Amazon va-t-il tuer le livre ?

Par Pascal Perri  |   |  824  mots
(Crédits : DR)
Les Français aiment le numérique, mais pas les professionnels du livre, qui entendent mener le combat contre le livre numérique. par Pascal Perri, dirigeant de PNC Economics

La France, notre vieux pays de culture, est traversé par un double mouvement apparemment contradictoire. Les Français plébiscitent les outils numériques, ils s'apprêtent à commander une partie importante de leurs cadeaux de fin d'année sur Internet et au même moment, certains professionnels du marché de la culture,  dénoncent la concurrence-évidemment déloyale- d'Amazon devenu le premier libraire du monde.

La communauté du livre obsédée par ses concurrents

Ce décalage s'explique. La communauté du livre est plus obsédée par ses concurrents que par ses clients. Elle a vécu très longtemps dans une situation de rente confortable, protégée par la loi sur le prix unique du livre.

Pour limiter l'influence de la grande distribution, la loi Lang a bloqué le processus concurrentiel qui est  en réalité un processus de découverte comme le pensait l'économiste Frederick Hayek. La concurrence est plus efficace pour élargir le marché, combattre les monopoles que ne le sont les politiques de régulation par le prix. Malgré les barrières légales à l'entrée du marché, un premier constat s'impose. Les Français lisent moins que par le passé. On vend en France moins de livres. La faute aux sollicitations multiples, la faute aux écrans sans doute, à commencer par celui de la télévision, la faute aux prix aussi.

Quand la demande de livres baisse... l'offre augmente

 Le livre est par nature un marché dans lequel la demande est élastique au prix. La seule réponse qui a été opposée à ce jour par les éditeurs est étonnante. Une augmentation de l'offre a répondu à une baisse de la demande. Certains éditeurs se sont comportés comme des photocopieurs. Ils éditent plus de 10 ouvrages par jour dont beaucoup seront lus par leur auteur et son entourage. Dans le secteur de la prescription, à l'exception de grands libraires qui font un travail d'accompagnement et jouent leur rôle de conseil littéraire, trop de professionnels se sont comportés comme des magasiniers, organisant la rotation rapide des seuls best seller.

Librairies en "dur", digital: chacun a ses armes

A ce jeu là, Amazon avait tous les arguments pour gagner le cœur des consommateurs. Faut-il d'ailleurs considérer Amazon comme l'ennemi absolu ? Les offres numériques sont incontestablement un défi pour les points de vente « en dur » mais chacun possède des armes différentes. A cet égard, les chiffres donnent une idée précise de la géographie actuelle du marché. 100 000 titres vendus chaque année sont uniquement disponibles sur Internet. Internet vend plus de 80% des références disponibles quand les libraires n'atteignent pas 70% selon des chiffres de 2012.

Les petits auteurs peuvent dire merci aux acteurs du numérique

Plus de trois quarts des livres vendus en ligne ont un tirage inférieur à 1000 exemplaires. De ce point de vue, Amazon et les autres offres numériques soutiennent la création hors des grands courants commerciaux. Les petits auteurs peuvent dire merci à ces nouveaux acteurs qui en réduisant les couts de stockage et de logistique permettent de servir un public exigeant. La diversité de la demande n'a pas à en souffrir. Au contraire. Amazon propose aujourd'hui un catalogue colossal, dont 800 000 titres constamment disponibles et prêts à l'envoi. Les entreprises de l'âge numérique ont un avantage concurrentiel décisif par rapport aux points de vente.

Une vraie expérience client en magasin

 Dans une librairie, l'espace est précieux. Même les grands professionnels de Paris et des métropoles de province comme Mollat à Bordeaux, Sauramps à Montpellier, Decitre à Lyon ou le Furet à Lille ne peuvent prétendre détenir et présenter autant de titres ! En revanche, ces entreprises ont quelque chose qu'Internet n'aura jamais - du moins au même degré : la complicité avec le public, la valeur ajoutée du conseil, une relation communautaire forte. Sous l'égide de son dirigeant, la FNAC, grande entreprise française du secteur de la culture s'est réinventée  et d'une certaine façon ré-enchantée.

Le cross canal ou l'omni canal répondent avantageusement à l'offensive commerciale des Pure Player de l'internet. Un assortiment large « on line » et la recherche d'une vraie expérience client en magasin. Les deux canaux se répondent et se renforcent. La révolution digitale est irréversible. Elle impose au commerce corporel une révolution darwinienne utile aux consommateurs autant qu'à la filière de production.

On peut bien sur regretter amèrement les redoutables écarts de fiscalité entre les pays européens, membres d'un même espace économique. N'apportons cependant pas une mauvaise réponse à une bonne question. Amazon, comme les autres géants de l'Internet - et comme l'ensemble des entreprises d'ailleurs, ne votent pas la loi. Ils l'appliquent !

 Pascal Perri, dirigeant de PNC Economics

Auteur de Google : un ami qui ne vous vent pas que du bien ; Editions Anne Carrière