour abus de position dominante à l'occasion de l'introduction de l'internet haut-débit,  pour des pratiques qui ont privé pendant de nombreuses années les consommateurs concernés de l'ADSL, aucune mesure de séparation structurelle n'a pu être imposée à ces entreprises. Ce n'est pourtant pas faute pour les opérateurs alternatifs de l'avoir demandé. A la différence du procès fait à Google, une telle mesure aurait été pourtant rationnelle s'agissant d'infrastructures construites grâce à des rentes de monopole. Non seulement, ces entreprises n'ont pas été sommées de se scinder mais il y a quelque semaines, la Commission a en revanche abandonné, sans justification, à l'égard de ces trois opérateurs, la procédure qui avait été engagée contre elles pour des pratiques mettant en cause la neutralité du net au stade de l'interconnexion. Mais il s'agit d'entreprises européennes...

 L'innovation technologique en Californie et l'innovation juridique à Bruxelles?

Prétendre ainsi désormais envisager sans aucune forme de procès  le démantèlement des moteurs de recherche, au prétexte de la puissance de l'un de leurs principal détenteur, est illégitime et sans fondement juridique. Ce serait en outre donner  le sentiment que le droit de l'Union ne peut se faire sévère et audacieux que lorsqu'il s'applique à des entreprises américaines comme le montrent les précédents d'Intel et de Microsoft. L'innovation technologique se trouverait ainsi en Californie et l'innovation juridique à Bruxelles ? Est-ce cela l'image que l'on veut donner du droit de la concurrence européen, en particulier, et du droit de l'Union Européenne en général ?

Une "démonisation" des Google, Apple, Facebook???

Comment en-est on arrivé là ? Cette situation apparaît comme le produit d'une véritable "démonisation" des  grandes entreprises américaines de l'e-commerce - le fameux GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), et des surenchères que les dérives régulatrices  du droit de la concurrence suscitent.

 Démonisation d'abord. Il n'est plus possible dans un colloque ou dans une manifestation publique portant sur l'ebusiness d'apporter à l'égard de Google et de ses comportements supposés ou réels, la moindre parole mesurée ou censée. Pour lutter contre les  fantasmes que génère Google, à les entendre il faudrait  toujours plus de règlementation, toujours plus de carcans.. Les principales victimes de cette règlementation tatillonne seront ces petites et moyennes entreprises européennes qui auraient pu se saisir du big data pour développer de nouveaux écosystèmes numériques et verront demain leur développement entravé par ces couts règlementaires que Google et les autres grandes entreprises n'auront, elles, guère de mal à s'accommoder.

 Surenchères ensuite. Le droit de la concurrence de l'Union Européenne donne l'apparence d'une puissance sans limite auquel répond cette demande du Parlement.  Ce n'est cependant que parce qu'il peut s'évader du respect du droit qu'il génère en retour ce type de demandes. Le droit de la concurrence se sert de plus en plus souvent de l'intimidation que suscitent les amendes terrifiantes qu'il peut imposer. Il peut ainsi obtenir des engagements de la part d'entreprises qu'il n'aurait pu parvenir à condamner en droit et s'éviter même les risques d'un procès.

Et s'il ne parvient pas à faire céder l'entreprise, il entretient alors le sentiment que l'entreprise, puisqu'elle négocie, est nécessairement quelque part « coupable ». Mais si des engagements sont acceptés, ils peuvent également masquer d'authentiques infractions que la Commission a voulu éviter de sanctionner pour ne pas connaître l'aléa judiciaire. Ainsi, parfois, les engagements qui sont acceptés n'auraient pu être légalement imposés. Dans d'autres cas, ils sont en deçà de ce qu'une décision de condamnation aurait nécessité.

Dans les deux cas, les engagements nourrissent une forme de "régulocratie", une régulation qui ne connaît aucun contrôle juridictionnel véritable. Elle prive tant les parties qui s'étaient plaintes que l'entreprise qui s'est « engagée », des garanties d'un procès équitable et le droit de règles claires et opposables. Dommage que le Parlement européen nourrisse un tel phénomène au lieu de s'intéresser à ce qu'une politique de concurrence tournée vers les vraies questions d'accès au marché devrait favoriser.