Une réforme territoriale illisible

Par Armand Laffineur  |   |  1488  mots
La réforme territoriale combine deux logiques: l'une jacobine, visant à donner plus de pouvoirs à de grandes régions. L'autre, plus décentralisatrice, prenant en compte les cas particuliers et les spécificités territoriales. L'ensemble est peu lisible, voire contradictoire. Par Armand Laffineur, consultant en développement économique et en aménagement du territoire.

En 1990, paraissait un ouvrage intitulé «La Fin du Territoire Jacobin[1] », signé par  Jean-Pierre Balligand, député de l'Aisne, et Daniel Maquart, haut fonctionnaire, ingénieur du génie rural et des eaux et forêts.

 Les auteurs développaient la thèse que l'organisation territoriale héritée de la Révolution et de l'Empire avait fait son temps et qu'il fallait parfaire la décentralisation en laissant les collectivités s'organiser autour de compétences librement choisies sur la base de l'efficience économique et sociale dans un contexte de concurrence entre les territoires.

Ecrit il y a près de vingt-cinq ans, cet ouvrage était novateur et en avance si l'on se souvient qu'en 1990, les lois de décentralisation avaient moins de dix ans et peu de recul sur le fonctionnement des conseils généraux et des conseil régionaux. La loi ATR ou loi Joxe concernant la coopération intercommunale (création des communautés de communes et des communautés de villes, organisation des communautés urbaines) interviendra seulement en février 1992.

Le jacobinisme perdure

Mais en définitive, depuis un quart de siècle, la réforme territoriale et l'organisation des collectivités locales semblent hésiter, prise  alternative.

- Doit-on conserver une organisation jacobine, rationnelle et cartésienne du territoire national ? L'ensemble reposant alors sur une pyramide Etat-région-départements-structures intercommunales-communes, chacune de ces collectivités possédant les mêmes compétences, partout en France.

- Doit-on se diriger vers un aménagement asymétrique du territoire, avec des collectivités aux compétences différenciées et des territoires librement organisés sur des bases économiques, géographiques, historiques ou sociologiques.

Globalement, l'organisation jacobine, héritée de la Révolution française, perdure. Le comité pour la réforme des collectivités locales dit comité « Balladur »[2], a proposé en mars 2009 de conserver l'organisation actuelle mais de diminuer le nombre de Régions, de réduire les compétences des conseils généraux, de créer des conseillers territoriaux, siégeant à la fois à la Région et au Département et enfin d'organiser le Grand Paris. Et 'ces sur la base de ces conclusions que les différentes réformes territoriales sont conçues, tant sous le mandat de Nicolas Sarkozy que sous celui de François Hollande.

 Une organisation pyramidale

La réforme territoriale proposée par François Hollande et actuellement examinée au Parlement s'inspire largement des propositions du comité « Balladur ». Elle vise à conserver une organisation pyramidale avec un nombre réduit de Régions et un maintien des départements mais une suppression des conseils généraux. Parallèlement les schémas directeurs de coopération intercommunale ont pour mission de rationaliser les structures intercommunales dans chaque département.

A deux reprises,  les citoyens ont été appelés à se prononcer sur des fusions de collectivités, et ont choisi de préserver la situation existante. Le 6 juillet 2003, les habitants de la Corse refusent la création d'une collectivité unique et préfèrent conserver la situation actuelle (deux départements et une collectivité territoriale). De la même manière, le 7 avril 2013, les habitants de l'Alsace choisirent de conserver un territoire avec deux conseils généraux et un conseil régional plutôt que de créer une collectivité territoriale unique à l'échelle de la région Alsace. Ces deux consultations locales, qui concernent portant des territoires à forte identité régionale, semblent démontrer l'attachement des populations à l'organisation territoriale de la République.

Toutefois, l'acte III de la décentralisation conduit à mettre en œuvre des initiatives originales qui se démarquent de l'organisation classique.

 Des initiatives originales

La Métropole du Grand Paris

Tout d'abord, Paris qui est depuis 1977, à la fois une commune et un département dotée d'une seule assemblée délibérante, le conseil de Paris qui remplit le rôle de conseil municipal et de conseil général. Le projet du Grand Paris envisagerait de fusionner dans une Métropole du Grand Paris, les 124 communes de Paris et de la petite couronne (Paris, Val de Marne, Hauts de Seine, Seine-Saint-Denis) ainsi que les structures intercommunales existantes sur ces territoires.

