A quand, enfin, de vraies réformes ?

Par Marc Guyot et Radu Vranceanu  |   |  1207  mots
Les politiciens professionnels sont incapables de mener de vraies réformes, en raison du risque électoral. Faisons appel, par exemple, à des économistes de renommée internationale, qui, comme Mario Monti, seraient capables de les mener à bien. par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs d'économie à l'ESSEC

En cette fin d'année, la situation économique de la France est très inquiétante. Le chômage s'approche des 11%, le déficit commercial se creuse, la dette publique est proche de 100% du PIB, l'inflation est dangereusement en dessous de 1% et la croissance est atone depuis plus de trois ans. Les perspectives pour 2015 sont peu réjouissantes.

Face à cette réalité, il y a presque unanimité pour admettre que le problème est structurel et que le pays a besoin de réformes profondes. Notre organisation économique actuelle, conçue dans une perspective de chômage faible, de forte croissance économique, de frontières plutôt fermées et d'excédent important des travailleurs sur les retraités n'est plus du tout adaptée à un contexte d'économie ouverte. En effet, nos entreprises doivent affronter la concurrence, d'une part, des entreprises de pays émergents ayant un avantage de coûts salariaux, et, d'autre part, des entreprises de pays développés dynamiques tirés par une économie de marché vibrante et des capacités de création et d'innovation fortes.

Droite et gauche, incapables d'agir

L'essentiel de la droite et de la gauche s'accorde sur les grands principes de la réforme nécessaire, bien résumée par la conversion affichée du Président Hollande à l'économie de l'offre il y a peu près un an. Pourtant, droite et gauche confondues ont été incapables de passer à l'action et d'entreprendre ces réformes structurelles, sociales et fiscales pourtant nécessaires. La droite a été incapable d'abroger les 35 heures, d'aligner l'ensemble des régimes de retraite sur le niveau soutenable dans la durée ou de réformer le contrat de travail. A la place, elle n'a été capable que de proposer la défiscalisation des heures supplémentaires, l'allongement de 60 à 62 ans pour la retraite des travailleurs du privé et le licenciement par consentement mutuel qui a créé autant de problèmes qu'il en a résolus.

Depuis 2012, les grandes réformes de la gauche se limitent à des réductions d'impôts sur les entreprises d'un montant insuffisant, et basées sur des principes économiques douteux, comme l'illustre le lien entre la défiscalisation et la masse salariale. En 2014, le ministre socialiste Emmanuel Macron propose en guise de « loi de modernisation » un patchwork de petites mesures, qui n'auront aucun impact économique majeur.

Le risque de perdre les élections conduit aux solutions de facilité

La cause du refus des hommes politiques français d'accomplir des réformes en profondeur, salvatrices à moyen terme mais impopulaires à court terme, est bien connue et eux-mêmes ne s'en cachent pas. Un dirigeant politique qui poursuivrait une politique de ce type courrait un gros risque de faire perdre à son parti toutes les élections intermédiaires, sachant qu'il y en a une par an en France, et de perdre au final les législatives et son poste de Premier Ministre, ou les présidentielles et le poste de Président. A un moindre niveau dans la hiérarchie politique, le politicien professionnel, par exemple un député, ne peut ignorer les conséquences de ses choix sur ses propres perspectives de carrière politique.

Il y a donc, pour les politiciens professionnels, une forte incitation à rechercher le compromis, la solution de facilité, les promesses vides, pour se maintenir dans la course le plus longtemps possible, quitte à laisser à ses successeurs les mesures impopulaires. Il est notoire que lorsque Lionel Jospin s'est interrogé sur une réforme des retraites en 2001, François Hollande, alors 1er secrétaire du parti socialiste, l'en a dissuadé pour ne pas mettre en cause la retraite à 60 ans. En 2014, François Hollande président doit faire face au dernier rapport de la Cour des Comptes dans lequel la seule solution pour sauver les retraites serait d'allonger la durée de cotisation. Il est fort probable que cela sera transmis tel quel au prochain gouvernement.

Syndicats et Medef embourbés

La peur des réformes paralyse également l'ensemble des organisations, comme les syndicats, le Medef et les administrations, embourbés dans un égrenage de coalitions, où tout le monde est redevable à tout le monde. Ces grandes coalitions focalisent sur ce qu'ils vont perdre si les réformes se mettent en place, sans avoir la vraie mesure des gains des réformes, ni une idée précise des retombées pour eux-mêmes dans un monde où l'ensemble des coalitions serait restructuré.

 De Margaret Thatcher à Matteo Renzi

Si la cause du blocage est bien connue, la seule solution semble être l'attente de la personnalité politique providentielle, prête à perdre son poste en 5 ans (ce qui n'arrive pas toujours) mais aussi à rentrer dans l'histoire des dirigeants intègres et visionnaires, qui ont mené les réformes impopulaires mais nécessaire à la sauvegarde du pays. A cet égard, Gerard Schröder est l'incarnation de ce type de dirigeant, tout comme Margaret Thatcher en son temps. Matteo Renzi vient de se poser en digne successeur et est rentré dans une lutte dont on ignore l'issue.

Outre l'attente de l'homme intègre providentiel, une autre solution possible est inspirée par le cas de l'Italie. En 2012, face à une faillite imminente des finances publiques, les Italiens ont confié à Mario Monti, un professeur d'économie reconnu, non-professionnel de la politique et par ailleurs sans appartenance politique, la mission ingrate d'entreprendre les réformes impopulaires nécessaires. Mario Monti a composé un gouvernement d'experts qui a élaboré un plan de réformes. Ce plan n'a que partiellement réussi, en revanche, il apparaît clairement qu'un gouvernement d'experts apolitiques est d'autant plus disposé à passer des réformes impopulaires qu'il n'a pas d'ambition politique, et qu'ils voient leur avenir professionnel en dehors de la politique.

Faire appel à des économistes de renommée internationale

Des économistes de renommée internationale comme Olivier Blanchard (économiste en chef du FMI) ou Jean Tirole pourraient jouer en France le rôle que Mario Monti a joué en Italie. Plusieurs études en économie expérimentale ont prouvé l'efficacité de la délégation avec un objectif de « transfert de responsabilité », le temps de faire passer une mesure impopulaire.

Un gouvernement de ce type n'est pas censé durer plus d'un an, ce qui est suffisant pour une réforme de grande ampleur du marché du travail, la mise en œuvre de la dérèglementation des secteurs protégés, une authentique simplification administrative, et l'engagement d'une réforme de la fonction publique. Une fois le processus de réforme engagé, les partis classiques pourraient prendre la relève, considérer comme acquises les réformes menées, et se remettre à gérer le pays et les autres aspects de la gouvernance nationale comme la sécurité, les relations extérieures et les aspects culturels et sociétaux.

L'inconvénient de ce type de gouvernement est qu'il n'est mis en place le plus souvent que pour éviter la faillite du pays. Actuellement, la classe politique cherche à minimiser l'ampleur de la crise et les media relayent leur message apaisant, dénonçant le « pessimisme des Français ». Au contraire, nous pensons que la quête de la personnalité providentielle n'a que trop duré, et invitons les citoyens à se poser sérieusement la question du gouvernement d'experts.