Europe : l'implosion qui vient

Par Michel Santi  |   |  1033  mots
Angela Merkel est donc prête à bouter la Grèce hors de la monnaie unique en cas de victoire de Syriza aux législatives. L'aboutissement d'une logique de non solidarité au sein de l'Europe. Par Michel Santi, économiste*

Angela Merkel et son ministre des Finances Wolfgang Schäuble sont donc prêts à bouter la Grèce hors de la monnaie unique en cas de victoire de Syrizia aux législatives anticipées du 25 janvier prochain. En effet, de l'aveu même de Michael Fuchs, vice-président du groupe parlementaire CDU au Bundestag, «il n'y a plus de potentiel de chantage car la Grèce ne représente pas un risque systémique pour l'euro». Voilà donc le continent européen qui se retrouve, en ce début 2015, dans une situation familière qu'il a déjà connu et subi dans le passé: en 1870, en 1914 et en 1939. Si ce n'est que cette nouvelle guerre sera menée, non avec des armes, mais par la force du diktat économique et financier de l'Allemagne et de ses transfuges néo-libéraux mercantilistes disséminés à travers le continent, et qui ont tout de même tiré profit de la déliquescence européenne et de la dérive des nations périphériques.

Un euro allemand ou autrichien vaudrait 1,50 dollar

 La monnaie unique européenne n'est-elle pas en effet l'addition des fondamentaux économiques de ses dix-huit membres? La valorisation de l'euro n'est-elle pas, en définitive, une synthèse des taux d'intérêt réels, de la croissance, de l'inflation et de la balance commerciale de chacun de ses pays constitutifs? C'est bien les déboires grecs, espagnols, portugais et italiens, qui pèsent désormais sur l'euro sur le point de crever le seuil psychologique de 1,20 vis-à-vis du dollar. Tandis que 1 euro allemand (et autrichien et luxembourgeois et hollandais) devrait, pour sa part, dépasser la barre des 1,50, selon des calculs menés par Morgan Stanley.

Cette attitude allemande consistant à montrer aujourd'hui la porte de l'Union à la Grèce porte donc la marque d'une arrogance sciemment provocatrice que ne renieraient pas Bismarck ou le Kaiser. En effet, non contente d'exporter sa déflation vers ces pays sinistrés, l'Allemagne feint d'ignorer qu'elle leur est largement redevable de ses propres excédents: pour leur avoir vendu force marchandises avant la crise, puis par la grâce d'un euro ayant perdu toute crédibilité du fait de l'absence de cohésion et de solidarité européennes. Ce n'est donc pas tant à sa prétendue exemplarité, ni tant à ses citoyens économes et industrieux que l'Allemagne doit ses excédents qu'à une monnaie unique sous évaluée qui dope ses exportations. Pendant que l'austérité achève d'étouffer une Grèce pour qui ce même euro est largement sur évalué.

 En commun: une même devise... et aucune solidarité

Aujourd'hui comme hier, les taux de change ne parviennent à jouer  - au sein de l'Union- leur rôle indispensable de régulateurs puisque tous ses membres ont en commun une même devise...et aucune solidarité. Préalablement à la crise, les masses de liquidités n'avaient-elles pas quitté les nations riches du "cœur" de l'Europe pour coloniser les nations « émergentes » de l'Union sans que la parité de l'euro n'en soit affectée: pas plus à la baisse pour les pays qui investissaient qu'à la hausse pour ceux qui bénéficiaient de ces flux de capitaux ?

Distorsions qui induisirent une inflation notoire au sein des nations en plein boom du Sud, royalement ignorée par l'Allemagne fort aise de pouvoir investir et exporter en direction de ces pays à haut potentiel. Ces disparités malsaines du taux d'inflation au sein de la même zone ne furent néanmoins pas combattues puisque le taux d'intérêt (comme la monnaie) unique dans l'ensemble de cette zone fut maintenu à un niveau artificiellement bas pendant plusieurs années afin de soutenir une économie allemande peu dynamique en ce début des années 2000 avec, pour conséquence immédiate et inévitable, une surchauffe des économies périphériques.

Des taux d'intérêt laxistes imposés par une Allemagne qui en avait besoin

En effet, ces nations en pleine expansion - qui auraient dû être contenues par des taux d'intérêt plus élevés et modérées par une devise plus forte- ont donc été lâchées en pâture aux spéculateurs ayant contribué à y gonfler toutes sortes de bulles qui auraient pu être évitées par une politique monétaire adaptée. Les fameux excès des PIIGS sont donc largement dus aux taux d'intérêt européens laxistes autorisés par la BCE et imposés par une Allemagne qui en avait alors bien besoin !

La fable de l'intégration et de la convergence

Pourquoi feindre l'étonnement aujourd'hui et être choqué par une polarisation politique (en Grèce et au sein d'autres nations européennes) qui ne va pas sans rappeler les heures sombres de Weimar alors même que l'austérité imposée par des allemands tout aussi égoïstes que bornés conduit le projet européen à la faillite. L'Espagne, l'Italie, la Grèce et le Portugal cumulent en effet (selon Standard & Poor's) une dette extérieure de 1.85 trillions d'euros aujourd'hui, par rapport à 875 milliards en 2004! La vérité est que l'Allemagne et le reste des pays européens n'ont jamais parlé la même langue, et n'ont jamais partagé une vision commune et harmonieuse de la construction européenne.

Les fameuses "intégration" et "convergence" européennes n'étaient en réalité qu'une fable ou un anesthésiant, en tout cas une escroquerie intellectuelle destinée à fondre toutes les nations membres de l'euro dans un seul et unique moule, celui de l'Allemagne. En présence d'une telle intransigeance et d'une telle insensibilité, que l'intelligentsia tétanisée aujourd'hui par la perspective d'un vote radical grec comprenne que, pour récupérer son âme, l'Europe devra préalablement passer par la case "désintégration".

Michel Santi est directeur financier et directeur des marchés financiers chez Cristal Capital S.A. à Genève. Il a conseillé plusieurs banques centrales, après avoir été trader sur les marchés financiers. Il est l'auteur de : "Splendeurs et misères du libéralisme", "Capitalism without conscience" et "L'Europe, chroniques d'un fiasco économique et politique".

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