Le Grand Lyon

Ensuite dans l'agglomération lyonnaise, la communauté urbaine du Grand Lyon va se transformer au 1erjanvier 2015 en Métropole de Lyon, une collectivité territoriale à statut particulier, qui exercera sur son territoire les compétences du Grand Lyon et du Conseil Général du Rhône (Articles L.3611-1 à L3611-3 du Code général des collectivités territoriales et loi 2014-58 du 27 janvier 2014). Les incertitudes subsistant sur l'avenir du conseil général du Rhône et sur les territoires du département du Rhône ne faisant pas parti de la Métropole de Lyon.

La Métropole Aix-Marseille-Provence

Encore, la Métropole d'Aix-Marseille-Provence qui a pour objectif au 1er janvier 2016 de regrouper six intercommunalités et 93 communes au sein d'une Métropole qui reprendrait les compétences des structures intercommunales mais pas celles du Conseil Général des Bouches-du-Rhône. A la différence de la métropole du Grand Lyon, les conseillers métropolitains ne seraient pas élus directement par la population mais délégués par les communes. Enfin, une bizarrerie, une commune du département du Vaucluse et une commune du département du Var seraient intégrées à la nouvelle métropole.

La Métropole Nice-Côte d'Azur

Enfin, la métropole de Nice-Côte d'Azur, créée le 1er janvier 2011, a été la seule à s'appuyer sur la loi du 16 décembre 2010 sur la réforme des collectivités territoriales. Regroupant la communauté urbaine de Nice et 3 communautés de communes des Alpes-Maritimes, elle a la particularité d'être composée à 20% par un territoire très urbanisé sur le littoral et à 80% d'un arrière-pays rural et montagnard. Ainsi, les stations de ski de Isola 2000 et Auron font partie de la métropole de Nice-Côte d'Azur !

 Enfin, les structures intercommunales de 450 000 habitants dans une aire urbaine de 650 000 habitants sont automatiquement transformées en Métropole, de droit commun, au 1er janvier 2015.

La préservation des Conseils Généraux dans les départements ruraux ?

En juillet et octobre 2014, le gouvernement, par la voix du Premier Ministre M. Manuel Valls, s'est engagé à conserver les conseils généraux (ou départementaux) dans une cinquantaine de départements « ruraux ». Si cet engagement est mis en œuvre, ceci signifie que les nouvelles grandes Régions seront dotées des compétences des conseils généraux sauf dans les zones rurales où les conseils généraux subsisteront.

Prenons l'exemple de la future Région Rhône-Alpes-Auvergne. Le Conseil Régional sera doté de compétences issues des Régions et des départements sauf dans les départements ruraux où les conseils départementaux auront subsisté (au minimum l'Ardèche, le Cantal, la Drôme) et sur le territoire de la Métropole de Lyon.

 Deux logiques à l'oeuvre

Deux logiques sont à l'œuvre :

- Une réforme territoriale visant à fusionner les Régions et leur attribuer plus de compétences dans le but de les renforcer. Cette réforme s'inscrit dans une logique jacobine de l'organisation territoriale, impulsée d'en haut et valable pour l'ensemble du pays. Elle s'appuie sur les conclusions du comité « Balladur » de mars 2009.

- Et une autre politique territoriale, décentralisée, empilant une suite de cas particuliers et prenant en compte des spécificités de chaque territoire. Elle a également pour objectif de renforcer les collectivités locales.

 Des politiques territoriales peu lisibles

Tout ceci a pour conséquence de rendre peu lisibles, voire contradictoires, les politiques territoriales conduites par l'Etat. On observera que les quatre métropoles présentées plus haut bénéficient d'un statut spécifique à chacune d'elles. Ceci génère une complexité législative peu ordinaire et pourrait être source d'instabilité dans le futur.

De plus, au sein des Grandes Régions qui se constituent, des métropoles comme Toulouse ou Bordeaux ne manqueront pas de réclamer des pouvoirs et un statut comparables à ceux de la Métropole de Lyon.

Toujours au sein des futures Grandes Régions, comment mener une action publique stable si les mêmes compétences sont exercées par le Conseil Régional et les Conseil Généraux dans les  territoires ruraux ?

 L'asymétrie des compétences et des collectivités locales prend le  risque de créer une dissymétrie entre les territoires et suscite bien des interrogations ? Comment faire émerger une cohérence dans la politique territoriale conduite ? Les différentes réformes ne vont-elles pas se neutraliser mutuellement ? Comment emporter l'adhésion des citoyens et des élus locaux sans amplifier la méfiance envers le système politique et technocratique ?

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L'AUTEUR:

Armand Laffineur est consultant en développement économique et en aménagement du territoire.