Charlie-Hebdo : le storytelling de la terreur

Par Jean-Christophe Gallien  |   |  461  mots
Les professionnels de la terreur savent exploiter l'extrême sensibilité, voire la fragilité de nos sociétés, face aux images de l'horreur diffusées par tout un chacun. Jean Christophe Gallien, professeur associé à l'Université de Paris 1 la Sorbonne, Président de j c g a

Préparation méticuleuse, détermination habitée, ceux qui se sont attaqués à Charlie-Hebdo planifient toutes les dimensions narratives de leur acte. Il y a là un véritable storytelling de la terreur, une écriture médiatique précise et une mise en scène implacable.

Une fin de matinée, un mercredi, au cœur de la capitale de notre pays, des hommes frappent, à découvert, un média libre, un média symbole. Ils tuent des journalistes et des dessinateurs et aussi leurs protecteurs, des membres de nos forces de police.

Des spectateurs inconsciemment complices de la performance médiatique

Nos sociétés ultra-connectées, super équipées et à l'affut voyeuriste individuel et collectif fournissent un cadre prosélyte et viral mécanique aux acteurs de la violence scénarisée. Les auteurs savent qu'ils vont être filmés et diffusés instantanément. Ils jouent avec la désintermédiation digitale qui fait de chacun d'entre nous à la fois une caméra, un micro, un véritable correspondant d'opportunité, relayé, décuplé par des spectateurs inconsciemment complices de la performance médiatique, de l'audience de l'horreur.

Ils savent aussi qu'en cette fin de matinée, leur acte terrible va recevoir une couverture médiatique cette fois télévisuelle et radiophonique nationale, européenne et globale et marquer tous les esprits de Pékin à Los Angeles, de Londres à Johannesburg. Nos médias et leurs écrans démultipliés sont disponibles pour ces images et eux aussi en attente et avides d'un contenu spectaculaire et de ses suites potentielles.

La fragilité de nos sociétés face à ces images

Les professionnels de la terreur connaissent aussi le paradoxe de l'extrême sensibilité de nos sociétés, on devrait même utiliser le terme fragilité face à ces images et ces sons. Nous redoutons, régulièrement alertés par nos élites et gouvernements, des actions de cette nature. Cette fois, plus d'incertitude, pas de protection, nous sommes bien reliés au réel de ce Monde et nous sommes aussi vulnérables que les autres.

Coïncidence, ce matin même était enfin libéré le nouvel opus de Michel Houellebecq, Soumission. Une sortie elle-même ultra teasée et médiatisée par un marketing éditorial implacable, balayant tout sur son passage. Un roman qui provoquait jusqu'à l'attentat un raz de marée médiatique sur fond majoritaire de rejet.

Simple hasard ou encore une fois planning médiatique opportuniste d'une terreur à la narration précise et ultra contemporaine ? On se relie à un phénomène médiatique que l'on a anticipé pour augmenter sa propre performance, pour la dramatiser encore davantage. On lève une vague face à une autre vague. Une vague scélérate.